La France, le nouveau royaume des trafiquants ?

Par Fabien Piliu  |   |  1471  mots
En 2015, la fraude à la TVA s'est élevé à 17 milliards d'euros selon Bercy
L' Assemblée nationale et le Sénat ont voté l'autoliquidation de la TVA à l'importation dans les ports pour renforcer la compétitivité des infrastructures portuaires face à la concurrence internationale. Le gouvernement a tenté de s'y opposer, sans succès en dépit des avertissements de Bercy sur le risque d'explosion de la fraude à la TVA qui a déjà coûté 17 milliards d'euros à l'Etat en 2015.

Et si l'économie bleue devenait le tombeau de nos espérances en matière d'équilibre budgétaire ? En février à l'Assemblée nationale, puis au Sénat le 10 mars, les parlementaires se sont prononcés en faveur de l'autoliquidation de la TVA à l'importation pour tous, une mesure intégrée à la proposition de loi, en procédure accélérée, pour l'économie bleue.

Concrètement, cette mesure offre la liberté aux importateurs de déclarer de façon autonome - et responsable - la TVA des produits qu'ils vont imposer sur les produits qu'ils font venir de l'étranger.

Cette réforme ne tombe pas du ciel. C'était une promesse du candidat Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012.

Faire preuve de son honnêteté et sa moralité

Avec cette mesure, les élus ratissent large, très large. En effet, aucune restriction, contrairement aux règles en rigueur. Depuis le 1er janvier 2015, l'autoliquidation est permise aux détenteurs d'une procédure de domiciliation unique (PDU). Une procédure qui demande aux opérateurs de faire preuve de leur moralité et de leur honnêteté. En effet, pour bénéficier de la PDU, ils doivent satisfaire les critères suivants : absence durant les trois dernières années écoulées d'infractions graves et répétées à la législation douanière de la part de la société, des cadres dirigeants/et ou des principaux actionnaires de l'entreprise ou des personnes responsables des questions douanières ; existence d'un système efficace de gestion des écritures commerciales (traçabilité des flux dans les écritures, contrôle interne, modalités satisfaisantes d'archivage et de protection des données...) ; solvabilité financière assurée au cours des trois dernières années.

Renforcer la compétitivité et créer des emplois

Quelles sont leurs motivations ? Ils espèrent que cette mesure renforcera la compétitivité des infrastructures portuaires face à la concurrence internationale. De nombreux emplois seraient à la clé.

" Depuis le 1er janvier 2015, l'autoliquidation à l'importation de la TVA n'est permise dans les ports français qu'aux entreprises importatrices titulaires d'un agrément à la procédure simplifiée de dédouanement avec domiciliation unique, la fameuse PDU. Cela a limité l'ouverture de l'autoliquidation à 476 entreprises seulement. Or, on le sait, cette situation crée de réelles difficultés pour nos ports. Ceux-ci sont en effet soumis à une distorsion de concurrence par rapport aux ports du Benelux, par exemple, qui, eux, pratiquent l'autoliquidation de la TVA, comme seize autres États. Il faut aller encore plus loin que ne l'avait fait la loi de finances rectificative pour 2014 ", a expliqué lors des débats le sénateur de Vendée Didier Mandelli, rapporteur du texte, ardent défenseur de l'article 3 quater, qui étend donc la procédure à toutes les entreprises.

Cette décision soulève plusieurs questions. Est-ce parce que les importateurs installés en France ne peuvent autoliquider la TVA que les ports français ont été écrasés par la concurrence belge et néerlandaise ? Soyons sérieux ! Les multiples blocages des ports par les dockers et les grutiers opposés aux tentatives de l'Etat de réforme leurs régimes de retraite sont une explication plus rationnelle.

Des recettes des TVA en berne ?

Au regard de la situation des finances publiques, et même si le déficit de l'Etat a été moins important que prévu en 2015, la France a-t-elle les moyens de prendre un risque sur le montant de ses recettes de TVA - environ 140 milliards d'euros par an - qui représentent la moitié de ses recettes fiscales globales, sachant que la fraude à la TVA s'est déjà élevée à 17 milliards d'euros l'année dernière. Soit près d'un point de PIB !

