Grèves chez TotalEnergies, menace de contagion, 49.3 : la semaine s'annonce électrique

Par latribune.fr  |   |  1672  mots
Des nouvelles réquisitions de personnels qui pourraient intervenir dans les raffineries de TotalEnergies en « cas de situation tendue », a indiqué Elisabeth Borne. (Crédits : ERIC GAILLARD)
La grève se poursuit lundi dans les raffineries et dépôts de TotalEnergies en dépit de menaces de nouvelles réquisitions au début d'une semaine à haut risque marquée par un mouvement interprofessionnel mardi et les premiers départs en vacances vendredi. Hier au 20H de TF1, Elisabeth Borne a assuré que la situation dans les stations-service allait s'améliorer cette semaine. Par ailleurs, alors que la semaine sera déjà socialement chargée, le gouvernement s'apprête à déclencher l'arme constitutionnelle du 49.3 pour forcer l'adoption de la partie recettes.

Alors que les Français n'en peuvent plus des files d'attente pour faire le plein et que les vacances de la Toussaint se profilent vendredi soir, Elisabeth Borne a assuré ce dimanche sur TF1 que la situation allait s'améliorer cette semaine. Ceci en raison de la fin de la grève chez Esso-ExxonMobil et des nouvelles réquisitions de personnels qui pourraient intervenir dans les raffineries de TotalEnergies en « cas de situation tendue ».

Rappelant qu'un accord majoritaire sur les salaires avait été signé vendredi, la Première ministre a appelé la CGT a cesser le mouvement pour l'heure prévu jusqu'à mardi, voire mercredi sur certains sites. « Maintenant, il faut reprendre le travail », a-t-elle dit, précisant qu'une station sur quatre rencontrait des problèmes d'approvisionnement sur au moins un carburant. En fait, la pénurie de carburant ne s'est pas résorbée dimanche. Les chiffres diffusés dans la soirée ont, en effet, montré une aggravation de la situation des stations-service: 30,1% étaient considérées en difficulté contre 27,3% la veille.

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Avant Elisabeth Borne, c'est Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, qui était monté au créneau dans la matinée en jugeant « inacceptable qu'il y ait la poursuite de blocages ». Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui était interviewé sur Radio J, a réclamé des réquisitions, estimant que « les 150 personnes des raffineries prennent les Français en otages ». Selon le patron des patrons, une semaine de pénurie supplémentaire, « ça risque vraiment d'avoir un impact sur l'économie ».

Actuellement, les grèves concernent trois raffineries (sur sept) et cinq gros dépôts (sur environ 200) et sont plus ou moins suivies selon les sites de TotalEnergies, selon le gouvernement. Il s'agit de ceux de Normandie (raffinerie et dépôt), Donges (raffinerie et dépôt), La Mède (bioraffinerie et dépôt), Flandres (dépôt) et Feyzin (dépôt, la raffinerie étant à l'arrêt pour raison technique) où la grève a été reconduite ce lundi.

Nouvelles réquisitions

La semaine passée, le dépôt TotalEnergies de Flandres près de Dunkerque avait fait l'objet d'une réquisition lancée jeudi par le gouvernement. C'est à nouveau le cas puisque le gouvernement a annoncé, ce lundi matin, que cette réquisition avait été reconduite à 06h00 pour alimenter les stations-service des Hauts-de-France, d'Auvergne-Rhône-Alpes et de Bourgogne-Franche-Comté, a indiqué lundi le ministère de la Transition énergétique. La préfecture du Nord avait pourtant indiqué dimanche à l'AFP qu'il n'y aurait pas d'arrêté de réquisition pris pour la nuit de dimanche à lundi sur ce dépôt.

Le gouvernement a également réquisitionné le dépôt de carburant de Feyzin. « Nous le faisons pour les Français, nous ne le faisons pas contre les grévistes, elles (les réquisitions) sont absolument nécessaires pour que les gens puissent continuer d'aller au travail et subvenir à leurs besoins basiques », a justifié Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, lors d'une visite matinale sur le port de Gennevilliers en Ile-de-France, destinée à vérifier le ravitaillement en cours des camions citernes dans un dépôt alimenté par la raffinerie de Port-Jérôme-sur-Seine en Normandie.

Accord majoritaire

Un accord sur des augmentations salariales avait été conclu dans la nuit de jeudi à vendredi avec deux syndicats majoritaires de TotalEnergies, la CFDT et la CFE-CGC.

Il prévoit une « enveloppe » globale de hausse des salaires de 7%, dont 5% d'augmentation pour les ouvriers et techniciens et 3,5 % pour les cadres, plus une part individuelle qui pourra différer selon les personnes. Il prévoit, en outre, une prime d'un mois de salaire, avec un plancher de 3.000 euros et un plafond de 6.000 euros. La CGT continue elle à réclamer 10% correspondant à « l'inflation plus le partage  » des bénéfices engrangés par l'entreprise pétrolière, à savoir 5,7 milliards de dollars pour le seul deuxième trimestre (5,8 milliards d'euros). Ce lundi, le coordinateur CGT pour le groupe Eric Sellini, dont le syndicat n'a pas signé l'accord sur les salaires conclu entre la direction et deux syndicats majoritaires a déclaré que la direction « ne semble pas prête à revenir à la table des négociations. »

Le syndicat compte poursuivre le mouvement jusqu'à mardi, journée de « mobilisation et de grève » interprofessionnelle à laquelle ont aussi appelé FO, Solidaires et la FSU.

