Le gouvernement renforce la protection des entreprises stratégiques françaises

Par latribune.fr  |   |  931  mots
L'intelligence artificielle, le spatial, le stockage des données, les semi-conducteurs et les infrastructures financières seront désormais aussi concernés. (Crédits : Reuters)
Le Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé vendredi vouloir étendre à de nouveaux secteurs l'obligation pour les investisseurs étrangers d'obtenir une autorisation préalable de Bercy. Les startups s'inquiètent.

Tout en assurant rester hostile au protectionnisme, Edouard Philippe renforce le dispositif de protection des entreprises françaises jugées stratégiques mis en place par Arnaud Montebourg lorsqu'il était ministre de l'Economie. Le Premier Ministre a présenté vendredi de nouvelles mesures poursuivant cet objectif, dont en premier lieu une extension du décret de 2014 qui, pour certains secteurs et dès lors que l'ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale sont menacés, oblige les investisseurs étrangers à obtenir une autorisation préalable de Bercy, généralement accordée en contrepartie d'engagements. L'intelligence artificielle, le spatial, le stockage des données, les semi-conducteurs et les infrastructures financières seront désormais aussi concernés.

L'autorisation sera suivie de contrôles effectués par un audit externe, afin de vérifier le respect des conditions fixées, et la liste des sanctions applicables sera enrichie.

"Lorsque des engagements sont pris, ils doivent être auditables et respectés. C'est la moindre des choses", a expliqué Edouard Philippe.

A un décret de 2005 relatif surtout à la défense et à l'armement, Arnaud Montebourg avait déjà ajouté l'eau, la santé, l'énergie, les transports et les télécommunications, juste après l'annonce du rachat de la branche énergie d'Alstom par l'américain General Electric en 2014.

Des mesures contre les acquisitions hostiles

Le gouvernement va aussi assouplir le cadre juridique de création des actions spécifiques ("golden shares") qui permettent à l'Etat de disposer de droits exceptionnels, notamment sur les transferts de propriété intellectuelle, sur les décisions d'implantations hors de France ou sur des cessions d'actifs. Il compte aussi mettre en place à l'Elysée un conseil chargé d'anticiper les acquisitions hostiles: sous la présidence d'Emmanuel Macron seront organisées des "réunions du Conseil de défense et de sécurité nationale en formation économique", afin d'"assurer un pilotage de ces questions sensibles", a précisé le Premier ministre.

Avec Bpifrance et l'Agence des Participations de l'Etat, l'exécutif veut par ailleurs se doter d'une "enveloppe d'intervention financière", "pour assurer la protection de nos entreprises, notamment nos pépites susceptibles d'être la cible d'acquisitions hostiles", a-t-il ajouté sans autre détails.

La mise en place de "fondations d'actionnaires"facilitée

Selon des sources gouvernementales, l'exécutif souhaite ainsi renforcer la possibilité pour l'Etat de prendre des "petits tickets" dans des entreprises, par exemple une participation de 5% permettant de bloquer un retrait de cote dans le cadre d'une OPA. L'Etat veut aussi faciliter la mise en place de "fondations d'actionnaires", inspirées des pays nordiques, "permettant à des actionnaires de long terme de détenir des participations dans une entreprise en investissant dans la société les dividendes touchés par la fondation".

Lire: Les statuts d'entreprise « élargie » à l'étranger

Edouard Philippe a également évoqué son intention de faciliter la transmission des entreprises, notamment familiales, en "assouplissant les conditions des pactes Dutreil, y compris pour les entreprises cotées": un dispositif qui permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d'une entreprise familiale de très importants allègements d'impôts.

L'Etat "très attentif" au cas de L'Oréal

Les dispositions législatives de ce plan seront incluses dans le futur projet de loi Pacte pour la croissance et les entreprises, qui sera présenté en avril, alors que les autres mesures seraient adaptées parallèlement par décret. L'arsenal vise à doter la France du même niveau de protection que ses grands partenaires.

"La Chine en dispose, les Etats-Unis en disposent. Nous n'avons pas vocation à être un agneau dans la bergerie", a lancé Bruno Le Maire devant des journalistes.

Ces mesures ont été annoncées après une visite dans une usine du géant des cosmétiques L'Oréal à Lassigny (Oise) d'Edouard Philippe et Bruno Le Maire. Le lieu n'a pas choisi été au hasard. Après la mort de la propriétaire de L'Oréal Liliane Bettencourt en septembre, le géant suisse de l'alimentation Nestlé vient en effet de décider de ne pas renouveler l'accord qui le liait depuis plus de 40 ans à l'entreprise française. Or, la fin de ce pacte ouvre théoriquement la porte à une OPA sur le champion des cosmétiques. Peu après la disparition de la milliardaire, Edouard Philippe avait déjà assuré que l'Etat serait "très attentif" au devenir de L'Oréal.

France Digitale inquiète

Mais du côté des plus jeunes entreprises, le projet du gouvernement inquiète. Il faut "éviter une nouvelle affaire Dailymotion qui (affecterait) durablement l'attractivité de nos start-ups", a immédiatement indiqué dans un communiqué l'association France Digitale, en allusion au blocage, en 2013, du rachat par Yahoo de la plateforme française de vidéo par le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg.

"Les investisseurs internationaux basés à Londres, Berlin, New York voire Moscou ont redécouvert l'Hexagone depuis la belle entrée en bourse de Criteo (fin 2013) et ont, depuis, été les chefs de file de plus de 60% des gros tours de tables réalisés par nos start-up. Un sursaut protectionniste prendrait totalement à contre-courant cette dynamique", a expliqué Jean-David Chamboredon, le co-président de France Digitale, cité par le communiqué.

"Il est légitime de vouloir protéger nos innovations contre les prédateurs mais gardons à l'esprit qu'il ne peut y avoir de champions du numériques français sans alliés étrangers", a souligné de son côté Fleur Pellerin, administratrice de France Digitale et ministre de l'économie numérique dans le précédent quinquennat.

(Avec AFP)