La France brade-t-elle son domaine maritime ?

Par Fabien Piliu  |   |  2061  mots
L'île de Tromelin est située à 535 kilomètres au nord de l'île de La Réunion.
La semaine dernière, l'avenir de la minuscule île de Tromelin, située dans l'Océan Indien, a fait l'objet de nombreux débats et discussions.

A peine devancée par les Etats-Unis, la France possède le plus grand domaine maritime mondial. Qu''en fait-elle ? Pas grand-chose, en raison de l'absence chronique de stratégie dans ce domaine et/ou de moyens financiers adéquats.

C'est dans ce contexte qu'intervient le petit psychodrame "Tromelin". La semaine dernière, dans une tribune cosignée avec l'écrivain Irène Frain, Philippe Folliot, le député UDI du Tarn, s'est alarmé du sort réservé à cet îlot d'une surface ne dépassant pas le kilomètre carré et qui présente avant tout un intérêt scientifique et météorologique.

La cause de leur émoi ? L'examen le 18 janvier par l'Assemblée nationale d'un projet de loi qui doit sceller un accord de cogestion économique, scientifique et environnementale entre la France et l'île Maurice de ce bout de France situé à 535 kilomètres au nord de l'île de La Réunion, actuellement administré par les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Un texte qui découle de l'accord-cadre signé le 7 juin 2010 entre le gouvernement français et le gouvernement de la République mauricienne.

"Il saute aux yeux que la ratification de ce traité ne peut que justifier, légitimer et accroître les revendications, plus ou moins ouvertes, d'autres pays sur les autres îles françaises du secteur, dites «îles Eparses». Il est en effet de notoriété publique que les ressources en hydrocarbure du canal du Mozambique en général, et surtout autour de l'île française de Juan de Nova sont vraisemblablement aussi importantes que celles de la mer du Nord . Là encore, les enjeux sont colossaux. Il en va de même, dans l'océan Pacifique, pour l'île française de la Passion - généralement connue sous le nom de Clipperton. Elle suscite depuis longtemps les convoitises du Mexique. De la même façon, le précédent de Tromelin ne pourrait que raviver l'intérêt de l'Afrique de Sud et de l'Australie pour nos précieux territoires des Terres Australes ", expliquent le député et l'écrivain.

Un sujet qui tombe à pic

A défaut de trouver une utilité à son domaine maritime, la France a-t-elle décidé d'abandonner quelques-uns de ses confettis de l'histoire ? Pour le Front national, ce dossier est une aubaine ! En pleine période pré-électorale, l'avenir de Tromelin permet de cristalliser les peurs des citoyens quant à la perte de souveraineté de la France. Sauf que le FN fait une interprétation hâtive de ce dossier...

Comme l'a précisé Matthias Fekl, le secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur mercredi à l'Assemblée nationale, cet accord ne remet pas en cause "la souveraineté de la France". Cet accord "vise à engager une coopération mutuellement bénéfique" entre la France et Maurice, et porte " sur quatre domaines bien précis: l'environnement, la pêche, la météorologie et l'archéologie. Il ne saurait bien sûr être question de remettre en cause la souveraineté de la France dans la région et sur Tromelin. Rien dans la mise en oeuvre de cet accord ne peut constituer une base de contestation de notre souveraineté. Toutes les garanties juridiques ont été prises. Ne laissons pas répandre l'idée que la France puisse, de quelque manière que ce soit, abandonner ses territoires et renoncer à sa souveraineté ", a déclaré le ministre.

Un peu d'histoire

Le drapeau bleu-blanc-rouge continuera à flotter sur ce caillou la plupart du temps inhabité, sauf lorsque quelques scientifiques débarquent pour des missions ponctuelles. Tromelin est dépourvue d'eau potable et balayée par des alizés si puissants que la moindre culture est impossible. Donc, au regard de ces éléments, qu'est-ce que la France a cédé à l'Ile Maurice ?

