Atteindre l'égalité salariale en 2022 : mission impossible ?

Par Audrey Fisné  |   |  1548  mots
Si les entreprises sont encore trop peu nombreuses à l'avoir fait, c'est aussi parce que les pénalités financières restent rares : seules 157 sociétés ont été condamnées à verser une amende depuis 2013. (Crédits : DR)
Emmanuel Macron a pris l'engagement de supprimer d'ici à cinq ans l'écart de 9% entre le salaire des femmes et celui des hommes, à poste équivalent. Où en est-on en ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes ? Les entreprises devront faire davantage d'efforts.

(Article publié le 8 mars et mis à jour le 14 mars à 14h30)

La mission, si le gouvernement l'accepte ? « Un salaire égal pour un travail de valeur égale. » Mission impossible, comme le dit la célèbre série télé ? Le principe est inscrit dans la loi, mais, dans la pratique, les femmes gagnent encore en moyenne 24% de moins que les hommes, tous postes confondus, en France. Partant de ce constat, la ministre du Travail Muriel Pénicaud, a annoncé en début d'année l'engagement du gouvernement d'agir pour le rattrapage salarial. D'ici à 2022, l'écart de 9% entre le salaire d'une femme et celui d'un homme, inexpliqué par les facteurs structurels, devra avoir disparu, conformément à la volonté d'Emmanuel Macron. Le président a décrété l'égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale du quinquennat ».

Transparence

Pour atteindre cet objectif, la ministre du Travail va agir avec Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a mené un tour de France des initiatives pour enrichir le plan d'action interministériel. Celui-ci devrait être présenté par le Premier ministre à la fin mars. Associations, collectivités, organismes et autres entités ont été mobilisés pour transmettre leurs recommandations au gouvernement.

Pour l'heure, certaines propositions sont partagées par plusieurs acteurs. À savoir : une grande campagne de communication contre les inégalités salariales, les comportements sexistes et la lutte des stéréotypes ; la transparence salariale - « Pourquoi pas ? Comme en Allemagne », a répondu Marlène Schiappa, interrogée après l'initiative de nos voisins d'outre-Rhin chez qui, depuis janvier, une femme peut demander à comparer sa fiche de paie avec six de ses homologues masculins - ; un renforcement des sanctions et des contrôles au sein des entreprises.

« La lutte contre l'égalité salariale doit être globale », répètent les organismes, associations et entreprises interrogés lors du Tour de France de l'égalité. Pour effacer les inégalités, il faut s'y prendre à leur origine, dès l'éducation, encore trop souvent porteuse de stéréotypes de sexes, mais aussi améliorer l'orientation des jeunes filles, donner aux femmes accès à des formations professionnelles, lutter contre le temps partiel subi. Il faut aussi ne pas pénaliser dans sa carrière une femme de retour de congé de maternité, défendre la mixité au sein des branches et lutter plus efficacement contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Autant d'actions qui, si le gouvernement décide de les mener, doivent l'être conjointement.

Lire aussi : "La lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes doit être globale"

« Name and shame »

Si le projet de l'exécutif n'est pas encore achevé, l'idée n'est pas forcément de s'appuyer sur de nouvelles lois pour éradiquer les inégalités. Il existe en effet déjà un arsenal législatif important, mais il n'est pas forcément efficace car pas appliqué avec rigueur. Muriel Pénicaud avait expliqué au Journal du Dimanche (JDD), en janvier dernier:

« C'est dans les entreprises que la prise de conscience doit avoir lieu et que le rattrapage doit se faire [...] La valorisation des bons comportements comme la stigmatisation des mauvais comportements peuvent être aussi efficace que la norme. »

Le 25 janvier, le président de la République avait annoncé plusieurs mesures. Dans la continuité, Marlène Schiappa indique que les sanctions seront renforcées dans les entreprises ne respectant pas la loi et que, parallèlement, les « bonnes élèves » seraient récompensées. « J'assume le name and shame [littéralement, désigner et faire honte, ndlr] », avait redit la secrétaire d'État chargée à l'égalité entre les femmes et les hommes. À cet effet, elle a mis en place un système de classement des entreprises ne respectant pas la mixité. « On demande aux entreprises de s'engager. La France à une place de leader à prendre » dans ce domaine, estime-t-elle.

Si résorber les inégalités entre les femmes et les hommes relève d'un devoir moral, c'est aussi une responsabilité économique. Dans une période de reprise, réduire les inégalités salariales femmes-hommes serait bon tant pour les entreprises que pour le pays. D'après une étude de l'Organisation internationale du travail (OIT), le respect de l'égalité professionnelle pourrait faire grimper le PIB mondial de 3,9% d'ici à 2025. Réduire l'écart des taux d'activité entre les femmes et les hommes de 25% permettrait d'augmenter l'emploi mondial de 189 millions de postes (ou de 5,3%).

