Le gouvernement dégaine son plan anti-fraude sociale avec l'objectif de doubler les redressements d'ici à 2027

Par latribune.fr  |   |  1298  mots
Gabriel Attal se donne dix ans pour mener le chantier de la fraude sociale, avec une première étape en 2027 : « deux fois plus de résultats qu'en 2022 », soit un objectif de trois milliards d'euros de redressement par an. (Crédits : Reuters)
Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, a dévoilé les mesures de son plan contre la fraude sociale qui vise à doubler les redressements d'ici à 2027. La fusion de la carte d'identité et de la carte vitale fait partie des pistes évoquées.

[Article publié le mardi 30 mai 2023 à 07h11 et mis à jour à 10h10] Après la fraude fiscale, le gouvernement s'attaque à la fraude sociale qui coûterait entre six et huit milliards d'euros par an selon la Cour des comptes. Ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal a accordé une interview au Parisien où il a dévoilé lundi les mesures de son plan.

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Il assure, déjà, avoir la volonté de « regarder où sont les situations de fraude et y répondre, sans stigmatisation, sans instrumentalisation », et « de n'être ni dans le déni d'une grande partie de la gauche ni dans les mensonges d'une grande partie de l'extrême droite ».

Un objectif de trois milliards d'euros de redressement par an

Le ministre se donne dix ans pour mener le chantier de la fraude sociale, avec une première étape en 2027 : « deux fois plus de résultats qu'en 2022 », soit un objectif de trois milliards d'euros de redressement par an, a affirmé le ministre rappelant que ces redressements ont augmenté de 35% depuis cinq ans. Il promet pour cela la création de mille postes supplémentaires durant ce quinquennat et un investissement d'un milliard d'euros dans les systèmes d'informations.

Parmi les annonces symboliques, le gouvernement réfléchit à une fusion entre la carte Vitale et la carte d'identité afin de lutter contre le prêt et la location de carte Vitale pour profiter de soins gratuits. « On peut imaginer un modèle où, à compter d'une certaine date, quand vous refaites votre carte d'identité cela devient automatiquement votre carte Vitale », a déclaré le ministre, ajoutant qu'une mission de préfiguration serait lancée d'ici à l'été et pourrait parvenir à des conclusions d'ici à la fin de l'année. Le projet de carte biométrique est enterré.

« C'est ce vers quoi on va aller. Maintenant, la question, c'est comment et quand », a prudemment avancé Gabriel Attal mardi sur BFMTV, relevant dès à présent les « difficultés » rencontrées par les Français pour obtenir rapidement une carte d'identité.

Cette fusion, déjà effective en Belgique, au Portugal et en Suède, selon le ministre, a toutefois immédiatement éveillé le scepticisme de certains. « On découvre la mesure de fusion carte vitale/carte d'identité qui est manifestement techniquement impossible à mettre en œuvre et pour laquelle la CNIL est profondément opposée », a ainsi commenté auprès de l'AFP un cadre de la place Beauvau, sous couvert de l'anonymat.

« Attention à ne pas enfreindre la protection des données et les libertés individuelles et à faire des effets d'annonce. La solution reste la carte vitale biométrique qui a été votée et qu'il faut mettre en place », a ajouté ce cadre.

« J'aurais aimé une mesure plus immédiate, on aurait pu passer très très vite à la carte vitale biométrique », a abondé Olivier Marleix, président du groupe LR à l'Assemblée nationale sur RTL.

Les retraités expatriés sous surveillance

Le gouvernement veut aussi cibler les retraités vivant hors des frontières européennes afin de mieux identifier ceux qui sont décédés mais continuent à percevoir des allocations. Cette annonce fait suite à une expérimentation menée depuis septembre en Algérie, au cours de laquelle 300 dossiers de retraités « quasi-centenaires » sur 1.000 dossiers étudiés ont été déclarés non conformes, a affirmé le ministre qui a rappelé que plus d'un million de pensions étaient versées à l'étranger, dont la moitié hors d'Europe et 300.000 en Algérie. L'élargissement de la mesure viserait les retraités de plus de 85 ans.