En fait, dans la foulée de son indépendance, en 1968, l'Ile Maurice réclame à la France la possession de Tromelin considérant que l'île devait lui revenir. Depuis 1976, Port-Louis tente en vain d'expliquer à Paris que le Traité de Paris, du 30 mai 1814, par lequel la France cédait à la Grande-Bretagne l'Ile Maurice et ses dépendances, incluait Tromelin.

De son côté, la France continue de considérer Tromelin comme l'une de ses "îles Eparses", ce chapelet de cinq petites îles situées dans le canal du Mozambique constituées de l'île Europa, Bassas da India, l'île Juan de Nova et les îles Glorieuses -  l'île Grande Glorieuse et de l'île du Lys - et Tromelin. A noter, Madagascar revendique également la propriété de ces îles, à l'exception de Tromelin, et ce, depuis son indépendance en 1960.

La Zone économique exclusive en ligne de mire

Bien entendu, ce n'est pas l'île en tant que telle qui intéresse les deux parties, mais la Zone économique exclusive (ZEE) qui y est rattachée ainsi que l'octroi de droits de pêche. Après un premier échec sur ce dossier en juin 1990 - la visite de François Mitterrand à l'île Maurice n'ayant abouti à aucune concertation, Port-Louis obtient en juin 1994 le traitement de ce différend dans un cadre bilatéral. En 2002, à la suite du deuxième sommet des chefs d'État de la Commission de l'océan Indien (COI) portant notamment sur la définition des modalités de cogestion de " zones de contrôle " relatives à certaines îles de l'océan Indien et à la délimitation et au contrôle des ZEE qui leur sont attachées, des propositions de cogestion ont été présentées par la France à la partie mauricienne. Ces propositions ont abouti à l'accord-cadre du 7 juin 2010.

Que dit-il, concrètement ? Il prévoit un exercice en commun de certaines compétences dans les domaines économique, archéologique et environnemental, précisé dans les trois conventions d'application jointes à l'accord-cadre. Cette cogestion concerne l'île, la mer territoriale et la ZEE de 200 milles marins autour de Tromelin, à l'exception de la partie située au sud de l'île pour éviter que le régime de cogestion n'empiète sur la ZEE de 200 milles au large de La Réunion comme sur celle au large de l'île Maurice. Cet accord est conclu pour une durée de cinq ans, tacitement renouvelable pour une nouvelle période de cinq ans, à moins que l'une des parties ne notifie, par voie diplomatique, sa volonté d'y mettre fin, six mois avant son échéance.

Trois conventions d'application prévues

Cet accord est complété par trois conventions d'application. La première porte sur la cogestion en matière environnementale relative à l'île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants, via la création d'un groupe d'experts franco-mauriciens chargé de préparer un état des lieux environnemental, puis un schéma directeur de l'environnement. Ce dernier porte sur la protection et la valorisation du patrimoine naturel ainsi que la gestion durable des écosystèmes et l'élaboration d'un plan de lutte contre les déversements d'hydrocarbures et, plus généralement, contre toute atteinte à l'environnement

La deuxième porte sur la cogestion de la recherche archéologique sur l'île de Tromelin et dans ses espaces maritimes environnants avec la création d'une équipe scientifique franco-mauricienne pour publication scientifique de l''inventaire et de l'analyse du mobilier archéologique mis à jour (lien avec l'abandon d'esclaves sur l'île) et mise en place d'une exposition itinérante à Maurice, à La Réunion et en France métropolitaine

La troisième porte sur la cogestion des ressources halieutiques dans les espaces maritimes environnants de l'île de Tromelin. Celle-ci interdit toute pêche dans l'attente des conclusions d'une étude sur l'état de la ressource halieutique puis la création d'une politique commune de la pêche.

Les motivations du gouvernement

Rappelons que c'est Alain Juppé alors ministre d'Etat aux affaires étrangères et européennes qui a déposé le projet de loi de ratification au Sénat en janvier 2012. Le texte a été examiné en novembre 2012 par la commission des Affaires étrangères et en séance, le 18 décembre 2012 et ce sans modification. Il a ensuite été examiné et voté à l'unanimité, toujours sans modification, par la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale en mars 2013. Retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée quelques semaines plus tard, il n'avait pas été réintroduit depuis.

