Impôts, finances publiques : les choix du Front National

Par Pierre-François Gouiffès  |   |  2906  mots
Analyse des positions sur le budget, la dette et les impôts du Front national. Le parti de Marine le Pen fustige l’euro et l’Europe, l’immigration et prône le protectionnisme et le retour à un dirigisme étatique. Sur la dépense publique, un programme de hausses massives et… ciblées.

Un front après l'autre. Après l'analyse du programme du Front de Gauche, on peut passer à celui du Front National (@FN_officiel), qui fait régulièrement l'objet de revues plus ou moins passionnées, par La Tribune ou d'autres journaux comme Le Monde ou Les Echos. On commentera donc ici les orientations budgétaires et fiscales du FN, principalement sur la base du programme présidentiel de 2012 « notre programme », de la profession de foi de la candidate puis des prises de position ultérieures du parti. L'analyse est intéressante au regard du discours social-libéral assumé par l'exécutif en ce début 2014.

Rappelons que le FN a réuni 6,4 millions de voix (17,9% des suffrages exprimés et 13% des électeurs inscrits) autour de sa candidate Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle de 2012, puis 3,6 millions de voix (13,9% des suffrages exprimés et 7,6% des électeurs inscrits) au premier tour des élections législatives. 28% des voix des ouvriers se seraient portés sur Marine Le Pen, presque autant que François Hollande (31%) et deux fois plus que Jean-Luc Mélenchon (14%).

 

Fond de discours : arrêt de l'euro et de l'immigration, protectionnisme tout terrain

Le Front National souhaite « la fin de l'Union européenne dans sa forme actuelle » et son remplacement par des traités bilatéraux ou multilatéraux sur des sujets précis, afin de transformer l'Europe en une « association libre d'Etats européens partageant la même vision et les mêmes intérêts sur des sujets tels que l'immigration ou les règles devant régir les échanges extérieurs et la circulation des capitaux. ».

Il s'agit là d'un marqueur majeur de différentiation par rapport aux autres partis, PS et UMP, et même par rapport au Front de Gauche qui souhaite pour sa part non pas la disparition mais plutôt l'adoption par l'Europe de ses conceptions pour l'Hexagone et ne demande pas la disparition de l'euro mais sa réorientation radicale.

L'acte d'accusation de l'Union Européenne, dont le drapeau ne serait plus autorisé sur les bâtiments publics français, est donc dressé sous toutes les coutures : « Union européenne asservie par sa dette et par l'euro », « instrument au service d'une idéologie ultra-libérale mondialiste et des intérêts du secteur financier », instrumentation de la crise économique et financière comme « une formidable occasion de poursuivre à marches forcées la dissolution des nations dans un fédéralisme qui remettra entre les mains d'experts non élus le destin des peuples », refus pour la France de « l'ouverture totale des frontières, instaurée par les accords de Schengen, compte-tenu de sa démographie (qui ne justifie pas une immigration massive) et de son système de protection sociale (qui joue le rôle de pompe aspirante) ».

L'euro, « depuis son origine une aberration économique », est particulièrement visé et fait lui aussi l'objet d'un procès en règle, différents économistes, morts ou vivants, illustres ou moins illustres, étant invoqués à la barre (Milton Friedman, Maurice Allais, Jacques Sapir, Alain Cotta…). Outre le constat que « les promesses de prospérité, de croissance et d'emploi n'ont pas été tenues », est établie la longue liste des défauts de conception de la monnaie unique : hétérogénéité et divergence des économies de la zone, absence de système de redistribution européen, entrée de la Grèce. La politique monétaire considérée sous influence allemande est également mise en avant : mandat de la BCE exclusivement centré sur la stabilité des prix, interdiction de la monétisation des déficits, taux de change trop élevé pour les économies du Sud, « politique salariale non-coopérative de l'Allemagne ».

Le FN énonce ensuite sur un ton prophétique la fatalité de l'échec de l'euro, avec des formules comme « la monnaie unique s'enfonce dans une lente agonie » ou« « la crise finale de l'euro a largement commencé » car « l'Euro va disparaître car le coût de son maintien devient tous les jours plus insupportable pour les nations pour lesquelles il est totalement inadapté ».

