"Gilets jaunes" : le délicat démarrage du prélèvement à la source

Par latribune.fr  |   |  1338  mots
(Crédits : REUTERS)
Le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu a été largement préparé et anticipé. Mais au delà du défi technique, la crainte subsiste que cette réforme fiscale majeure contribue à raviver la colère des "Gilets jaunes" en janvier.

Le prélèvement à la source, appliqué dans la quasi-totalité des pays occidentaux, consiste à collecter l'impôt directement sur les revenus et non plus un an après leur versement, comme c'était le cas jusqu'en 2018 en France. Ce mode de collecte permet d'ajuster automatiquement le niveau d'imposition aux variations de revenus, et d'éviter les difficultés rencontrées en cas de changement de situation (licenciement, retraite, ...).

 Un prélèvement qui peut déstabiliser les Français

Le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu a été largement préparé et anticipé, mais au-delà du défi technique, la crainte subsiste que cette réforme fiscale majeure contribue à raviver la colère des "Gilets jaunes". La somme que l'employeur versera directement au salarié se trouvera diminuée dès fin janvier pour ceux qui paient l'impôt, alors même que les mesures de soutien au pouvoir d'achat adoptées en décembre ne seront pas toutes entrées en vigueur.

Si les caisses d'allocations familiales ont assuré qu'elles pourraient verser le 5 février la prime d'activité revalorisée aux nouveaux allocataires qui en feront la demande avant le 25 janvier, les retraités concernés par l'annulation de la hausse de la CSG pourraient en effet devoir patienter jusqu'en juillet.

"Cela risque de déstabiliser encore un peu plus les Français" avec des gens qui vont dire 'Regardez, ils nous pompent encore un peu plus', craint Charles de Courson, vice-président de la commission des Finances à l'Assemblée nationale.

"Les gens disent 'ils nous ont eus, ils nous dupent', on est dans une ambiance où on ne croit plus en personne", estime le député UDI, en allusion à la mobilisation des "Gilets jaunes" contre une érosion du pouvoir d'achat, et qui a contraint le gouvernement à lâcher du lest.

 La crainte des "bugs"

"Moi je n'aurais pas hésité un seul instant, j'aurais remis ça au Frigidaire en disant: on verra ça plus tard", souligne le député de Courson qui rappelle que "le président a beaucoup hésité" à la fin de l'été, mais que le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald "Darmanin s'est acharné en affirmant que tout était prêt, qu'il n'y avait aucun problème".

Lire aussi : Prélèvement à la source : Darmanin évoque un arrêt éventuel

Une particularité du système fiscal français, longtemps mise en avant par les opposants au prélèvement à la source, réside dans le nombre élevé de crédits d'impôt, dont la prise en compte complique la réforme. Pour déminer le terrain, le gouvernement a promis que certains crédits d'impôt comme ceux consentis pour les services à domicile, les dépenses de dépendance et l'investissement locatif feraient l'objet d'un acompte de 60% dès janvier.

"Je pense qu'ils vont avoir de très grosses difficultés et qu'il va y avoir pas mal de bugs", prédit le député. "Il y a avait un système qui était bien plus simple, qui était de rendre obligatoire la mensualisation", selon lui.

Si tout se passe bien, le gouvernement espère faire passer de 98% à 99% le taux recouvrement. Un gain pour l'État de quelque 700 millions d'euros, puisque l'impôt sur le revenu rapporte environ 70 milliards d'euros par an. La Cour des Comptes avait de son côté estimé cet été que la bascule vers le prélèvement à la source créait un risque, à la hausse comme à la baisse, de deux milliards d'euros pour les caisses de l'État.

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CE QU'IL FAUT RETENIR DE LA NOUVELLE COLLECTE
DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

Le prélèvement à la source, qui entrera en vigueur en janvier, va bouleverser les habitudes fiscales des contribuables et les pratiques de l'administration. Voici les points marquants de la réforme :

  • Revenus concernés

Presque tous les revenus sont concernés: les traitements et salaires, les retraites, les revenus des indépendants, les revenus fonciers récurrents et les revenus dits de "remplacement", comme les allocations chômage.

