Tarifs des consultations médicales : le projet du gouvernement en passe de tomber à l'eau

Par latribune.fr  |   |  1331  mots
Les médecins jugent « humiliant et infantilisant » de devoir prendre les différents engagements réclamés par la Cnam. (Crédits : Reuters)
Les deux principaux syndicats de médecins libéraux, chez les généralistes et les spécialistes, ont annoncé dimanche soir leur rejet « à l'unanimité » des nouveaux tarifs de consultation proposés par l'Assurance maladie, en contrepartie d'un engagement à augmenter leur activité. Une situation que déplore le ministre de la Santé, regrettant l’absence de « responsabilité » des médecins et disant ne pas comprendre « une position aussi fermée ». Faute d'accord, les nouveaux tarifs devraient être fixés par un arbitre et les médecins pourraient donc avoir lâché la proie pour l'ombre.

[Article mis à jour lundi 27 février à 10h15]

« Une consultation qui coûte moins cher qu'une simple séance de manucure ». Les six syndicats de médecins représentatifs, qui ont jusqu'à mardi soir pour accepter ou rejeter la nouvelle grille de tarifs et autres forfaits proposée par l'Assurance maladie pour cinq ans, ne devraient pas signer la nouvelle convention tant ils ne se sentent pas valorisés, d'après leurs dernières déclarations.

Pour rappel, la proposition de la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie) prévoit que toutes les consultations médicales seraient revalorisées de 1,50 euro. Pour les généralistes, cette revalorisation sans condition porterait la consultation de base à 26,50 euros, contre 25 euros depuis 2017. Les praticiens acceptant de prendre des « engagements territoriaux » (prendre davantage de patients, participer aux gardes, exercer dans un désert médical...) obtiendraient un tarif de consultation supérieur, à 30 euros par exemple pour les généralistes.

Dans un dernier effort pour convaincre, Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, a rappelé vendredi que le projet d'accord signifiait 1,5 milliard d'euros de dépenses supplémentaires pour le budget de la Sécurité sociale, dont 600 millions pour les mesures non conditionnelles et 900 millions pour les mesures liées à des engagements sur l'offre de soin.

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« Un vote négatif, à l'unanimité » tant pour les généralistes que les spécialistes

Les deux principales organisations chez les généralistes et les spécialistes ont fait part ce dimanche de leur hostilité aux propositions, par l'intermédiaire d'un vote. « Il y a eu 98% de participation et 100% ont dit non à la signature », a déclaré lors d'une conférence de presse Agnès Giannotti, la présidente de MG France, le plus important syndicat de généralistes. Un vote négatif à l'unanimité qui « doit être de nature à faire réfléchir les politiques », selon elle.

Même résultat chez les spécialistes de l'union Avenir Spé-Le Bloc, réunis en assemblée générale dimanche. « Pas de signature, à l'unanimité », a indiqué à l'AFP Patrick Gasser, le président. « On a fait ce qu'on a pu, c'est un échec », a-t-il ajouté, mais « la responsabilité en incombe à d'autres, au gouvernement et au-dessus ».

Outre le tarif, les médecins dénoncent un « manque de reconnaissance »

Chez les généralistes, la question du tarif a été « marginale » dans l'issue du vote, a assuré Agnès Giannotti, expliquant que les praticiens souffrent surtout d'un « manque de reconnaissance ». « Dire qu'il faut qu'on s'engage, ça veut dire qu'on ne le fait pas et ça, c'est absolument inaudible pour la profession », a-t-elle ajouté. « Les négociations de mercredi et jeudi ont permis des « améliorations sur des détails, mais l'essentiel est inchangé », avait-elle déjà pu regretter.

Les médecins jugent « humiliant et infantilisant » de devoir prendre les différents engagements réclamés par la Cnam, avait déjà expliqué jeudi matin à l'AFP le docteur Luc Duquesnel, qui représente les généralistes au sein du syndicat CSMF. « Les quelque 40% de médecins généralistes qui remplissent déjà les critères refuseront de signer ce contrat » pour cette raison.