La fin de « l'expérience malheureuse de l'euro » étant présentée comme inéluctable, le programme du FN propose alors un plan de sortie concerté, « condition de la renaissance économique de la France ». Ainsi le « retour bénéfique aux monnaies nationales (…) permettra une dévaluation compétitive pour oxygéner notre économie et retrouver la voie de la prospérité », en permettant de « relancer notre économie et notamment nos exportations ». Les modalités technique de gestion de cette période de transition (niveau réel de dépréciation de la monnaie française, mesures de contrôle des changes et des capitaux) sont présentées de façon rapide, mais le FN fait la promesse que la sortie de l'euro « constitue un défi technique mais ne provoquera aucunement le cataclysme décrit par les idéologues et autres fanatiques de la monnaie unique ».

Force est de reconnaître que cet optimisme mesuré du FN n'est pas partagé par de nombreux commentateurs économiques devant une décision systémique induisant de nombreux aléas : quel niveau d'inflation, sachant que la variation de la valeur de la monnaie impacterait lourdement l'intégralité du programme budgétaire du FN, mais aussi les revenus et les patrimoines français ? Quel taux de change et quel impact sur les importations et les exportations ? Peut-on raisonnablement attendre un comportement coopératif des partenaires européens et internationaux d'une France qui a peu de chance d'avoir l'exclusivité de la défense de ses intérêts économiques nationaux ? On peut d'ailleurs noter que la profession de foi 2012 de Marine Le Pen n'évoquait pas du tout la sortie de l'euro.

La dévaluation compétitive et la renationalisation de la politique monétaire (notamment via la monétisation de la dette publique) constituent ainsi les piliers de la politique budgétaire et fiscale mise en avant par le FN, en cohérence avec une philosophie de protectionnisme (taxe de 3% sur les biens importés pour financer une augmentation de 200€ nets par mois de toutes les rémunérations inférieures à 1.500€ mensuels) et l'arrêt de toute immigration (division par 20 de l'immigration légale), immigration doublement responsable pour le FN de creuser les déficits de la Sécurité Sociale et de peser à la baisse sur les rémunérations des salariés français.

 

Des hausses des dépenses publiques massives et ciblées

Si le FN fait une distinction générale entre une « bonne dépense utile et efficace » et des « dépenses inutiles et néfastes pour le pays : fraude sociale et fiscale, niches fiscales inefficaces, coûts de la décentralisation, poids de l'immigration incontrôlée sur les budgets sociaux », le programme de 2012 était construit sur une considérable augmentation nette de la dépense publique, un montant de plusieurs dizaine de milliards d'euros (de 30 à 100 suivant les évaluations).

La préservation des services de l'Etat est particulièrement choyée dans ce programme : stabilisation des effectifs de l'Etat, « maintien des services publics sur l'ensemble du territoire », « moratoire des services publics dépendant de l'Etat », préservation du statut général de la fonction publique et revalorisation des salaires et pensions de la fonction publique. En revanche le FN devenu très jacobin est très critique vis-à-vis de la décentralisation « processus structurellement coûteux », d'où le retour à la tutelle de l'Etat sur les collectivités locales, la réduction des dotations de l'Etat sans compensation possible par la hausse des impôts locaux, enfin la suppression de la clause générale de compétence.

Le FN propose ensuite des politiques de redistribution sociale très ambitieuses pour tout le monde à l'exception des étrangers pour lesquels les aides sociales, « pompes aspirantes de l'immigration illégale », ont vocation à être supprimées. Le caractère national des politiques sociales est fortement affirmé : suppression de l'aide médicale d'Etat (AME), instauration d'un « délai de carence d'un an de résidence continue en France et de cotisation avant de bénéficier de tous les avantages de la Sécurité sociale », « renégociation des conventions internationales signées en matière de santé avec des pays étrangers ». Le FN assume par ailleurs un lien entre cette orientation nationale et la lutte contre la fraude.