Seuls les revenus des capitaux mobiliers et les plus-values immobilières n'entrent pas dans le champ de la réforme: ces derniers, qui représentent 2% des revenus des contribuables, sont déjà prélevés à la source.

  •  Taux de prélèvement et la collecte

Dès avril-mai derniers, les contribuables ont pu prendre connaissance de leur taux de prélèvement via leur déclaration de revenus 2017. Ceux dont la situation familiale a depuis changé ou qui souhaitent moduler leur taux en fonction d'une évolution de revenus pourront le faire à partir du 2 janvier sur le site impôts.gouv.fr, au 0809.401.401 ou en se rendant à leur centre de finances publiques.

Le taux sera calculé par l'administration fiscale -- qui se chargera de le transmettre aux collecteurs -- sur la base des revenus de l'année précédente. Il sera actualisé chaque année, en septembre. Le contribuable pourra demander une mise à jour de son taux d'imposition en cours d'année, pour que soient pris en compte les changements de situation familiale ou des variations importantes de revenus.

Chez les salariés, l'impôt sera prélevé directement par l'employeur: il apparaîtra sur la fiche de paie au même titre que les cotisations sociales. Chez les retraités, la collecte sera réalisée par les caisses de retraite. Les travailleurs indépendants verseront quant à eux un acompte mensuel ou trimestriel, calculé par l'administration en fonction de leurs revenus des mois précédents, puis ajusté selon leurs revenus effectifs.

  •  Confidentialité et quotient familial

En théorie, les employeurs ne recevront pas d'informations confidentielles sur leurs salariés. Mais les taux communiqués par le fisc peuvent leur donner des indications sur l'état de leurs ressources (revenus fonciers, salaires des conjoints...). Pour éviter cela, les contribuables peuvent demander qu'un "taux neutre" leur soit appliqué. Si ce taux est inférieur au taux réel, le solde devra ensuite être payé directement au fisc.

L'impôt continuera à être calculé au niveau du foyer fiscal - ce qu'on appelle la "conjugalisation de l'impôt"-. Cela signifie que les deux membres d'un couple seront prélevés au même taux. En cas de disparités de revenus, il sera possible d'opter pour des taux individualisés. Le conjoint le mieux payé sera alors prélevé à un taux supérieur, et l'autre à un taux inférieur.

  • Année blanche et crédit d'impôt

Le passage au prélèvement n'empêche pas de continuer à bénéficier de réductions ou de crédits d'impôt, liés par exemple à la rénovation énergétique de son logement ou à l'emploi d'une personne à domicile.

Ces crédits resteront perçus durant l'été. Le gouvernement a toutefois décidé qu'un acompte de 60% sera versé dès le 15 janvier pour l'emploi d'un salarié à domicile, les gardes d'enfant, les dépenses de dépendance, l'investissement locatif, les dons aux œuvres et les cotisations syndicales.

Les contribuables ont payé leurs impôts 2018 sur les revenus de 2017, et les impôts 2019 sur ceux de 2019. Cela signifie que les revenus courants de 2018 ne sont pas imposés, ce qu'on appelle l'"année blanche".

Pour éviter les abus, Bercy a prévu plusieurs dispositifs, notamment pour les indépendants, qui disposent d'une marge de manœuvre sur la date de perception de leurs revenus. Si ces derniers s'avèrent en 2018 supérieurs à ceux des trois dernières années, ils seront imposés sur ce surplus.

  • Et toujours une déclaration des revenus à fournir

Le prélèvement à la source ne signifie pas la fin des démarches administratives. Les contribuables devront ainsi continuer de déclarer chaque année, au printemps, leurs revenus à l'administration. Cette démarche permettra d'actualiser le taux de prélèvement, mais aussi d'intégrer les crédits d'impôt et revenus exceptionnels, pour que le fisc puisse rembourser les "trop perçus" ou réclamer les impôts manquants.

(avec agences)