"Le chômage peut commencer à baisser dès la fin 2015"

Par Propos recueillis par Jean-Christophe Chanut  |   |  875  mots
Pour l'économiste Eric Heyer, la France pourrait connaître une bonne surprise dès 2015 sur le front de la croissance. Ce qui pourrait faire baisser le chômage dès cette année.
Eric Heyer, directeur à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), estime que la croissance pourrait atteindre 1,4% dès cette année et 2,1% en 2016. Dans cette hypothèse, il juge possible que l'inversion durable de la courbe du chômage se produise dès le quatrième trimestre.

La Tribune - Que pensez vous du plan sur l'investissement présenté le 9 avril par le premier ministre? Est-il susceptible d'accélérer la reprise de la croissance?

Eric Heyer. Certes, ce sont incontestablement de bonnes mesures. Mais je ne suis pas d'accord avec le postulat qu'il ne peut y avoir reprise de l'économie tant qu'il n' y a pas d'investissements. C'est inexact. L'investissement vient toujours en renfort après la reprise. Il solidifie la reprise, sinon elle s'étouffe. Mais dire que l'investissement est le déclencheur de cette reprise est faux. Ce sont les gains de productivité, l'exportation, la consommation qui provoquent d'abord la reprise économique. A l'OFCE, nous estimons que l'investissement repart environ quatre trimestres après cette reprise. Tout simplement parce que les entreprises rétablissent d'abord leurs marges et simplement ensuite investissent. Il est indéniable que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et le pacte de responsabilité ont aidé les entreprises à rétablir leurs marges. En outre, la baisse des prix du pétrole et de l'euro devrait favoriser la compétitivité. Tout ceci est favorable au choc de demande que tente de provoquer le gouvernement.

Et la mesure spécifique d'amortissement accélérée?

C'est bien, mais c'est surtout favorable à la vieille économie, celle qui a besoin de moderniser et d'investir dans les capacités de production. En revanche, l'impact sera moins fort sur l'économie numérique, mais il est vrai que celle-ci a largement bénéficié du crédit d'impôt recherche. Sans oublier que le coût du plan d'investissement présenté s'élève à 2,5 milliards d'euros. Or, je rappelle que, selon la Commission européenne, il va manquer 4 milliards d'euros à la France en 2015 pour être dans les clous du déficit accepté et 10 milliards en 2016. Manifestement, la France fait le pari de la croissance pour tenir ses engagements.

Michel Sapin, le ministre des Finances, table sur une baisse du chômage en 2016 grâce à une croissance de 1,5%...

Ce n'est en effet pas impossible. A l'OFCE, nous pensons même que l'on pourrait atteindre 2,1% l'année prochaine. Et nous croyons aussi que, dès 2015, la croissance devrait être meilleure que prévue. Nous sommes plus optimistes sur ce point que l'Insee. Nous tablons sur une croissance du PIB de 0,5% au deuxième trimestre , après 0,4% au premier. Sur l'année le PIB devrait croître de de 1,3 à 1,4%, soit plus que le 1% annoncé par le gouvernement. Mais attention, nos hypothèses reposent sur un baril de pétrole qui resterait au niveau de 65 dollars et sur un euro à 1,05 dollar fin 2015 puis à 0,95 dollar fin 2016.

Et la baisse du chômage?

Ce n'est pas impossible non plus, et peut-être dès la fin de l'année 2015 si l'on parvient à garder un rythme de progression du PIB de 0,5% par trimestre. Certes, il nous faut créer beaucoup d'emplois car, non seulement la population active continue de croître fortement en France, mais il y a également un sureffectif d'environ 170.000 salariés dans les entreprises. Néanmoins, le pacte de responsabilité devrait fortement inciter à créer de l'emploi à bas salaires. En général, avec l'enrichissement de la croissance en emplois, on estime que la France commence à créer des emplois à compter de 0,9% de croissance. Avec le pacte et les baisses de cotisations sociales ce seuil nécessaire devrait s'abaisser à environ 0,65%, selon nos calculs. Et si, parallèlement, le gouvernement continue de mettre le paquet sur les emplois aidés alors, je confirme, le chômage pourrait commencer à reculer au quatrième trimestre 2015.

Quel est votre avis sur le débat autour de la nécessité de flexibiliser le marché du travail pour recruter?

Toutes les études montrent que vouloir flexibiliser le marché du travail en période de basse conjoncture - nous avons encore 10% de chômage - peut conduire à... détruire des emplois. Pourquoi? Parce que les 170.000 salariés en sureffectif que nous avons évoqués seront alors licenciés. Ensuite, un engrenage négatif s'enclenche. Quand vous êtes en situation de précarité, vous n'avez pas accès au crédit bancaire et au logement. Si le marché du travail favorise  encore plus la précarité, dans ce cas, quand vous le pouvez, vous vous constituez une épargne de précaution et vous consommez moins. Cela favorise alors la stagnation et les entreprises licencient...

Il y a deux façons de casser cet engrenage. Soit, instaurer une vraie flexisécurité à la scandinave où le salarié précarisé garde son revenu entre deux périodes de travail ce qui rassure les banques et les assurances. Soit, deuxième méthode, attendre d'être revenu en période de haute conjoncture pour faciliter la flexibilité. Actuellement, nous avons un taux de chômage de 10%. On peut estimer que le taux de chômage structurel se situe vers 7%. Attendons donc d'être à ce niveau avant de décider de réformer en profondeur notre droit du travail.

Franchement, peut-on vraiment dire qu'il n'y a pas assez de flexibilité en France ?  En 2014, avec une croissance réduite à 0,4%, il y a eu cependant 23 millions de contrats de travail signés, dont 48% étaient des contrats courts de moins d'une semaine. C'est une preuve de flexibilité, non ?