Un manifeste pour l'économie réelle !

Par Le Cercle des ingénieurs économistes  |   |  735  mots
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Ce n'est pas seulement l'économie qui a un problème : les économistes aussi...

Ce n'est pas seulement l'économie qui a un problème : les économistes aussi.

Face à toute crise, il faut en effet s'interroger non seulement sur les politiques qui l'ont provoquée mais sur les visions du monde qui ont façonné l'époque. Les théories des économistes exercent une influence sur les décideurs de la finance et des entreprises, les gouvernements et les législateurs, l'opinion publique et la société, sans toujours qu'ils en aient conscience.

S'exprimer en qualité d'économiste confère à vos propos une légitimité particulière : la caution de la science. L'économie est certes une science à part entière, avec ses méthodes éprouvées, ses équations, ses démonstrations. Mais c'est une science humaine et sociale dont la matière est la description des comportements individuels et sociaux, et une science politique dont l'objet est d'agir sur les décisions.

Il n'y a pas une vérité économique mais plusieurs, rivales. Tout naturellement, la crise a exacerbé les controverses. Les économistes keynésiens, terrassés par la stagflation depuis une génération reconquièrent droit de cité. Les économistes « atterrés » ont quelques motifs à l'être : mais leur indignation n'a pas débouché sur une politique. A chaque époque s'impose une pensée dominante. Le mainstream des économistes dans lequel nous avons vécu révérait l'hypothèse des marchés efficients selon laquelle les marchés financiers libres de toute intervention guident les choix de manière optimale.

Le krach de Wall Street de 2008, cause immédiate des enchaînements qui ont conduit à la situation d'aujourd'hui, a pour cause profonde la plus massive spéculation de l'histoire portant sur le marché des titres, d'autant plus pernicieuse qu'elle était dissimulée sous l'artifice de la sophistication d'apparence scientifique des instruments financiers.

La crise est une crise de la représentation. Les abstractions financières avaient effacé l'économie réelle de notre champ de vision : l'entreprise se trouvait réduite à une machine à produire du cash flow, la gestion à la corporate governance pour maximiser la création de valeur pour l'actionnaire. Disparue des écrans-radars l'économie réelle.

En quelques mois, le monde a changé. Pour la reconstruction, quel nouveau cadre intellectuel faut-il mettre en place en réaction à la financiarisation de l'économie et des économistes ? Les ingénieurs-économistes sont une spécialité française, féconde et rayonnante jusqu'au milieu du XXème siècle, bien identifiée à l'étranger, mais plutôt en tant qu'objet d'histoire. Notre Prix Nobel national Maurice Allais en est son illustration contemporaine la plus notoire.

Avant eux, régnait l'économie politique, préoccupée de l'organisation de la société. Son père fondateur, Adam Smith est un professeur de philosophie morale. Hors de toute prétention philosophique, les ingénieurs-économistes se préoccupaient de « modestes » problèmes tels que les tracés des canaux, des routes et des chemins de fer, de calcul d'investissements et de péages. Ce n'est pas un hasard si elle éclot en France patrie du cartésianisme et de la centralisation, autour des corps d'ingénieurs d'état - les Mines, les Ponts et Chaussées. Ils dirigent les grands travaux qui édifient la France industrielle, comme leurs héritiers modernes constructeurs de TGV et d'avions, de grands barrages et centrales nucléaires

Saint-simoniens, chantres du progrès par la science et la technique, mathématiciens de par leur formation, ils mettent en chiffres et en équations les faits qu'ils observent. C'est de cette approche formalisée qu'est issue l'économie moderne.

Le propos du Cercle des ingénieurs-économistes n'est pas de prendre parti dans les disputes bien connues, aujourd'hui parées d'une nouvelle vigueur - austérité ou relance, monétaristes ou néo-keynésiens, protectionnistes ou libre-échangistes. L'objet est de proposer au débat public l'actualité de l'économie réelle - les infrastructures, les usines et les hommes qui les font tourner ; les technologies, les produits et la compétitivité.

Le noyau fondateur du Cercle des ingénieurs économistes sont des ingénieurs des Ponts et des Mines intéressés par les questions économiques et ayant des expériences professionnelles diversifiées dans les domaines des entreprises, des transports, de l'urbanisme, des réseaux, ou encore de l'énergie.

Signataires : Bruno Angles, Harold Ollivier, Pierre Pommellet, Jean Poulit et Christian Stoffaës