En cas d'adoption conforme le 18 janvier, la France aura donc ratifié l'accord. Il est assez intéressant de noter que, de son côté, la République de Maurice n'a pas encore lancé un tel processus de ratification...

Quelles sont les motivations du gouvernement ? Avec cet accord de cogestion, la France ne se contente pas de témoigner de sa volonté d'entretenir de bonnes relations avec l'Ile Maurice. Paris entend également mettre de l'ordre sur la gestion des réserves halieutiques de Tromelin. En effet, s'estimant propriétaire de droit et non de jure de l'île, le gouvernement mauricien a autorisé des thoniers asiatiques à pêcher, dépeuplent les fonds de requins. Les recours contre les thoniers étant longs, coûteux et administrativement compliqués, ils ne sont que rarement punis. Une cogestion de ces ressources avec la France pourrait permettre de résoudre ce problème de pillage des ressources sans perdre la main sur les ressources potentielles en pétrole et en gaz situées dans les sous-sols du canal du Mozambique.

Le Medef craint les précédents

Le Medef est également sur les rangs. Il  "attire l'attention des parlementaires et leur demande de veiller, par toutes les expertises et les concertations avec les acteurs économiques nécessaires, à ce que la France ne se prive pas d'un potentiel économique et de créations d'emplois avant de ratifier cet accord", explique dans un communiqué l'organisation patronale. " De plus, si ce texte venait à être voté, le Medef craint que l'application de cet accord ne créé un précédent et n'entraîne la remise en cause de la souveraineté de la France sur d'autres îles, menaçant ainsi sa Zone économique exclusive, véritable atout de notre pays dans la compétition mondiale, ", poursuit le Mouvement.

En effet, attiré par les ressources potentielles gazières et pétrolifères, le Mexique a déjà fait une demande de cogestion à la France de l'îlot de Clipperton, situé à 10.200 kilomètres de la France métropolitaine et à 1.100 kilomètres au sud-ouest du Mexique. Inhabité, comme Tromelin, ce territoire est un atoll de douze kilomètres de circonférence dont la superficie est que de 1,7 kilomètres carrés. Signé le 29 mars 2007, un accord autorise déjà les Mexicains à pêcher une certaine quantité de poissons dans la ZEE de Clipperton. " Il semblerait que les contraintes maritimes prévues soient souvent appliquées de manière très laxiste, la présence française dans ces eaux étant plus qu'occasionnelle. Elle lui demande de bien vouloir lui faire connaître quelles mesures le gouvernement entend prendre afin que cet accord soit réellement appliqué ", avait interrogé en octobre 2014 Jacky Deromedi, la sénatrice - à l'époque UMP - des Français établis hors de France.

La réponse du Ministère des affaires étrangères et du développement international fut la la suivante : " une réunion entre la France et le Mexique s'est tenue en juillet dernier afin de faire le bilan à mi-parcours, conformément à l'article 9 de l'accord franco-mexicain du 29 mars 2007 sur les activités de pêche dans les 200 milles marins entourant l'île de Clipperton. Pour mémoire, cet accord prévoit que le gouvernement français octroie, à titre gratuit, chaque année, sur demande du gouvernement du Mexique, des licences de pêche aux navires mexicains qui sont inscrits au registre de la Commission interaméricaine sur le thon tropical (CIATT), organisation régionale de pêche dont la France et le Mexique sont tous deux membres. Ces échanges ont notamment porté sur la surveillance des eaux de Clipperton, l'utilisation de dispositifs de concentration de poissons, les contreparties scientifiques prévues par l'accord, et l'évaluation des ressources halieutiques autour de Clipperton ". Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Dans un entretien accordé en 2015 à La Croix, Philippe Folliot avait dénoncé le pillage des ressources par les pêcheurs mexicains, la France étant incapable de surveiller et de contrôler leurs prises.