Henri Proglio ou l'obsession du pouvoir

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  590  mots
Henri Proglio. Copyright Reuters
C'est un portrait au vitriol que dressent les journalistes Pascale Tournier et Thierry Gadault du patron d'EDF, Henri Proglio, dans leur livre enquête "Henri Proglio, une réussite bien française" (Ed. du Moment). L'homme, qui détonne dans le paysage des grands patrons français, est, selon les auteurs, le parfait produit de la consanguinité entre le politique et l'industrie, où l'influence et le pouvoir comptent davantage que la réussite économique.

Mais pourquoi est-il si méchant? « Parce queeeee », répondait le petit bonhomme haineux armé de sa tronçonneuse dans la publicité Orangina. Même question pour Henri Proglio. L'enquête de Pascale Tournier et Thierry Gadault sur le président en exercice d'EDF est passionnante mais glaçante.

Personnage fascinant, jamais attachant

Le personnage est fascinant, il n'est jamais attachant. Son ascension est étonnante mais besogneuse et sans grand panache. Il a fait et dirigé Veolia, il dirige EDF mais ses stratégies industrielles sont filandreuses, absconses et pas aussi « successfull » qu'il aimerait le faire croire. Henri Proglio formé un peu par hasard à HEC, entré sans trop savoir pourquoi à feu la Compagnie Générale des Eaux, est arrivé tout en haut plus par l'incapacité de ses concurrents que sur ses propres qualités. Et depuis que Jacques Chirac lui a donné les coups de pouce nécessaires, il se maintient contre vents et marées en haut de la pyramide du capitalisme français.

Insubmersible

Régulièrement on le croit condamné. Parfois parce qu'il est victime d'un des innombrables pièges qu'il a tendu à un ennemi et qui s'est retourné contre lui. Parfois parce que le président, en l'occurrence Nicolas Sarkozy, est lassé de ses excès ou qu'il est, comme François Hollande, viscéralement allergique au personnage. Mais Proglio est insubmersible. Il en sait toujours plus sur les autres que ces derniers sur lui. Son réseau politique, à droite, au centre et à gauche est tel, les services qu'il a rendus à tout un chacun sont si nombreux que jamais l'homme ne coule.

Système d'accointances et de réseaux

Il a embauché qui il fallait quand il fallait, investit où il fallait quand la nécessité politique le lui dictait ; il a su écouter, comprendre, aider et, parfois, trahir, une bonne partie de la classe politique française Ce système d'accointances et de réseaux est parfaitement décrit par les deux journalistes Pascale Tournier et Thierry Gadault. Les coups tordus de Proglio, sa méfiance quasi paranoïaque, sa détestation pour quelqu'uns de ses pairs comme les services qu'il a rendus.

« Une réussite bien française » titrent-t-ils donc justement leur enquête car c'est bien là que le bat blesse. L'homme n'apparait pas comme un capitaine d'industrie, un visionnaire, un stratège. Pis, sa personnalité ne sert pas son entreprise. Ainsi la profonde détestation qu'il entretenait pour Anne Lauvergeon, la patronne d'Areva, l'a quasiment amené à définir la politique d'EDF (et du nucléaire français) en fonction de sa volonté de détruire sa rivale. Le fameux contrat raté des deux EPR à Abou Dhabi, l'incapacité de Nicolas Sarkozy et Claude Guéant à raisonner Proglio, l'échec total de la stratégie de ce dernier pour faire tomber sa rivale et redéfinir à lui seul le nucléaire français est l'un des épisodes les plus sinistrement significatifs de cette « réussite française ».

"Obsédé par la trahison"

Henri Proglio est un manoeuvrier, jamais accepté par la confrérie des grands patrons, toujours méfiant, « borderline » dans sa manière de gérer les dossiers et les gens et, dit Alain Bauer, qui le conseilla longtemps, « obsédé par la trahison ». C'est donc un personnage de roman. Mais il est surtout le parfait produit de la consanguinité des politiques et des dirigeants des grandes entreprises. Et ce n'est plus romanesque du tout.


"Henri Proglio, une réussite bien française", Pascale Tournier et Thierry Gadault, éditions du Moment, 18,50 euros.