Arsenal législatif

En France, selon France Stratégie, le groupe de réflexion rattaché à Matignon, réduire les écarts de taux d'emploi et d'accès aux postes élevés permettrait un gain de 6,9 % du PIB, soit environ 150 milliards d'euros (sur la base du PIB français de 2015). La réduction des écarts se traduirait par une augmentation de 3 % de la population qui travaille, soit 608 000 postes supplémentaires. Il permettrait aussi une baisse de 0,5 % du PIB sur les dépenses des finances publiques et une hausse de 2 % du PIB sur ses recettes.

Pendant la campagne présidentielle, le candidat Jean-Luc Mélenchon avait même estimé qu'en amenant le salaire des femmes au niveau de celui des hommes, le surcroît de cotisations sociales permettrait de payer la retraite à 60 ans pour quarante annuités.

Lire aussi : L'égalité salariale homme-femme suffirait-elle à financer la retraite à 60 ans ?

Un calcul difficilement vérifiable et inspiré d'une étude menée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) en 2011. Celleci affirmait qu'en alignant les salaires des femmes sur ceux des hommes, la caisse dépenserait certes 13 milliards d'euros supplémentaires entre 2012 et 2050, mais elle recevrait en contrepartie 18,5 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Soit un solde positif de 5,5 milliards. Mais, à horizon 2060, la mesure générerait davantage de dépenses que de ressources.

Aujourd'hui, pour résorber les inégalités salariales, tout un arsenal législatif existe déjà. Muriel Pénicaud, dans son entretien au JDD rappelait :

« L'égalité entre les femmes et les hommes est un principe constitutionnel, et la loi Roudy sur l'égalité a 35 ans. »

Dans le monde du travail, les entreprises de 50 à 299 salariés sont contraintes, depuis 2013, de négocier un accord collectif sur l'égalité professionnelle ou de mettre en place un plan d'action unilatéral. Or, aujourd'hui encore, à peine un peu plus de 60% d'entre elles ont respecté la loi. Si les entreprises sont encore trop peu nombreuses à l'avoir fait, c'est aussi parce que les pénalités financières restent rares : seules 157 sociétés ont été condamnées à verser une amende depuis 2013. Et même si l'entreprise a fait la démarche d'un accord ou d'un plan d'action, cela ne signifie pas forcément que la lutte pour les égalités salariales est plus efficace.

Lire aussi : "Tout ce qui pénalise les femmes dans les entreprises est devenu intolérable" Brigitte Grésy

Pour Sophie Pochic, directrice et chercheuse au CNRS, les entreprises, et notamment les PME, pas assez impliquées sur ces problématiques d'égalité femmeshommes, ont dû intégrer cette dimension alors même que les représentants du personnel et les RH y sont peu nombreux.

« Ces entreprises ressentent un risque de nonconformité et choisissent, par mimétisme finalement, de faire un copier-coller de la loi. On assiste à une standardisation avec des textes inadaptés et des notions non maîtrisées. »

Pis, pour la chercheuse, cela renforcerait une illusion de l'égalité.

« Sur le papier, accroché dans les locaux, c'est bien », encore faut-il que ce soit efficace.

Certes, certaines entreprises ont pris de l'avance et se sont réellement engagées sur la question, mais cela crée ainsi une égalité à deux vitesses avec des politiques qui diffèrent selon la taille et la volonté de l'entreprise. Cela n'est, semble-t-il, pas suffisant pour réellement éradiquer les inégalités. L'avenir dira si, avec son plan d'action, le gouvernement arrivera à remplir le fort ambitieux (mais nécessaire) objectif. Pour Emmanuel Macron, rendez-vous en 2022.

> Pour aller plus loin, lire notre dossier complet : Quelle place pour les femmes dans l'économie ?

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Les inégalités salariales en chiffres

  • Selon un rapport du Forum économique mondial, l'égalité des salaires entre les femmes et les hommes ne sera pas atteinte avant 217 ans... soit en 2234 !
  • 61,4% des entreprises disposent aujourd'hui d'un accord collectif ou d'un plan unilatéral sur l'égalité, alors que depuis 2013 c'est obligatoire.
  • 60% des 50 premières branches ne disposent pas d'accord valide, et 34 % des entreprises de moins de 299 salariés en ont signé un.
  • 82,5% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. À poste de valeur égale, une femme gagne 9% de moins qu'un homme. La ministre du Travail entend supprimer cet écart d'ici à la fin du quinquennat.
  • Le salaire mensuel net moyen en France est de 1.962 euros pour les femmes, tandis qu'il est de 2.410 euros pour les hommes.
  • 1 salariée sur 2 a déjà eu le sentiment qu'être une femme a constitué un frein dans sa carrière professionnelle.
  • Aujourd'hui, 42% des femmes sont cadres.
  • En 2014, les responsables du G20 se sont engagés à réduire de 25% d'ici à 2025 l'écart entre le taux d'activité des femmes et celui des hommes. Par conséquent, le PIB mondial augmenterait de 3,9% en 2025.