Oui, la France a un avenir industriel

Par Sébastien Laye  |   |  626  mots
Le français Alstom convoité par l'américain General Electric... et l'allemand Siemens. / DR
A l’aune de la plupart des réactions dans la presse française, notre pays serait condamné à aller de Charybde en Scylla, déchiré par ce choix cornélien : retourner à l’ère des nationalisations afin de protéger notre patrimoine industriel, ou se résigner à le voir racheté par des capitaux étrangers.

Cette aporie n'est qu'apparente, car elle exclut la troisième voie évidente : celle de capitaux français pour redresser notre industrie.

A peu près tout le monde en France parait se résigner à la vente de nos fleurons industriels, au prix d'une vulgate du monde des affaires assez naïve. Investisseur et banquier-conseil, je me permets ici de rappeler un point crucial : aujourd'hui ou il y a trente ans (quand General Electric était de taille plus modeste), le Président des États-Unis et le très sourcilleux ministère de l'Énergie US (DOE) n'aurait jamais validé un rachat des activités Energie ou Réseaux d'Electricité de General Electric par Alcatel-Alsthom.

Le libéralisme aux Etats Unis s'arrête là où l'indépendance et la sécurité commencent

La France aurait dû sanctuariser depuis longtemps toute activité liée à ses centrales ou ses réseaux. Et ce d'autant plus que le pouvoir politique, qui s'est assigné comme objectif la transition énergétique, va perdre tout moyen effectif de la mettre en œuvre. Qu'Alstom doive évoluer est une évidence, que nous ne soyons pas capables de faire émerger une solution française ou européenne est un drame pour notre pays. En l'occurrence, il s'agit, après la crise ukraino-russe, du second échec de la politique énergétique européenne en moins d'un mois…

L'industrie lourde requiert du capital, et des activités comme celles d'Alstom vont de pair avec la finance. Sans fonds de pension, sans institutionnels engagés, il n'est point d'industrie et point de solutions pour maintenir des activités cruciales sous contrôle français.

Nous avons aussi une puissante et reconnue industrie du private equity (fonds d'investissement de rachats d'entreprises), trop vilipendée et attaquée fiscalement par les pouvoirs publics, alors qu'elle seule a permis de maintenir certains de nos fleurons entre des mains françaises.

Où sont les futurs Bolloré, Arnault, ou Pinault ?

On se souviendra également que dans les années 1980, alors que le tissu industriel français fléchissait et que se multipliaient les rachats par les Japonais ou les Américains, François Mitterrand et Laurent Fabius avaient su faire émerger une nouvelle génération d'hommes d'affaires qui s'étaient lancés dans des rachats audacieux, au nez et à la barbe de géants étrangers : les Bolloré, Arnault, Pinault, dont les empires trente ans plus tard sont en bien plus grande forme et créateurs d'emploi en France que les leaders de l'époque sous simple contrôle managérial (souvent dirigés par d'anciens membres de la haute administration).

Oui, la France est un pays capitaliste et le capitalisme c'est aussi parfois la jungle, une jungle ou il faut être prédateur pour ne pas être une proie…

Des dizaines d'Alstom pointent à l'horizon (à commencer par Nexans, qui est aussi héritier d'Alcatel-Alsthom/ CGE. Ambroise Roux doit s'en retourner dans sa tombe). Saurons-nous trouver la génération d'hommes d'affaires, de leaders du private equity ou d'institutionnels capables de sauvegarder nos fleurons - l'État ne pouvant pas tout dans le contexte budgétaire actuel ?

L'auteur de ces lignes - qui a aussi un passeport américain - ne saurait être taxé d'anti-américanisme. Au contraire, les États-Unis ne sont pas la patrie du libéralisme débridé comme on le lit trop souvent de ce coté-ci de l'Atlantique.

Nous, Français, devrions être aussi un peu plus comme les Américains, un peu plus patriotes avec notre industrie et un peu plus agressifs dans cette mondialisation en cours. Il en va de nos emplois et de nos technologies. Il n'y a pas de fatalité à notre résignation actuelle.

"Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l'avenir", François Mitterrand.