Droit d'auteur : une guerre française

Par Florence Autret  |   |  691  mots
La chaîne ARTE rediffuse les 3 saisons de la série culte d’Adam Price, BORGEN, au cours de nuits marathons du 4 au 9 mars.
Le législateur doit avoir la "main tremblante". Si Montesquieu était de ce monde, il répugnerait à remettre sur le métier la fameuse directive sur le droit d'auteur qui est en train d'enflammer le Parlement européen. Ainsi l'assure ce haut diplomate français.

Paris n'a pas renoncé à faire capoter la réforme de ce texte, pensé à l'âge du papier et du petit écran, et dont dépendent des milliards de recettes de licences sur les oeuvres diffusées sur le Web. Pour Paris, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pour une fois, ce penchant si français de la législation fait place au goût tout britannique de la jurisprudence.

« Les licences telles qu'elles existent ne permettent-elles pas d'apporter les adaptations nécessaires [pour rémunérer les oeuvres sur les supports numériques], sans remettre en cause le droit d'auteur ?», interroge-t-il.

La France s'est lancée dans une opération de lobbyisme

Tout récemment, son ambassade auprès de l'UE accueillait quelques dizaines de juristes, assistants parlementaires, étudiants et autres, pour démontrer par A + B que rien n'était plus urgent que d'attendre. Pierre Sirinelli, auteur d'un rapport sur le sujet pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, était là, déployant une science juridique peu commune, égrainant les articles de la directive actuelle, qui fait la place belle aux producteurs d'oeuvre et horripile les Apple, Google, Amazon et Netflix.

« C'est aux critiques de démontrer que le droit actuel ne permet pas de satisfaire l'appétit d'oeuvres», a-t-il assuré.

Et d'ajouter :

«Jamais le droit d'auteur n'a eu la prétention de vouloir contrôler le savoir.»

La preuve : il a été créé par les Britanniques en 1710, sous le nom de copyright, par une « loi sur la libre circulation du savoir» qui visait « à encourager les hommes instruits à écrire des livres utiles».

Magnifique formule.

Pour cet éminent juriste, « une majorité de personnes est contre la réouverture de la directive», a-t-il assuré.

Le problème est que tout le monde n'est pas de son avis, tant s'en faut. Et que le train de la révision de cette directive est déjà bien lancé.

Un «rapport d'initiative» moins radical

Les remous les plus forts viennent du Parlement où une députée allemande de moins de 30 ans, Julia Reda, a jeté le mois dernier un joli pavé dans la mare. En attendant que la Commission européenne se lance, elle a produit un «rapport d'initiative» moins radical que ne l'aurait laissé attendre son passé de présidente des Jeunes Pirates européens. Elle y propose d'harmoniser les exceptions au droit d'auteur qui permettent aux bibliothèques, aux chercheurs, notamment de passer outre la rémunération des oeuvres.

Ces exceptions sont aujourd'hui facultatives et laissent une grande marge de manoeuvre aux États pour... ne rien changer à leurs pratiques.

Mais elle va plus loin - et c'est là que les dents de l'industrie du divertissement et des autorités françaises commencent à grincer en proposant de créer de nouvelles exceptions, sur le modèle du fair use américain. Plus grave, elle remet en cause le principe de la territorialité sur lequel est basée toute l'économie du secteur. Principe qui fait que les diffuseurs doivent acquérir leur droit pays par pays, ce qui empêchait par exemple les fonctionnaires danois de suivre Borgen depuis leur exil bruxellois... jusqu'à ce qu'Arte diffuse la fameuse série.

Les Google, Apple et Netflix, qui ont compris qu'une licence européenne n'était pas près de voir le jour, se contenteraient bien de cette demi-mesure.

Finalement, c'est Günther Öttinger qui décidera de l'heure et de la configuration de la bataille qui promet de durer plusieurs années. La semaine dernière, il a commencé un cycle de consultation au plus haut niveau, en commençant par les majors, Google, Amazon et consorts, pour parler portabilité des droits (comment justement permettre de voir Borgen depuis le Berlaymont sans acheter une licence). Cette semaine, il planchait sur le text and data mining, autrement dit l'utilisation de bases de données géantes par les chercheurs ou l'industrie. La prochaine, ce sera le tour des exceptions à des fins éducatives.

Pour l'instant sa main tremble, mais on a du mal à croire qu'elle ne finira pas par mettre quelque chose sur le papier.