"Décision révoltante", "trahison"...La fermeture de Bridgestone suscite la colère des politiques

Par latribune.fr  |   |  986  mots
(Crédits : © Max Rossi / Reuters)
L'annonce a fait l'effet d'un "choc brutal" dans la commune des Hauts-de-France. Le groupe japonais, qui évoque un problème de surcapacité en région, assure vouloir limiter la casse. La fermeture pourrait intervenir à partir du "deuxième trimestre 2021", ce qui provoque un tollé du côté des politiques et des syndicats.

Le Japonais Bridgestone va fermer son usine de Béthune (Pas-de-Calais) qui emploie 863 personnes dans la fabrication de pneumatiques pour voitures, la classe politique crie au scandale. Cette décision est "révoltante, avec une méthode révoltante et des conséquences révoltantes", a réagi jeudi le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire.

"Nous allons nous battre" a assuré Bruno Le Maire, dans un premier temps pour tenter de "développer une autre activité avec des pneus plus larges que ceux qui sont produits actuellement sur le site de Béthune".

"Et si jamais nous n'arrivons pas à cette solution là, (pour) trouver des solutions de réindustrialisation du site pour qu'il y ait, pour chaque ouvrier de Bridgestone, une solution qui soit une solution cohérente et acceptable pour eux", a-t-il ajouté.

La veille, l'industriel avait tenté d'expliquer sa décision, déjà pressentie avant la crise. Il a évoqué :"des problèmes de marché structurels nous amènent à prendre des mesures structurelles pour préserver la viabilité des opérations de l'entreprise", a annoncé à l'AFP Laurent Dartoux, président et directeur général de Bridgestone Europe Afrique et Moyen-Orient. La fermeture de cette usine "est un projet que nous ne prenons pas à la légère", a-t-il affirmé.

Invoquant une surcapacité de production en Europe et la concurrence des marques asiatiques à bas coûts, le groupe assure vouloir limiter au maximum le nombre de licenciements grâce à des mesures de préretraite, de reclassement interne ou externe des salariés et la recherche d'un repreneur pour le site.

Bridgestone précise dans un communiqué avoir informé les salariés mercredi matin qu'il envisageait "la cessation totale et définitive de l'activité de l'usine de Béthune", lors d'une réunion extraordinaire du comité social et économique. La fermeture pourrait intervenir à partir du "deuxième trimestre 2021".

Une "trahison"

Le gouvernement et Xavier Bertrand ont aussitôt dénoncé une "trahison" et réclament des "scénarios alternatifs". Dans un communiqué commun, ils demandent à l'entreprise "que soient ouverts et analysés en détail l'ensemble des scénarios alternatifs à la fermeture du site".

Marine Le Pen, de son côté s'est exprimé sur Twitter, pointant "des annonces sociales terribles, dans une quasi-indifférence".

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF estime de son côté que "L'État doit prendre la main et entrer au capital ! (...) Une exigence doit être posée de toute urgence: les milliards d'argent public du plan de relance doivent être consacrés au maintien de l'emploi et en aucun cas à sa destruction."

Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, prône quant à lui le "patriotisme économique", sans quoi "la désindustrialisation du pays continuera".

Un risque présent depuis plusieurs années

Sur place, dans la vaste zone industrielle située en périphérie de la ville du Bassin minier, c'est la douche froide. "On pensait à une réorganisation mais pas à une fermeture !", commente sobrement Christophe Bouttmy, délégué syndical Sud chimie, à l'extérieur de la salle où se tient le CSE.

Pour l'un de ses collègues, portant un polo rouge siglé Bridgestone, "ça faisait des années qu'on le pressentait mais, quand on demandait si quelque chose se préparait, ils disaient non..."

"Ca fait 5.000 familles qui vont être impactées" avec les sous-traitants, s'alarme Jean-Luc Ruckebush, délégué CGT. "On importe 151% de pneumatiques en France. On pourrait les fabriquer dans le pays. La concurrence est faite par notre propre groupe, par nos usines sœurs !"

"L'effet d'une bombe"

Stéphane Rumeau, délégué FO, tend ses bras, il a la chair de poule. "J'ai passé 27 ans ici, je suis entré comme intérimaire (...) Ca fait l'effet d'une bombe. Je suis à moitié surpris mais qu'ils disent fermeture directe, c'est chaud ! Ils ont fait venir tout le monde à la cantine pour l'annoncer avec une vidéo. Et il faut retourner travailler après ça !"

Bridgestone se dit "pleinement conscient des conséquences sociales d'un tel projet et s'engage à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour définir un plan d'accompagnement adapté à chaque employé". Des reclassements pourraient notamment être envisagés dans les activités commerciales et de distribution du groupe qui emploient 3.500 personnes en France.

Cette annonce intervient près d'un an après la décision du concurrent français Michelin de fermer son usine de pneus de La Roche-sur-Yon (Vendée) qui employait 619 salariés et son site de Bamberg, en Allemagne (858 salariés). Le groupe Continental a par ailleurs annoncé mardi la fermeture de son usine de pneus à Aix-la-Chapelle (Allemagne, 1.800 emplois).

C'est un nouveau coup dur pour la région Hauts-de-France, déjà fortement touchée par la fermeture de deux importants sites de fabrication de pneumatiques: Continental à Clairoix dans l'Oise (683 salariés en 2010) et Goodyear à Amiens-Nord (1.143 salariés en 2014). Les deux ont donné lieu à une forte mobilisation syndicale et entraîné de longues procédures judiciaires.

Le manufacturier japonais revendique le premier rang mondial sur le marché des pneumatiques. L'usine de Béthune, qui produit des pneus pour l'automobile sous les marques Bridgestone et Firestone, connaît des difficultés de longue date. Elle est "la moins performante" parmi la dizaine d'usines du groupe en Europe, affirme la direction. En une décennie, ses effectifs ont chuté de 40%, au même rythme que ses volumes de production dans un marché stable. Comme Michelin l'an dernier, Bridgestone invoque la concurrence de plus en plus forte des marques asiatiques à bas coûts, notamment chinoises. Il estime que leur part de marché est passée de 6% à 25% entre 2000 et 2018.

La crise sanitaire n'a rien arrangé. Le marché automobile européen a chuté de près de 40% au premier semestre et devrait rester en baisse de 25% sur 2020, frappé par les conséquences de la pandémie de Covid-19.

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