Les taux d'intérêt très bas génèrent-ils des inégalités  ?

Par Mathias Thépot  |   |  755  mots
Globalement, les ménages y perdent avec la baisse des taux d'intérêt depuis 2007.
Les taux d'intérêt très bas génèrent des inégalités de patrimoine, mais réduisent les inégalités de revenus, selon une note du Conseil d'analyse économique (CAE).

Le contexte actuel de taux historiquement bas n'est pas sans conséquence sur les inégalités. La politique monétaire accommodante menée en Europe pour stimuler la croissance comporte en effet quelques risques, car toutes les classes d'actifs n'en bénéficient pas de la même façon.

Face aux incertitudes économiques qui restent très présentes, ce sont en effet les investissements de long terme dans des actifs considérés comme sûrs qui sont les plus prisés. Ce qui est par exemple le cas de l'immobilier. On peut le constater très concrètement en France puisque depuis près de deux ans, l'activité immobilière est en forte hausse, principalement grâce à la baisse importante des taux de crédits (1,31 % en moyenne en novembre selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA). Les transactions immobilières devraient ainsi atteindre en 2016 un niveau quasi-record.

Hausse des inégalités patrimoniales

Pourtant, quel que soit le niveau des taux, les ménages primo-accédants ont du mal à rentrer sur le marché immobilier. Alors qu'en parallèle, les taux très bas stimulent la demande solvable et font monter les prix. Dans un contexte économique incertain, les politiques monétaires accommodantes ont donc moins tendance à accroître les prix à la consommation que les prix de l'immobilier. Elles permettent donc d'augmenter la valeur du patrimoine des ménages propriétaires. Or, en France, « près de la moitié du patrimoine des ménages est détenue par les 10  % les mieux dotés en patrimoine », expliquent les auteurs d'une note du CAE sur le niveau très bas des taux d'intérêt.

En outre, la baisse des taux d'intérêt réels depuis vingt ans s'est accompagnée d'une forte hausse des prix de l'immobilier (+170 % en France entre 2000 et 2016), alors que dans le même temps, la part des ménages propriétaires de leur résidence principale en France a peu augmenté : elle est quasiment stable depuis 2010 et n'a crû que de 2 points de pourcentage depuis le début du siècle, à 57,9 % en 2016, selon l'Insee. La baisse des taux a donc augmenté les inégalités de patrimoine sans effet significatif sur la capacité d'accès à la propriété. Ainsi, du fait de la hausse des inégalités patrimoniales, les effets redistributifs pour les ménages liés à la baisse des taux d'intérêt ont donc été négatifs entre 2007 et 2014, selon la même note du CAE.

Baisse des inégalités de revenus

En revanche, les taux d'intérêt bas ont plutôt tendance à réduire les inégalités de revenus. Et c'est bien normal : l'objectif de la baisse des taux est de soutenir l'activité et donc d'éviter une déflagration encore plus grande. Soit autrement dit, de maintenir en vie des entreprises sous pression qui auraient licencié ou fait faillite sans une baisse des taux. D'ailleurs, les sociétés non financières ont, contrairement aux ménages, bénéficié des effets redistributifs liés à la baisse des taux d'intérêts entre 2007 et 2014, notent les économistes du Conseil d'analyse économique (CAE). Autre intervenant, l'Etat a lui aussi pu bénéficier de la baisse des taux. En effet, le « gain » estimé pour les administrations publiques correspondant aux intérêts effectivement versés en 2014 comparés à ce qu'il aurait fallu payer si les taux intérêt s'étaient maintenus au niveau de 2007, est de l'ordre de 7 points de PIB, notent les analystes du CAE.

Le risque d'une déflagration financière

Reste enfin un acteur de premier ordre qui ne bénéficie pas de la baisse des taux et qui pourrait en faire payer le prix fort à toute l'économie : le secteur financier. En effet, les taux extrêmement bas resserrent les marges des banques et des assureurs qui ne peuvent réduire indéfiniment les taux des prêts et des produits d'épargne qu'ils proposent à leurs clients. Or, si les taux de refinancement remontaient rapidement, cela ferait notamment peser des risques sur les bilans bancaires. Car les banques prêtent souvent à long terme (beaucoup d'immobilier), se refinancent en permanence sur le marché monétaire, et subiraient ainsi directement le contrecoup de la hausse des taux interbancaires. Et si des banques systématiques se retrouvaient en grande difficulté, il semble inéluctable - ne serait-ce qu'au regard des conséquences de la dernière crise financière - que les inégalités augmenteraient de plus belle...