Juppé, Fillon, des programmes économiques pas si différents

Par Ivan Best  |   |  920  mots
Soutiens de chaque camp et commentateurs politiques insistent sur les différences entre les programmes économiques de François Fillon et Alain Juppé. En fait, ils sont assez semblables. Sauf s'agissant de promesses intenables, concernant la réduction du nombre de fonctionnaires

Quand Jean-Pierre Raffarin, soutien d'Alain Juppé, affirme que le programme du maire de Bordeaux « est faisable de A à Z », tandis « que le programme de François Fillon est un programme qu'il ne pourra pas tenir », a-t-il raison ? Et d'ajouter notamment qu'« il ne faut certainement pas bloquer tout recrutement dans le service public », conséquence implicite de la proposition de François Fillon de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires.

A entendre l'ancien ministre Raffarin tout comme de nombre de commentateurs, il y aurait donc des différences majeures entre les programmes économiques des deux candidats propulsés au second tour de la primaire de la droite et du centre. D'un côté, un programme modéré, celui d'Alain Juppé, de l'autre, une véritable potion amère qu'administrerait le « Thatcher de la Sarthe », selon l'excellente formule de Challenges.

Les électeurs de la droite et du centre auraient donc face à eux une alternative claire et nette, entre deux options politiques antinomiques. C'est l'histoire qu'ont bien sûr intérêt à raconter les candidats et leurs soutiens, de même que les commentateurs de la chose politique. Ce « story telling » correspond-il à la réalité ? Et surtout à ce pourraient vraiment faire Alain Juppé ou François Fillon, s'ils parviennent au pouvoir ?

En réalité, les logiques à l'œuvre dans les deux cas sont assez semblables : promesse de baisse de la dépense publique sans remise en cause du périmètre des administrations publiques et allègement massif des charges des entreprises. Sur le premier point, comme le souligne l'économiste Olivier Babeau

« on peut signaler par exemple que les tabous de l'introduction d'une part de capitalisation dans notre système de retraite, ou la mise en concurrence de la sécurité sociale avec des assurances de santé privées moins chères et plus performantes n'ont pas été brisés dans une campagne qu'on s'est plu à décrire comme le printemps du libéralisme » .

Le rabot pour la dépense publique...

Qu'Alain Juppé prévoie 80 à 100 milliards d'euros de baisse de la dépense publique sur cinq ans versus 100 milliards pour Alain Fillon, ne change donc guère la donne. Dans les deux cas, appliquer la technique habituelle du rabot budgétaire -puisque c'est bien de cela qu'il s'agit- permettra difficilement d'atteindre ces montants, sauf à gonfler les chiffres, comme a pu le faire le gouvernement actuel.

... et de bien hypothétiques coupes dans les effectifs de fonctionnaires

Le débat risque de focaliser sur la baisse des effectifs de fonctionnaires. Mais en réalité, dans les deux cas, les chiffres annoncés ne paraissent pas réalistes. François Fillon évoque désormais 500.000 postes en moins, il a cependant précisé que la moitié correspondrait à des contractuels. Problème: ce sont souvent eux qui font « tourner la boutique ». Alain Juppé, lui, parle de 200.000 à 250.000 postes supprimés. Toutefois, s'agissant de l'Etat, où la capacité d'action du gouvernement est bien sûr la plus grande -par rapport aux collectivités locales qui sont autonomes et aux hôpitaux déjà sous tension-, il entend épargner l'Éducation, la Police-Gendarmerie, la Défense, la Justice... L'éducation nationale, si l'on inclut les universités, c'est 56% des effectifs de l'Etat, selon le rapport annuel de Bercy concernant la fonction publique (page 60) . Au total, les secteurs protégés par Alain Juppé, et donc ne faisant l'objet d'aucune coupe dans leurs effectifs -des créations d'emplois sont même prévues pour la sécurité- représentent 82% des fonctionnaires de l'Etat !  Les 18% restants vont sentir la politique Juppé... si elle est vraiment mise en œuvre.

Une différence majeure, toutefois, entre Alain Juppé et François Fillon: ce dernier prévoit de passer à 39 heures par semaine le temps de travail dans la fonction publique, avec traitement maintenu à son niveau actuel, sur la base de 35 heures.

  Fiscalité: même inspiration, curseurs différents

 Concernant le volet fiscal du programme, les politiques seraient identiques, seuls les curseurs différeraient. Dans les deux cas, priorité est donnée à la compétitivité des entreprises, via la baisse des charges des employeurs et celle de l'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS). Pour François Fillon, les baisses des charges pour les employeurs atteindraient 25 milliards, auxquels s'ajouterait une diminution de 10 milliards d'euros de l'Impôt sur les sociétés. Qu'en est-il pour Alain Juppé ? Il propose une baisse de 10 milliards d'euros des cotisations famille à la charge des employeurs, et, côté impôts payés par les entreprises, une réduction de des cotisations additionnelles à l'impôt sur les sociétés (-2,8 milliards d'euros d'impôt) ainsi qu'une baisse des taux affichés (pour 10,9 milliards). Alain Juppé allègerait donc de 23,7 milliards les prélèvements des entreprises, contre 35 milliards pour François Fillon.

Au total, François Fillon annonce 50 milliards d'euros de prélèvements obligatoires en moins, dont 35 milliards pour les entreprises, tandis qu'Alain Juppé évoque un total de 35 milliards. Mais François Fillon entend relever plus nettement la TVA (deux points pour le taux normal et intermédiaire, soit 15 milliards de prélèvements obligatoires en plus), contre un point pour le taux normal avec Alain Juppé. Au total, compte tenu de ces différences sur la TVA, les baisses nettes d'impôt seraient de 28 milliards pour Juppé et 35 milliards pour François Fillon.

S'agissant du marché du travail, tous deux veulent que les entreprises gagnent en autonomie : le code du travail, allégé, serait pour une grande partie renvoyé à la négociation.