La crise, invitée d'honneur à Davos

Par Philippe Mabille, envoyé spécial à Davos  |   |  556  mots
Infographie La Tribune
Angela Merkel a ouvert le forum économique mondial de Davos. Désorientés, les grands de ce monde cherchent désespérément une issue à la crise... sans voir qu'elle est peut-être déjà derrière nous.

En général, les prédictions conjoncturelles faites fin janvier à Davos se réalisent rarement. L'an dernier, l'ambiance était à la reprise et patatras, la crise des dettes souveraines européennes à l'été a replongé le monde dans l'incertitude. Cette année, les patrons sont venus en masse au Forum économique mondial écouter les oracles des gourous de l'économie (Stiglitz, Roubini...) et les dirigeants des principaux pays et organisations internationales. Plus de 1.600 "business leaders", une participation record de 2.600 personnes au total, ont provoqué l'affluence dans les quelque 250 conférences organisées sous l'égide de Klaus Schwab, le fondateur du World Economic Forum (WEF) en 1971. Au pied de la "Montagne magique" de Thomas Mann et à côté d'un village d'igloos construit par des militants de "Occupy WEF", les "leaders" ont été cueillis à froid par la révision en baisse de la croissance mondiale annoncée par le FMI.

Pour les décideurs réunis à Davos, l'heure est à l'inquiétude. Selon un sondage du cabinet PricewaterhouseCoopers, 48 % des 1.258 patrons interrogés s'attendent à une nouvelle récession dans les douze prochains mois. Seul un petit 15 % voit l'avenir en rose. Le sentiment dominant à Davos cette année est que cela ne peut plus continuer ainsi. Même le très libéral Klaus Schwab, sans doute impressionné par la force du mouvement protestataire mondial, a reconnu que « le capitalisme, sous sa forme actuelle, n'a plus sa place dans le monde qui nous entoure ». « Nous avons échoué à retenir les leçons de la crise financière. Une transformation mondiale doit avoir lieu d'urgence et cela doit commencer en rétablissant une forme de responsabilité sociale ». « La grande transformation », thème emprunté au théoricien hongrois Karl Polanyi, est justement le titre choisi cette année pour cette 42e édition du WEF.

Et Ben Verwaayen, le patron d'Alcatel-Lucent, d'approuver : "Faisons fi de toute nostalgie, nous n'allons pas revenir au monde ancien. La crise que nous vivons n'est pas un accident, c'est une transformation profonde de notre modèle économique." Présidente de la Confédération syndicale internationale, Sharan Burrow, s'est montrée encore plus claire sur le caractère structurel de la crise actuelle : "La finance est en train de vous tuer", a-t-elle lancé aux patrons, les appelant à retrouver le plus vite possible la recette pour réveiller la "job machine", car sinon, cela finira mal et il ne faudra pas s'en étonner. "Les inégalités de revenus sont les plus élevées depuis la crise des années 1930. Ce n'est généralement pas une bonne nouvelle pour le capitalisme..."

Mais Davos est, heureusement pour les participants, qui payent un minimum de 40.000 francs suisses pour s'isoler une semaine dans la station des Grisons, plus qu'une réunion d'économistes. C'est aussi l'occasion de sentir les tendances de ces temps nouveaux. Deux mots ont ainsi dominé cette 42e édition. Celui de "dystopie", qui est l'inverse de l'utopie, et permet de décrire un état du monde qui ne verrait plus de progrès possible. Une situation où le pire succéderait fatalement au pire, à éviter absolument. Le deuxième mot à la mode est le "talentisme", pour remplacer le "capitalisme" décidément mal en point, et où le capital serait remplacé, comme ressource rare, par les talents, la nouvelle compétition du nouveau monde en train de naître.