L'investissement public, seule solution pour redresser la croissance ?

Par Mathias Thépot  |   |  1062  mots
La président de l'OFCE Xavier Ragot questionne la pertinence des critères budgétaires européens.
La relance par l'investissement public est une solution trop peu explorée en France, et pourtant nécessaire pour doper la croissance, a expliqué Xavier Ragot, le président de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lors d'une matinale des travaux publics organisée par la FNTP et La Tribune.

Pour lutter contre les perspectives de stagnation économique, il semble que les Etats européens aient délaissé une voie pourtant efficace : la relance par l'investissement public. Trop obnubilées à thésauriser et à instaurer des réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail et à baisser les charges sur les entreprises, les économies européennes souffrent désormais d'un manque criant d'investissements. Or, du fait de l'avenir incertain, les Etats devraient montrer la voie et jouer un rôle moteur pour le secteur privé dans la relance de l'économie. Mais l'investissement public est aujourd'hui trop rarement érige en priorité par les dirigeants politiques. Un renforcement des investissements publics serait pourtant vertueux pour la croissance, démontre une note de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) réalisée pour la fédération nationale des travaux publics (FNTP) et qui sera publiée dans les prochaines semaines.

Restrictions budgétaires

Mais la tendance est davantage à la baisse de ces investissements. La France notamment, à trop vouloir réduire son déficit, a érodé l'investissement public local, qui représente 70 % de l'investissement public civil. La baisse du déficit public à 3,5 % du produit intérieur brut en 2015, qui vise in fine à respecter les critères budgétaires européens de 3 % du déficit public, découle en effet principalement des efforts budgétaires des administrations publiques locales. Elles ont fini l'exercice 2015 avec un excédent de 700 millions d'euros, alors même que leur besoin de financement s'élevait à 4,6 milliards d'euros en 2014. Or, cet excédent dégagé est principalement lié à la baisse des investissements du secteur public local, de 4,6 milliards d'euros en 2015. Une baisse de 10 % en un an seulement ! Le niveau d'investissement des collectivités locales a ainsi atteint son plus bas niveau depuis 2006, à moins de 50 milliards d'euros.

Réduire l'investissement public, un choix de court terme

En période de stress, il est en fait toujours plus facile pour les agents économiques de réduire la voilure dans les dépenses d'investissement. Et dans le contexte budgétaire actuel tendu, « le choix est très souvent fait de réduire l'investissement public qui à court terme est un coût, et dont les rendements ne se font sentir que cinq ou sept années plus tard », note Xavier Ragot. Mais malheureusement, un niveau trop faible d'investissement public ne peut être sans conséquence. Sous-investir dans les infrastructures et dans l'entretien du patrimoine public entraîne un coût pour la collectivité et les générations futures.

Selon le président de l'OFCE, la faiblesse de l'investissement public a fortement déprécié les actifs de l'Etat, qui font partie intégrante du bien commun. Or, il n'y a pas que la dette publique qui est léguée aux générations futures, comme on l'entend trop souvent, il y a aussi le patrimoine national qu'il faut entretenir. De ce point de vue, « nous sommes en train de rogner sur ce que l'on va laisser à nos enfants », déplore Xavier Ragot.

De la dette qui génère de la croissance

Par ailleurs, il faut aussi dire que l'investissement public permet de lutter contre le chômage. On sait par exemple que 16 % des dépenses des collectivités locales sont dirigées vers les secteurs du bâtiment et des travaux publics, très pourvoyeurs en emplois. Ces secteurs sont donc de fait indirectement affectés par les critères budgétaires européens.

Or, aux coûts actuels très faibles des financements sur les marchés, l'État français pourrait dans l'absolu s'endetter davantage pour investir dans les infrastructures. Car comme le rappelle Xavier Ragot, « il y a de la dette publique qui génère de la croissance ». Mais s'endetter encore plus ne serait-il pas rédhibitoire vis à vis des marchés financiers au regard du niveau actuel- près de 100 % du PIB - de la dette française ? « Non, quand ça va mal, il faut agir », juge Xavier Ragot. « N'hésitons pas. Mieux encore, la dette française étant de très bonne qualité, on ferait plaisir aux marchés financiers ! », estime-t-il.

Un pays désendetté mais pauvre ?

Problème, une nouvelle hausse de la dette française, même pour la bonne cause de l'investissement, ne serait pas en phase avec la vision actuelle des institutions européennes. Pour Xavier Ragot, il est donc indispensable de revoir les critères budgétaires de Maastricht, qui ne différencient pas la finalité des emprunts publics. Le patron de l'OFCE milite pour une prise en considération différente des investissements publics. Il faudrait, selon lui, développer un concept « de dette de croissance ». « A l'avenir, il nous faudra, certes, maîtriser la dette publique et la réduire à horizon 10 ans. Mais ne sacrifions pas notre actif ! Sinon notre pays sera désendetté mais pauvre. »

Bref, il semble nécessaire de convaincre les décideurs publics de repenser leur stratégie d'investissement, pour qu'ils aient une vision de plus long terme. « Quelle France voulons-nous dans 10 ans ? » ; « Que va-t-on faire de nos impôts ?», questionne le patron de l'OFCE.

Mobilité, connectivité et transition énergétique

Il identifie la mobilité, la connectivité, et la transition énergétique comme les trois grands axes d'investissements publics qui pourraient être le socle d'un effet de levier important pour le secteur privé et l'économie française. « Il faut tourner les investissements publics vers des projets d'avenir qui parlent à tous », estime Xavier Ragot. « Aidons les politiques à se désengager du temps court ! Nous sommes en train de sacrifier le long terme », s'inquiète-t-il aussi. Un discours presque politique qui fait de plus en plus consensus dans le monde économique.

L'investissement public de long terme est désormais reconnu comme l'une des dernières solutions pour sortir du marasme de la stagnation. L'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne dit d'ailleurs pas autre chose : « Dans de nombreux pays, il existe une marge de manœuvre permettant de mobiliser les politiques budgétaires pour renforcer l'activité grâce à l'investissement public, notamment parce que les taux d'intérêt à long terme ont permis, dans les faits, d'accroître la latitude budgétaire. », indiquait récemment l'institution internationale. De quoi donner du grain à moudre à l'OFCE, dont les travaux vont certainement servir à certains candidats à la présidentielle de 2017 qui souhaitent se démarquer de l'orthodoxie.