Le marché du logement français miné par sa faible mobilité

Par Mathias Thépot  |   |  876  mots
La mobilité résidentielle des ménages est durement affectée.
La hausse des prix de l'immobilier dans les villes denses en France a eu comme conséquence indirecte de pousser les locataires du parc social à rester chez eux plus longtemps. Ce qui bloque la mobilité résidentielle, et rend d'autant plus difficile la résolution de la crise du mal-logement en France.

Le marché du logement en France est en plein paradoxe. Il y a d'une part toujours plus de mal-logés (3,8 millions selon la fondation Abbé Pierre, soit 6% de la population du pays), alors qu'à l'inverse, 38% des propriétaires d'un logement n'ont pas de charge à rembourser, et 77% des ménages se disent même satisfaits ou très satisfaits de leurs conditions de logement, note dans un article Jean-Claude Driant, professeur à l'école d'urbanisme de Paris. Inextricable, cette situation provient notamment d'une hausse des prix inconsidérée dans le secteur du logement privé depuis la fin des années 1990 par rapport aux revenus, et que les pouvoirs publics n'ont pas su endiguer.

L'erreur tient peut-être à la conception même du marché du logement en France. On considère toujours d'un côté le marché immobilier privé, propice à l'investissement sûr dont le rendement répond à une logique de marché. Et de l'autre, un secteur plus administré, le logement social, dont le rôle - indispensable - est de loger les plus démunis et une partie des classes moyennes, afin d'assurer un logement décent au plus grand nombre. Depuis trop longtemps maintenant, ces deux secteurs se parlent peu : les problématiques du mal-logement tiendraient de la politique sociale, et ceux d'immobilier privé, de l'économie. Une erreur grave.

Immobilisme contraint

Car si nous vivons aujourd'hui une crise du logement, c'est certainement une crise de l'immobilisme contraint générée par ce cloisonnement. Les ménages sont en effet de moins en moins mobiles du fait des prix élevés de l'immobilier. Ils restent plus longtemps dans leur logement qu'avant, ce qui nuit à la fluidité du marché. Les personnes occupant un logement social, notamment, sont très peu mobiles. Celles ayant emménagé récemment (il y a moins de quatre ans) sont en effet de moins en moins nombreuses : elles représentaient 41% du parc social en 2002 et ne représentent plus que 30% du parc en 2013. Le nombre de ces personnes ayant emménagé récemment dans leur logement social est même en baisse de 21% en 2013 (1,38 million) par rapport à 2002 (1,76 million) !

Pourtant, dans le même temps, l'offre a augmenté - le parc locatif social est passé de 4,2 millions de logements en 2002 à 4,6 millions en 2013 - tout comme la demande, puisque la file d'attente pour accéder à un logement conventionné ne cesse de s'allonger en France (1,4 million en 2013 selon l'Enquête logement, contre 1 million en 2002). Bref, l'immobilisme est de mise sur le marché du logement social, plus qu'ailleurs.

Chute du nombre de sorties vers l'accession à la propriété

Cette situation de blocage est donc avant tout due à la hausse des prix et des loyers sur le marché immobilier par rapport à l'évolution des revenus. Elle a mécaniquement incité les ménages à rester dans leur logement locatif plutôt que d'acheter, malgré l'attrait connu et prononcé des ménages français pour la propriété. Preuve en est, comme le note Jean-Claude Driant, 97% de la baisse de la mobilité des ménages du parc social s'explique par la chute du nombre de sorties vers l'accession à la propriété.

« En 2013, pour la première fois depuis longtemps, on sort plus du parc social pour rester locataire que pour rester propriétaire », confirme-t-il aussi.

Logiquement, ce phénomène est particulièrement marqué dans les zones les plus denses, où les prix de l'immobilier ont le plus augmenté. L'agglomération de Paris, notamment, composée de 432 communes urbaines d'Île-de-France, voit le nombre d'emménagés récents dans les logements sociaux se réduire de ... 42% entre 2002 et 2013 ; et le nombre de nouveaux entrants sur le marché du logement social chuter de ... 46% sur la même période ! Clairement, il devient très compliqué de rentrer dans un logement social dans cette agglomération.

Marché bloqué

Du reste, si l'on veut trouver des territoires qui souffrent moins, il est intéressant de constater que certaines villes moyennes, grâce à des politiques volontaristes en matière de logements sociaux ainsi que des hausses de prix moins élevées, arrivent à limiter les blocages sur le secteur social. Il est du reste évident que la complexité qui se crée lorsque l'on laisse les prix de l'immobilier s'envoler, comme cela a été le cas dans l'agglomération parisienne, provoque des dégâts sociaux de premier ordre. Car même si le potentiel foncier existe à mesure que l'on s'éloigne du centre de l'agglomération parisienne, au regard de la demande quasi infinie, même une forte hausse de l'offre de logements ne risque pas de modifier profondément les situations de blocages du marché, toutes choses égales par ailleurs.

Que faire alors ? La meilleure solution de long terme réside dans l'émergence d'autres métropoles pour mieux répartir la demande de logements sur le territoire français. En attendant, mettre à disposition de logements neufs ou anciens à loyers intermédiaires pour détendre la tension sur le parc social reste une solution qui semble efficace. Mais elle est souvent décriée par des tenants d'un marché libre de la location. Là est peut-être le plus dur combat à mener en France, modifier la vision d'un marché du logement qui vit aujourd'hui de certaines rigidités idéologiques.