
Le gouvernement entend muscler sa lutte contre la fraude fiscale dans les quatre prochaines années. Après les annonces d'Elisabeth Borne sur « les cent jours », le ministre des Comptes publics Gabriel Attal a déroulé une panoplie de mesures ce mardi 9 mai destinées à renforcer les contrôles contre les plus gros fraudeurs.
« Chaque fraude est grave, mais celle des plus puissants est impardonnable. Ma philosophie, c'est de concentrer les efforts sur eux et d'alléger la pression sur les classes moyennes », a déclaré le ministre délégué aux Comptes publics dans un entretien accordé au journal Le Monde. Pour y parvenir, le ministre du Budget a promis plus « de moyens, plus de sanctions, et plus de résultats. D'ici à la fin du quinquennat, les contrôles fiscaux sur les plus gros patrimoines augmenteront de 25 %. Et les cent plus grandes capitalisations boursières feront désormais l'objet d'un contrôle fiscal tous les deux ans ».
Initialement prévue à la fin du premier trimestre et plusieurs fois reportée, cette présentation fait partie de la stratégie de l'exécutif pour redresser les comptes publics. Et Bercy compte bien le faire savoir. Gabriel Attal a accordé pas moins de quatre entretiens à des chaînes de télévision et de radio ce mardi. Derrière cette vaste opération de communication, l'exécutif tente de faire oublier l'épisode houleux de la réforme des retraites.
Mais l'annonce de ce plan pose question sur le fonds et la forme. « Ces annonces envoient un signal politique favorable », confie à La Tribune Quentin Parinello, conseiller à l'Observatoire européen de la fiscalité. En revanche, « il ne répond pas à l'enjeu de la progressivité du système fiscal français. Combien les riches paient d'impôt en France ? Le taux effectif est de 2% selon une récente note de l'Institut des politiques publiques » ajoute-t-il. Pour rappel, l'observatoire de la fiscalité européen est un organisme présidé par l'économiste français Gabriel Zucman, récemment récompensé d'un prestigieux prix aux Etats-Unis pour son travail mondialement reconnu sur l'évasion fiscale.
Du flou sur les effectifs supplémentaires
Le contrôle fiscal devrait voir ses effectifs augmenter dans les années à venir. Le ministre des Comptes publics a annoncé 1.500 personnes en plus d'ici 2027 pour muscler les équipes de Bercy. Mais de nombreuses zones d'ombre demeurent sur les annonces. S'agit-il de créations de postes ou de redéploiement ? Interrogé sur ce point sensible, l'entourage du ministre a botté en touche. « Les réformes de structures ont permis des gains de productivité », rappelle Bercy. « Et les nombreux départs à la retraite vont laisser des marges de manœuvre supplémentaires », explique-t-on. La question des redéploiements et/ou des créations « devra être vue dans le débat budgétaire au fil des années d'ici la fin du quinquennat, pour atteindre et tenir cet objectif », souligne Bercy.
Pour rappel, « il y a des coupes dans les effectifs de contrôle depuis plusieurs dizaines d'années », rappelle Quentin Parinello. Sous François Hollande, plus de 1.730 emplois en équivalent temps plein ont été supprimés selon la Cour des Comptes. Dans un rapport au vitriol, les magistrats avaient pointé les limites de ces diminutions dans les effectifs. « L'amélioration du service rendu aux contribuables devait renforcer le civisme fiscal et permettre de concentrer les moyens sur les actions répressives avec la « sanctuarisation » annoncée des effectifs du contrôle fiscal. Dix ans plus tard, les résultats demeurent en retrait des ambitions affichées ».
Des techniques de Big Data indispensables mais jugées « insuffisantes »
Le ministre des Comptes publics a également promis une hausse de 25% des contrôles fiscaux sur les personnes en misant sur les outils de data mining, c'est-à-dire du traitement de données à grande échelle. Déjà sous le premier quinquennat Macron, Bercy avait mis l'accent sur ces techniques pour faciliter la chasse aux fraudeurs. L'ancien ministre du Budget actuellement à l'intérieur, Gérald Darmanin avait fait la promotion de ces outils lors de la préparation des budgets annuels des administrations publiques. Mais cette stratégie semblait « insuffisante » selon un rapport du Sénat datant de 2020.
« Le développement des outils technologiques est indispensable pour permettre aux services, administrations et directions de traiter l'ensemble des données qu'ils reçoivent et de détecter les fraudes les plus complexes [...] en donnant la priorité à la programmation centralisée des contrôles, il risque de remettre en cause les initiatives des brigades locales, qui connaissent bien le tissu fiscal de leur territoire », indiquent les rapporteurs.
En outre, ces techniques fondées notamment sur l'intelligence artificielle ne permettent pas toujours de s'attaquer à des profils atypiques. « Le big data peut être utile pour les cas de fraude de moyenne ampleur. Sur le cas d'une fraude massive, il faut davantage de moyens humains », indique Quentin Parinello. En effet, l'utilisation de technologies toujours plus sophistiquées et « de multiples sociétés-écrans » requiert plus d'enquêteurs sur le terrain.
Une Cop fiscale sans vraiment de mandat, ni d'objectifs
Enfin, le ministre des Comptes publics a annoncé l'organisation d'une conférence internationale sur la fiscalité à l'instar des COP sur le climat. Sur ce point, le ministre n'a pas vraiment apporté de précision. « Les mauvaises langues diront que les COP, ça ne marche pas. Je ne suis pas d'accord. Comme pour les COP climat, elles ne résoudront pas tout, mais elles sont nécessaires pour un cadre équitable de dialogue fiscal international », explique Quentin Parinello.
« Il faut absolument un cadre fiscal international. Pendant longtemps, c'était le Far West. Le cadre BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ) mis en place par l'OCDE porte uniquement sur la fiscalité des multinationales », ajoute le spécialiste. « Pour l'instant, on ignore encore le mandat et le périmètre de cette COP. Ces annonces apportent plus de questions que de réponses » , conclut-il.
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