Par ailleurs, alors que la ristourne du gouvernement de 30 centimes par litre sur les prix des carburants devait passer à 10 centimes le 1er novembre, Elisabeth Borne a annoncé son prolongement jusqu'à mi-novembre. TotalEnergies fera de même pour sa ristourne de 20 centimes, a-t-elle précisé.

Risque de contagion

Interrogée sur un risque de contagion, notamment chez EDF, la cheffe du gouvernement a estimé que rien ne justifiait une « grève préventive » chez EDF dans la mesure où des négociations doivent s'ouvrir mercredi. Pour rappel, des débrayages touchent certaines centrales, obligeant la direction à décaler la remise en service de 5 réacteurs à l'arrêt pour des problèmes de corrosion.  D'une manière générale, la Première ministre a appelé les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires.

Autre menace, les transports. A la SNCF, Sud-Rail, troisième organisation représentative de l'entreprise, va proposer aux cheminots une grève reconductible à partir de mardi, journée de grève interprofessionnelle pour les salaires lancée par la CGT, FO, Solidaires, FSU ainsi que des mouvements de jeunesse. La CGT Cheminots et Sud-Rail, premier syndicat représentatif, avait appelé dès jeudi les salariés de la SNCF à la grève pour des hausses de salaires.

« On fera des assemblées générales le mardi 18 octobre un peu partout en France et on posera la question de la grève reconductible », a indiqué dimanche à l'AFP Fabien Villedieu, délégué syndical Sud-Rail, confirmant une information de BFMTV. « Le juge de paix ce sera le cheminot, si le cheminot dit "une journée ça suffit", on fera une journée, si les cheminots disent majoritairement "on reconduit", on partira en grève reconductible », a-t-il ajouté. Selon lui, « les choses vont s'éclaircir mardi, ce sera le premier test, il faut déjà qu'une grève marche bien le premier jour. Il y a des chances pour que cela reconduise assez globalement jusqu'au mercredi ».

« Nous demandons 400 euros nets en plus par mois », a précisé Fabien Villedieu.

 Le 6 juillet, la direction de la SNCF avait octroyé une augmentation moyenne de 3,7% pour les petits salaires et 2,2% pour les cadres à l'issue d'une journée de grève qui avait perturbé les départs en vacances d'été.

49.3 en vue mais pas ce lundi

La Première ministre française Elisabeth Borne a annoncé dimanche que le gouvernement, qui ne dispose pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale, n'utiliserait pas lundi pour son projet de budget 2023 l'article 49.3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote sauf en cas de motion de censure votée par les députés. « Ils (les parlementaires d'opposition) m'ont à peu près tous confirmé qu'ils ne voteraient pas le budget, voire qu'ils voteraient contre. Donc on sera sans doute emmené à recourir au 49.3. Mais contrairement à ce que dit Jean-Luc Mélenchon, ce ne sera pas demain », a-t-elle déclaré sur TF1. Le chef de file de La France Insoumise (LFI), qui a organisé ce dimanche une manifestation à Paris, avait auparavant déclaré que la Première ministre « allait amplifier la crise » en annonçant un recours au 49.3 dès lundi lors de la reprise des travaux à l'Assemblée nationale, à la veille de la journée de grève interprofessionnelle.  Les spéculations vont bon train sur le moment que va choisir la Première ministre: mercredi, jour théorique de fin des discussions dans l'hémicycle, voire plus tard? Mardi est moins probable, pendant la journée de « mobilisation et grève » interprofessionnelle initiée par la CGT.

« Je souhaite que le débat ait lieu », a-t-elle indiqué. « Qu'on aille le plus loin possible », avait affirmé plus tôt le ministre des Comptes publics Gabriel Attal, même si au fil des jours « la facture s'alourdit » avec des votes la semaine dernière entraînant déjà 8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires.

Le gouvernement a été battu déjà à maintes reprises : l'objectif clé de contenir le déficit public à 5% du PIB en 2023 a été effacé, l' « exit tax » concernant l'exil fiscal des entrepreneurs été rétablie, et des crédits d'impôt votés pour tous les résidents en Ehpad ou pour la rénovation énergétique de logements. Le groupe MoDem, membre de la majorité, a même fait adopter une majoration de la taxation des « super dividendes » sans l'aval du gouvernement. Mais malgré quelques poussées de tension, il n'y a pas eu d'obstruction, ce qui n'a pas donné l'occasion pour le gouvernement d'actionner un déblocage via le 49.3. Plus de 2.000 amendements restent à examiner, sur les plus de 3.400 déposés, à commencer lundi par la proposition de la Nupes de rétablir l'ISF. Et de gros sujets restent à venir, comme la taxation des « superprofits » peut-être lundi, la suppression de la CVAE, un impôt sur les entreprises, et encore le bouclier tarifaire sur l'énergie.

Dans l'équation du 49.3, pèse aussi la contestation sociale. « Il vaut mieux régler le problème des raffineries TotalEnergies » avant de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement et d'être confronté aux motions de censure annoncées par la Nupes et le RN, expose une source gouvernementale.  Les motions en question sont quasi prêtes, et ont peu de chances d'être adoptées - les députés RN ne voteront pas « a priori » la motion Nupes, a indiqué leur patronne Marine Le Pen. Et vice versa pour la gauche.

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