Pour les spécialistes, les contreparties exigées n'étaient tout simplement « pas admissibles », a argumenté Patrick Gasser, comparant l'enveloppe globale de 1,5 milliard d'euros avancées par la Cnam aux « milliards injectés dans les établissements de santé, publics et privés » depuis le Covid et le « Ségur de la santé ».

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Une absence de « responsabilité » selon le ministre de la Santé

François Braun a réagi ce lundi 27 février au vote des syndicats de médecins. « On passe à côté d'une occasion d'améliorer la prise en charge de nos concitoyens, je trouve que les syndicats de médecins ne sont pas responsables », a jugé François Braun sur France Inter, disant ne pas comprendre « une position aussi fermée ».

Il est notamment revenu sur le tarif de la consultation. « 26,50 euros, ce n'est pas du tout la valeur de la consultation. Un médecin a plus de 20% de son revenu qui est fait de forfait, payé par l'assurance maladie, ce qui fait une consultation de base à 36,50 euros », a-t-il indiqué.

Quant aux contreparties de la convention, il a expliqué que les médecins ne devaient pas toutes les cumuler. « Il faut que les médecins cochent deux cases. Et quand on dit faire une garde, c'est une garde par mois, donc arrêtons de dire que c'est une pression intolérable », a estimé le ministre. « Ce n'est pas travailler plus, c'est travailler différemment ».

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Un arbitrage pour sortir de l'impasse

Avec ce rejet des deux organisations pesant plus de 30% chacune parmi les généralistes et les spécialistes, le projet d'accord soutenu par le gouvernement est en passe de tomber à l'eau. Le ministre de la Santé a d'ailleurs peu d'espoir sur l'issue des discussions : « Il n'y aura pas d'accord d'ici demain soir, c'est à peu près certain, même si je veux toujours croire au bon sens », a-t-il déclaré.

À défaut d'une improbable alliance entre au moins deux des quatre syndicats restants, les nouveaux tarifs seront fixés par un « arbitre », Annick Morel, une ancienne inspectrice générale des affaires sociales. Elle aura « trois mois pour proposer un texte qui s'imposera pendant au moins deux ans », a précisé François Braun. « On va perdre du temps », a-t-il déploré.

Cet arbitre ne sera par ailleurs pas tenue de s'appuyer sur l'état actuel des négociations pour préparer sa copie. Au risque donc pour les médecins d'avoir lâché la proie pour l'ombre en refusant de signer la proposition de la Cnam.

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ZOOM - Le Sénat a voté l'accès direct à certains infirmiers, kinésithérapeutes et orthophonistes

Malgré les protestations des médecins, le Sénat a adopté mi-février en première lecture un texte macroniste pour l'accès direct à certains infirmiers, kinésithérapeutes et orthophonistes, après y avoir intégré le principe d'une pénalisation controversée des rendez-vous médicaux non honorés. Le vote a été acquis par 199 voix pour et 14 contre. Députés et sénateurs vont maintenant tenter de s'accorder sur un texte commun en commission mixte paritaire.

Dans la lutte au long cours contre les déserts médicaux, la proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist vise notamment à élargir les missions des infirmiers en pratique avancée (IPA) qui seraient désormais autorisés à faire certaines prescriptions de soins et médicaments.

Les patients pourraient se rendre chez ces soignants sans passer par un médecin, mais toujours dans le cadre d'un « exercice coordonné » avec ce dernier. La proposition de loi permet également un « accès direct » aux kinésithérapeutes et orthophonistes exerçant dans des établissements de santé.

« L'objectif n'est en aucun cas de mettre de côté le médecin généraliste », a assuré la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo, alors que les médecins libéraux manifestaient contre ce texte et pour réclamer de meilleurs tarifs. Il s'agit pour le gouvernement « de libérer du temps médical et de faciliter l'accès à la santé ».

« Ne nous berçons pas de chimères, ce texte oppose à un problème structurel des réponses parcellaires et ne permettra pas de résoudre les graves difficultés auxquelles certains de nos concitoyens sont confrontés », a mis en garde de son côté la rapporteure Corinne Imbert (LR).

(Avec AFP)