Macron : un bouleversement de la protection sociale sans risque constitutionnel

Par Ivan Best  |   |  844  mots
La réforme proposée par Emmanuel Macron du financement des allocations chômage représenterait un bouleversement de notre système social. A condition d'une clarification, elle ne devrait pas rencontrer d'obstacle constitutionnel. La question est plus celle de la chute du niveau de l'indemnisation du chômage

Emmanuel Macron veut modifier en profondeur la protection sociale. Sa réforme proposée, consistant à supprimer les cotisations chômage que paient les salariés -ainsi qu'un reliquat de cotisation assurance maladie- est beaucoup plus qu'un simple transfert de pouvoir d'achat au profit des actifs -salariés, et au détriment des retraités (ainsi que des détenteurs de revenus du capital et de l'épargne) qui, tous, paieraient 1,5 point de CSG en plus.

Il s'agit là d'un véritable changement de modèle de protection sociale, d'un passage d'une logique bismarckienne à celle à l'œuvre depuis la guerre dans les pays anglo-saxons, dite beveredgienne. Et c'est justement parce que ce bouleversement serait clairement assumé que le risque d'une censure par le Conseil constitutionnel, évoqué par de nombreux commentateurs, pourrait être surmonté. Ce risque est surtout mis en avant à la suite de la censure en août 2014, par les sages du Palais Royal, de la baisse des cotisations sociales voulue par Manuel Valls.

Rupture d'égalité

Pourquoi cette baisse de cotisations, synonyme de pouvoir d'achat accru pour les salariés, a-t-elle été sèchement censurée, et donc purement et simplement annulée ? C'est au nom d'une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges que le Conseil constitutionnel avait annulé la mesure Valls. Il avait estimé qu'elles revenaient à instituer « une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de sécurité sociale ». Les cotisations salariales d'assurance-vieillesse et d'assurance-maladie « sont des versements à caractère obligatoire ouvrant des droits aux prestations et avantages servis par les branches vieillesse et maladie ». Avec la réforme Valls, « un même régime de sécurité sociale » aurait continué «  à financer pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales » avait souligné le Conseil constitutionnel.

Autrement dit, un régime d'assurance dit contributif, qui fait dépendre les prestations reçues lorsque le risque se matérialise (retraite, chômage...) du montant des cotisations versées auparavant, ne peut pas se permettre de distribuer des prestations à des salariés qui n'ont pas cotisé auparavant. Ou qui auraient cotisé dans une proportion sensiblement inférieure à celle du niveau fixé pour les autres salariés.

Un mix entre financement universel et traditionnel?

Voilà pourquoi de nombreux économistes mettent en garde contre la non constitutionnalité de la proposition du candidat à la présidentielle. Le schéma Macron pour le financement de l'assurance chômage « mêle financement universel -tout le monde paie la CSG remplaçant les cotisations des salariés- et contributif, puisque les employeurs continuent, eux, de payer une cotisation à hauteur de 4% du salaire brut pour l'assurance chômage » souligne ainsi Eric Heyer (OFCE). Ce mix entre financement universel côté salariés, et à l'ancienne, basé sur les seuls salaires, s'agissant des cotisations patronales, ne passerait donc pas sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Franchir l'obstacle

Est-ce si sûr ? « L'obstacle du Conseil constitutionnel peut être franchi assez facilement » estime au contraire Marc Wolf, ancien directeur adjoint à la Direction générale des Finances publiques. « C'est possible à condition de clarifier les choses, de faire basculer le système de l'assurance vers la solidarité ». Si une loi prévoit la nationalisation de l'Unedic, et le passage à un système solidaire d'indemnisation du chômage, versant des allocations à l'ensemble des actifs sans emploi, alors, le financement par tous, et donc par la CSG, se justifie. Contrairement à ce que croient certains économistes, le maintien -qui n'est pas certain- d'une cotisation chômage versée par les employeurs n'est pas un obstacle. Pour apprécier la rupture d'égalité devant l'impôt, dans le cadre d'un système contributif, le Conseil constitutionnel examine strictement les cotisations versées par les salariés et non les charges des employeurs.

Le vrai problème, des allocations croupion

Voilà pourquoi la constitutionnalité de la proposition Macron n'est pas vraiment un sujet, ou en tous cas, ne constitue pas un obstacle dirimant. Le vrai problème de cette réforme, c'est le niveau à venir des allocations chômage, sur lequel le candidat à la présidentielle reste très flou. Emmanuel Macron a prévenu que les cadres seraient certainement moins indemnisés. Mais la pression à la baisse sur les allocations pourrait aller bien au-delà du personnel d'encadrement. D'une part, parce qu'à financement constant, comme le suggère Emmanuel Macron, le nombre d'indemnisés sera beaucoup plus important. En vertu de l'arithmétique la plus basique, l'indemnisation moyenne par personne sera nécessairement diminuée.

D'autre part, si un retraité -qui, par définition, n'aura pas droit à une indemnisation de la part de l'assurance chômage- peut accepter de payer pour éviter que des salariés tombent dans la misère, il aura beaucoup plus de mal à envisager le financement d'allocations à leur niveau actuel. Ira-t-on vers le niveau britannique, à savoir 65,45 livres par semaine pour tout le monde, quel que soit le salaire antérieur ?