" Imaginer que cette mesure n'aura pas d'impact sur les fraude à la TVA est une aberration. Il n'y a eu aucune étude d'impact ! A cause du sous-effectif patent des services des Douanes, nous ne pouvons déjà pas contrôler tous les un millième des containers qui arrivent dans nos ports. Offrir au nom de la prétendue défense de l'emploi, de la compétitivité et du choc de simplification la possibilité d'autoliquider la TVA en pensant que tous les importateurs prendront leurs responsabilités est pour le moins naïf, sinon absurde ", explique Vincent Thomazo, le secrétaire général de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Douanes. Et de rajouter : " C'est la légalisation de la fraude au « régime 42 », ce régime douanier d'importation qui permet de payer la TVA dans le pays de mise à la consommation, ou pas... Désormais, l'autoliquidation fait que le paiement de la TVA sera sur la base du volontariat, l'autoroute de la contrebande est ouverte. Les parlementaires n'ont même pas souhaité intégrer un critère de bonne moralité ou une date d'entrée en vigueur ; ainsi les entreprises dédiées à la fraude auront les mêmes facilités que les autres ".

Le gouvernement n'a rien pu faire

Au Sénat, dans un scénario digne des meilleurs vaudevilles, le gouvernement, qui vient de créer le parquet national financier pour lutter spécialement contre l'escroquerie à la TVA, de présenter le projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation économique, a tenté de contrer l'initiative parlementaire. Au comble de l'énervement, Christian Eckert, le secrétaire d'Etat chargé du Budget a même quitté l'hémicycle, avant de revenir défendre les positions de l'exécutif !

Malheureusement, l'amendement du gouvernement visant à étendre le dispositif de manière maîtrisée n'a pas été voté. Cet amendement proposait de restreindre l'autoliquidation aux entreprises agréées à la PDU - une fois la PDU supprimée par le code européen des douanes qui entrera en vigueur le 1er mai prochain, à celles qui bénéficient du statut d'opérateur économique agréé, ainsi qu'aux intermédiaires d'opérateurs certifiés. Selon les calculs du gouvernement, cet élargissement du dispositif aurait permis de faire passer le nombre de bénéficiaires à 7.500.

" La réaction du gouvernement est difficilement compréhensible, dans la mesure où nous savons que la non-application de cette disposition coûte à notre économie : pas moins de 2 à 3 millions de conteneurs échappent chaque année à notre pays et sont débarqués à Anvers ; plus de 8 000 emplois sont perdus et nos entreprises sont privées d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. Je sais que Bercy a exprimé un certain nombre de craintes quant à la mise en œuvre de cette réforme. Mais il faut faire confiance aux opérateurs et aux acteurs. Si, à l'avenir, ces craintes s'avéraient fondées, il serait toujours temps de revenir au dispositif actuel, à savoir l'acquittement obligatoire de la TVA au moment du dédouanement ", a déclaré Hervé Maurey, le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Un pont direct entre la Chine et la France

A l'Unsa Douanes, on fulmine. " Avec cette mesure, on tue le « made in France », on sape les relocalisations d'usines, d'ateliers et de savoir-faire et l'on facilite les importations sauvages et massives de produits contrefaisants. C'est un pont direct entre la France et la Chine que le Parlement a construit avec cette mesure, au nom du libéralisme. En comparaison, l'affaire des Panama Papers est une aimable plaisanterie. En terme de destructions d'emplois et de pertes de recettes fiscales, les dégâts sur l'économie française seront sans commune mesure. Cela va faire cher de l'emploi créé dans la logistique vu les pertes budgétaires qui s'annoncent ! ", avance Vincent Thomazo.

Cette disposition entrera en vigueur une fois le décret d'application publié, après la commission mixte paritaire qui se tiendra à la fin du mois.

Cette décision est d'autant plus surprenante que les cris d'alarme dénonçant la fraude à la TVA se multiplient. Après Bercy en fin d'année, c'est la Cour des comptes européenne en mars qui a pointé du doigt les dérives

Les carrousels de TVA dans le collimateur

" C'est un problème de criminalité. L'interrompre devrait être en tête des préoccupations. La fraude à la TVA en Europe représente un problème d'autant plus crucial qu'une part importante finance le crime organisé ", a déclaré le 3 mars Neven Mates, auteur d'un rapport de la Cour des comptes européenne.

Selon les estimations de Carlo van Heuckelom, le responsable de la criminalité économique chez Europol, le crime organisé empoche chaque année de 40 à 60 milliards d'euros, sur les 135 milliards de TVA dont les Etats perdent la trace, via les carrousels de TVA, un mécanisme consistant à importer des biens hors TVA, à les revendre TVA comprise,  à empocher le différentiel et  à oublier de le déclarer aux services fiscaux.