La générosité redistributive est de mise partout ailleurs pour le FN. Une mesure phare du programme 2012 était l'augmentation de 200€ nets de toutes les rémunérations inférieures à 1.500€ bruts mensuels. Mais les retraites n'étaient pas en reste : retour à la retraite à 60 ans (comme le Front de Gauche) et aux 40 annuités de cotisation pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein, rehaussement du taux des pensions de réversion, indexation du minimum vieillesse sur le SMIC. De multiples revalorisations de prestations sociales sont également programmées : famille, handicap, santé, création d'un revenu parental de 80% du SMIC, pensions des anciens combattants.

Le FN prévoit en outre des hausses des ressources budgétaires pour de nombreuses politiques publiques, principalement les politiques régaliennes : justice (+25%, création de 40.000 places de prison supplémentaires), sécurité (retour aux effectifs de police et de gendarmerie de 2005), défense (budget passant de 1,6% à 2% du PIB), affaires étrangères. En revanche, et en cohérence avec sa posture européenne, le FN exige une contribution nette nulle de la France au budget européen.

 

Pour les recettes, des « écluses douanières » protectionnistes et des impôts punitifs pour les grandes entreprises

Concernant les recettes, le FN a proposé en 2012 plusieurs innovations et ne prévoyait pas moins de 240 milliards d'euros (12% points de PIB) de recettes budgétaires nouvelles. Pour la fiscalité des personnes, le FN préconisait une progressivité accrue de l'impôt sur le revenu, la fusion de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation, la création d'un impôt unique sur le patrimoine par la fusion de l'ISF et de la taxe foncière, enfin une différenciation accrue des taux de TVA.

Le FN voulait par ailleurs différencier la fiscalité des entreprises suivant leurs tailles avec trois taux d'IS et l'affectation pendant cinq ans de 15% des bénéfices des 50 plus grandes entreprises à un « fond de réserve spéciale de réindustrialisation ».

Mais la principale innovation en matière de recettes est liée à la posture protectionniste du FN par la mise en place d' « écluses douanières ciblées » mais surtout d'une contribution sociale de 3% sur l'ensemble des biens et services importés.

 

La monétisation de la dette et du déficit, Graal de la politique économique et budgétaire

Concernant les déficits, et en dépit d'une opposition frontale aux dispositifs de la zone euro, le programme FN prévoit une « loi cadre qui instaurera à terme l'obligation d'un déficit structurel égal à zéro », une disposition très proche de celle du traité budgétaire européen de 2012. Mais les similarités s'arrêtent là puisque pour le FN « la question de la dette publique est donc le 'nœud gordien' de tout le système de pillage des richesses de la nation par la financiarisation de l'économie et le libre-échange mondialisé ».

Comme le Front de Gauche, le FN réfute tout lien de causalité entre accumulation de dette publique et dépenses publiques et préfère la thèse conspirationniste d'une dette servant « d'alibi aux plans de rigueur, à la casse des services publics et des prestations sociales » : « la vraie raison du surendettement de la France, ça n'est pas la dérive des dépenses de protection sociale, ni de ses services publics pour chercher à culpabiliser le citoyen, mais la loi de 1973 (dite loi Pompidou-Giscard) » et les lois suivantes (loi de 1993 sur l'indépendance de la Banque de France, Traité de Maastricht, Traité de Lisbonne) interdisant le financement de la dette publique par la banque centrale et « laissant ainsi aux banques commerciales privées, le monopole du droit de création monétaire. C'est une 'privatisation de l'argent public' inacceptable ».

A cette fin, le FN prévoit de « rendre à la Banque de France le droit de prêter au Trésor sans intérêt » en lien avec la suppression de l'euro, car « un des éléments très importants de la renaissance d'une monnaie nationale, c'est qu'elle nous permet de dévaluer si nécessaire et de monétiser notre dette ». Le FN prévoit donc que la Banque de France, libérée de son interdiction d'achats de titres publics, monétisera chaque année 90 milliards d'euros pour payer les intérêts sur la dette et rembourser le capital, une création monétaire représentant 5% du PIB chaque année.