Gabriel Attal veut aussi « renforcer » les conditions de résidence en France « pour bénéficier d'allocations sociales ». Il faudra désormais passer neuf mois de l'année dans le pays, contre six prévus actuellement, pour bénéficier des allocations familiales ou du minimum vieillesse, indique le ministre. De même pour les aides au logement (APL) qui ne nécessitent que huit mois de présence pour l'heure. Concernant la fraude aux cotisations des employeurs, Gabriel Attal entend augmenter les moyens des Urssaf pour limiter la fraude, à travers des embauches et un meilleur croisement des données. « Aujourd'hui, les Urssaf redressent 800 millions d'euros par an, je veux que ces redressements doublent en 2027 », affirme le ministre au Parisien. « Rien qu'en Île-de-France, on estime le préjudice à 100 millions d'euros. On va donc mettre des garde-fous dès l'année prochaine. »

Lutter contre la fraude au RSA en vérifiant les conditions de ressources

Par ailleurs, Gabriel Attal estime à 1,2 milliard d'euros la fraude au RSA : « Je veux que les caisses de sécurité sociale puissent davantage vérifier les conditions de ressources pour le versement des allocations et aussi prémunir les allocataires contre des usurpations de relevé d'identité bancaire (RIB). Nous allons donc renforcer l'accès des caisses de sécurité sociale au fichier des données bancaires. Progressivement d'ici 2025, les formulaires de demandes de RSA ou de prime d'activité seront automatiquement préremplis ».

En outre, le plan prévoit le paiement à la source des cotisations des micro-entrepreneurs par les plateformes qui les font travailler, à l'instar de Uber ou Deliveroo, car un certain nombre sous-déclarent, ce qui représente selon le ministre « une bombe sociale à retardement » dans la mesure où ils ne cotisent pas assez. « On ne peut pas s'habituer à ce que des milliers de personnes travaillent sans cotiser pour aucun droit ».

Mettre un coup d'arrêt aux schémas de fraudes développées avec les sociétés éphémères

Gabriel Attal veut aussi mettre « un coup d'arrêt aux schémas de fraudes développées avec les sociétés éphémères, qui organisent à dessein leur insolvabilité pour échapper à l'Urssaf ». Il explique : « deux procédures sont utilisées pour organiser ces sociétés éphémères : les transmissions universelles de patrimoine (TUP) dans des pays où l'on ne peut pas aller récupérer la dette, ou la liquidation amiable. Désormais, les TUP devront être publiées avec un délai d'opposition de soixante jours pour l'administration. Pour les procédures de liquidations amiables, les associés devront présenter une attestation pour démontrer qu'ils n'ont pas de dette sociale et fiscale ».

Les professionnels de santé placés sous surveillance

Gabriel Attal a profité de son interview accordée au Parisien qui souligne que « dans 70 % des cas, la fraude aux prestations de santé est à l'initiative d'un professionnel par surfacturation ou par facturation d'actes fictifs. » Ainsi, « l'an dernier, l'Assurance maladie a détecté 300 millions d'euros de fraudes et l'objectif est d'atteindre 500 millions d'euros dès l'année prochaine ».

Les sanctions vont être renforcées : « nous allons pouvoir déconventionner, c'est-à-dire interdire le remboursement par l'Assurance maladie de tous pourvoyeurs de soins qui fraudent — centres de santé, pharmaciens d'officine ou transporteurs sanitaires. Nous allons aussi rehausser les pénalités à 300 % du montant de la fraude et à 400 % en cas de bande organisée. Pour mieux déceler les fraudes, nous ferons une innovation : dès 2025, les Français soignés dans un centre dentaire ou ophtalmologique recevront par SMS la liste des soins facturés à l'Assurance maladie. S'ils identifient des incohérences, ils pourront les signaler ». Il ajoute qu'au cours du précédent quinquennat, « 30 millions d'euros de fraudes aux arrêts de travail ont été détectés ». Pour les détecter, « 450 cyber-enquêteurs à l'Assurance maladie vont être formés et il y aura aussi un ciblage sur les « arrêts du lundi » lorsqu'ils sont répétitifs ».

(Avec AFP)