Attentat de Nice : Hollande face à la revendication du "tout sécuritaire"

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1447  mots
Lors de son entretien télévisé du 14 juillet, François Hollande annonçait la fin de l'état d'urgence... Après l'attentat de Nice, il a dû y renoncer. Et le débat sur le l'arsenal sécuritaire de la France va être relancé.
Après l'odieux attentat de Nice, François Hollande a été politiquement contraint de renoncer à mettre fin à l'état d'urgence. Pourtant, une loi votée le 4 juin, permettait de prendre le relai de cette situation exceptionnelle... Le débat sur l'arsenal sécuritaire de la France va être relancé.

Le nouvel attentat à Nice qui a fait au moins 84 victimes a forcé le président de la République a revenir sur des propos tenus le matin même du 14 juillet lors de sa traditionnelle interview télévisée. Quelques heures en effet seulement avant que le camion ne fonce dans la foule sur la promenade des Anglais, François Hollande annonçait que l'état d'urgence prendrait fin le 26 juillet, au lendemain de l'arrivée du Tour de France à Paris. L'état d'urgence a été décrété par François Hollande dès le soir des attentats du 13 novembre (130 morts à Paris). Mais il ne peut excéder douze jours, sauf si une loi le prévoit. Aussi, via un texte législatif, le Parlement l'a prolongé pour trois mois supplémentaires à compter du 26 novembre, puis à nouveau du 26 février au 26 mai, et enfin pour deux mois jusqu'au 26 juillet (mais sans recours aux perquisitions administratives) afin de sécuriser deux événements sportifs majeurs: le Tour de France et l'Euro 2016.


L'arsenal permis par l'état d'urgence

L'état d'urgence a été institué par une loi de 1955 votée à l'initiative d'Edgard Faure alors que la guerre d'Algérie avait débuté. Elle autorisait le régime des assignations à résidence mais le cantonnait à certains individus. Aussi la loi votée par le Parlement en décembre prévoyait que l'assignation à résidence pourra être élargie « à toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public. Il pourra être interdit à la personne assignée à résidence d'entrer directement ou indirectement en contact avec des personnes soupçonnées également de préparer des actes portant atteinte à l'ordre public".

Par ailleurs, le texte permet au ministre de l'Intérieur de procéder à des perquisitions administratives, sans passer par l'autorité judiciaire.

Le procureur de la République sera informé de toute décision de perquisition, qui se déroulera en présence d'un officier de police judiciaire. "Lors de ces perquisitions, il pourra être fait copie sur tout support des données stockées dans tout système informatique ou équipement" ("cloud" y compris donc). Des précisions nécessaires, puisque, par la force des choses, la loi de 1955 ne pouvait pas les prévoir.

La loi ouvre aussi  la possibilité de dissoudre les associations ou groupements "qui participent, facilitent ou incitent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public, et qui comportent en leur sein des personnes assignées à résidence". Sont notamment visées certaines associations gestionnaires de mosquées connues pour leurs prêches radicaux.

3.500 perquisitions menées

Selon un bilan du ministère de l'Intérieur, entre novembre 2015 et avril 2016, quelque 3.500 perquisitions ont été menées dans le cadre de l'état d'urgence, débouchant sur plus de 400 interpellations,. Cependant, les perquisitions administratives et assignations à résidence ont eu un effet dans un premier temps puis cet effet s'est amenuisé.

Après l'échec de François Hollande de « constitutionnaliser » l'état d'urgence, en raison du surréaliste débat sur la déchéance de la nationalité, une « simple » loi parue au Journal Officiel le 4 juin a été promulguée « pour renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ». C'est sur cette loi que comptait François Hollande pour prendre le « relai » de l'état d'urgence. Un texte qui était aussi une réponse du gouvernement Valls aux nombreux appels de certains responsables "Les Républicains" et du Front National en faveur d'un durcissement de l'arsenal sécuritaire français. Certains prônant même l'ouverture d'un "Guantánamo" à la française pour interner tous les "fichiers S", ces individus ayant fait l'objet d'un "signalement" pour leur radicalisme.

La loi du 4 juin: la réponse de la majorité aux ultras du "tout sécuritaire"

Ce texte très contesté par ses opposants qui le trouve trop attentatoire aux libertés individuelles va de fait déjà très loin.