Le FN prévoit ensuite une opération de « francisation ou nationalisation de la dette publique » en mettant en avant l'exemple japonais et le fort taux d'épargne des ménages français. En la matière, il faut toutefois savoir que le financement interne japonais ou italien n'est possible que parce que ces deux pays sont en situation d'excédent extérieur structurel, une situation qui n'est plus celle de la France depuis 2005 où elle est systématiquement en situation de déficits jumeaux.

Grâce à tout cela, le FN promettait en 2012 une réduction de moitié du stock de dette à l'horizon 2025, probablement dans les faits par une taxe inflationniste, un plan respectant les préceptes du FMI et du Club de Paris « pour éviter toute solution de répudiation pure et simple de la dette étrangère, qui représenterait un risque de réputation trop négatif pour la France. »

 

La nostalgie du dirigisme étatique

Derrière le programme économique et budgétaire du FN, il ne faut pas oublier qu'il y a la volonté de capter l'attention puis les voix d'un électorat pessimiste et inquiet constitué de « petits », salariés modeste (ouvriers, employés), indépendants et d'une partie de la classe moyenne se considérant déstabilisés et affectés par la précarisation économique et la mondialisation tout en ayant perdu confiance dans les autres offres politiques. D'où un programme budgétaire et fiscal désormais centré sur le maintien du niveau de protection sociale et un étatisme crédité de pouvoir corriger les déséquilibres les plus sévères d'une mondialisation vécue de façon fondamentalement négative tant en matière économique (isolationnisme et attrait du protectionnisme) que dans les flux de personnes (refus de l'immigration).

Plusieurs solutions apparemment simples sont ainsi proposées par le programme FN. D'abord le protectionnisme avec le recours à la dévaluation compétitive permise par l'euro et les « écluses douanières ». Le FN revendique ici une stratégie économique non coopérative, mais une telle approche ne laisserait probablement pas les partenaires économiques de la France indifférents : peut-on taxer les importations sans rétorsion sur les produits et services français ? Quel impact sur le pouvoir d'achat de l'augmentation des importations de pays à bas prix ? Quel impact sur la hausse des prix et le pouvoir d'achat d'une large monétisation de la dette publique ?

Les économistes Jean-Marc Daniel et Charles Wyplosz ont mis en avant dans un récent article du Monde le caractère fondamentalement nostalgique du programme du FN : idéalisation de la politique économique française des années 1950 avant la construction européenne (planification à la française, protectionnisme), politiques économiques argentines de Juan Peron et de ses successeurs (protectionnisme commercial, interférence de l'Etat dans l'économie et le marché du travail, manipulation des prix, prise de contrôle de la banque centrale pour financer les déficits publics), politique économique et sociale des travaillismes anglo-saxons des années 1960-1970 (relance redistributive, recentrage de la croissance économique sur le marché intérieur et l'amélioration du niveau de vie des plus défavorisés).

Les deux économistes considèrent que les conséquences de moyen terme de ces politiques n'ont pas été à la hauteur des attentes de leurs promoteurs et encore moins de leurs électeurs (inflation très forte voir hyperinflation déstabilisant les économies et érodant revenus et patrimoines, déficits extérieurs nécessitant des ajustements brutaux…), ironiquement jusqu'au point de justifier précisément les choix de politiques économiques et budgétaires que le FN dénonce aujourd'hui : des banques centrales indépendantes du pouvoir politique et des politiques économiques renforçant la concurrence et libéralisant l'économie.

Il faut toutefois avoir conscience des limites des arguments sur l'irréalisme du programme FN, qui soigne un positionnement anti-système (« contre l'UMPS ») l'amenant de ce fait à ces positions nécessairement sécantes vis-à-vis du cœur du dispositif politique (liquidation de l'euro), et dont nombre de ses électeurs savent probablement que le programme tel qu'il est présenté aujourd'hui est loin d'avoir vocation à s'appliquer.

 

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