Il rend notamment les perquisitions de nuit possibles dans des domiciles en matière de terrorisme et en cas de risque d'atteinte à la vie et autorise l'utilisation de dispositifs techniques de proximité pour capter directement les données de connexion nécessaires à l'identification d'un équipement terminal ou du numéro d'abonnement de son utilisateur. Il permet aussi le recours aux sonorisation, fixation d'images et captation de données informatiques dans le cadre des enquêtes diligentées pat le parquet. En outre, la captation des données informatiques n'est plus réservée à celles qui s'affichent sur un écran ou sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels, mais elle est étendue à celles qui sont stockées dans un système informatique ("cloud").

En plus des cas de légitime défense, les policiers et gendarmes sont dotés du pouvoir de neutraliser un individu armé venant de commettre plusieurs meurtres ou tentatives et dont on peut légitimement supposer qu'il se prépare à en commettre d'autres. Ils peuvent intervenir sans attendre qu'il y ait un nouveau commencement d'exécution.

Sur le modèle de la mesure de vérification d'identité, il est instauré un nouveau cas de retenue pour examen de la situation administrative des personnes dont il existe des "raisons sérieuses de penser qu'elles représentent une menace pour la sûreté de l'État ou qu'elles sont en relation directe et non fortuite avec de telles personnes". Cette retenue, sur place ou dans un local de police, ne peut excéder quatre heures.... largement insuffisant pour une partie de la droite et de l'extrême droite.

Par ailleurs, les personnes qui se sont rendues ou ont manifesté l'intention de se rendre sur des théâtres d'opérations terroristes peuvent faire l'objet d'un contrôle administratif à leur retour. Ce dispositif pourra s'appliquer sur une période maximale d'un mois pour ce qui concerne l'assignation à demeurer à domicile ou dans un périmètre déterminé, et de six mois pour ce qui concerne la déclaration de la domiciliation, des moyens de communication et des déplacements.

Enfin, la loi prévoit que pour les terroristes condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité la cour d'assises aura la possibilité de porter la période de sûreté à 30 ans ("peine de perpétuité réelle").

En prison, le texte autorise des fouilles ordonnées par le chef d'établissement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens.

Pas d'unité nationale

Un dispositif lourd donc et qui devait permettre de mettre fin à la procédure exceptionnelle de l'état d'urgence. Mais, politiquement parlant, après les odieux événements de Nice, François Hollande n'avait plus politiquement le choix que de finalement prolonger l'état d'urgence... dont on peut se demander quand il finira.

D'autant plus que l'on n'est pas dans la même situation qu'au lendemain des attentats contre « Charlie » en janvier 2015. Après Nice, il n'y a pas d'unité dans la classe politique. François Hollande et son gouvernement sont accusés à droite de ne pas avoir tiré les enseignements des précédents attentats. Eric Ciotti, député « Les Républicains » des Alpes-Maritimes n' a pas traîné pour réitérer sur France Info ce vendredi 15 juillet ses idées « sécuritaires » pour lutter contre les terroristes : "La rétention administrative, dans des centres fermés pour ceux qui représentent une menace [et] la rétention de sûreté pour ceux qui sont condamnés, qui sortent de prison mais qui restent particulièrement dangereux".

Certes mais le droit français ne permet pas actuellement des mesures arbitraires de détentions préventives administratives. Pour être privé de liberté, il faut un jugement... Surtout, les mesures prônées par Eric Ciotti sont-elles efficaces alors que, comme le soulignent plusieurs responsables de la sécurité, nous semblons entrer dans une période de « terrorisme de la troisième génération?  A ce stade, l'auteur de l'attentat de Nice ne semblait pas connu pour son radicalisme et sa capacité à passer à l'action terroriste. Il semble désormais que des « loups solitaires » peuvent passer d'un coup à l'action alors qu'ils n'étaient pas « fichés S ». Une ère où le terroriste peut être le « voisin de palier », totalement insoupçonnable. Le scénario le plus dangereux pour la cohésion nationale... et le plus difficile à gérer pour la classe politique qui ne doit pas jeter d'huile sur le feu.