Myriam El Khomri veut favoriser le référendum en entreprise

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  817  mots
La ministre du Travail souhaite que les salariés puissent valider par referendum un accord d'entreprise accepté par une minorité de syndicats représentant au moins 30% des salariés. Photo: Myriam El Khomri en visite au Campus des métiers et de l'entreprise, à Bobigny, le 11 janvier 2016.
La ministre du Travail propose que les syndicats signataires d'un accord d'entreprise, et représentant au moins 30% des salariés, puissent avoir recours au référendum auprès des salariés pour définitivement faire valider un texte, même si des syndicats majoritaires s'y opposent.

La démocratie directe, plutôt que la démocratie représentative ! Vaste débat, que semble vouloir relancer la ministre du Travail, Myriam El Khomri, avec son projet d'étendre la pratique du référendum en entreprise.

De fait, après la présentation du rapport Badinter sur les principes essentiels du droit du travail, Myriam El Khomri, interrogée sur France Inter, a confirmé son souhait d'introduire dans son futur projet de loi sur la réforme du droit du travail - qui sera présenté en mars - la possibilité d'organiser un référendum "contraignant" auprès des salariés pour faire valider un accord d'entreprise signé par des organisations syndicales recueillant au moins 30% des voix aux élections professionnelles... Une véritable novation - qui va notamment faire plaisir aux dirigeants de la Fnac, empêtrés dans leur négociation avec les syndicats sur l'ouverture dominicale.


Vers la fin du droit d'opposition...

Jusqu'à présent, la règle était simple. Pour les accords « ordinaires », un texte négocié en entreprise ne peut s'appliquer que s'il est paraphé par des organisations syndicales représentant au moins 30% des salariés. Mais si des syndicats non signataires représentant 50% des salariés font jouer leur droit d'opposition, le texte ne peut pas s'appliquer. C'est ce qui s'est passé à la Fnac.

Pour apprécier ces seuils de 30% et 50%, on se reporte aux résultats des dernières élections professionnelles. Rappelons que, depuis une réforme de 2008, chaque syndicat doit faire la preuve de sa représentativité, via divers critères. Il n'y a donc plus ce que l'on appelait la « présomption irréfragable de la représentativité » qui permettait de considérer comme représentatifs de droit dans toutes les entreprises les « gros » syndicats comme la CFDT ou la CGT. Cette règle est maintenant abolie.

Rappelons également que certains accords particuliers, tels "les accords de maintien de l'emploi" qui permettent d'échanger une modération salariale contre le maintien de l'emploi, doivent d'emblée recevoir l'aval de syndicats représentant 50% des voix des salariés. C'est ce que l'on appelle les « accords majoritaires ».  Maintenant, la ministre du Travail songe apparemment à une « troisième voie » pour valider des accords.

Interrogée sur France Inter sur la conclusion d'accords collectifs et les blocages qui peuvent survenir, elle a dit souhaiter que ces accords "soient légitimes". Or, pour qu'un accord soit valide, a-t-elle rappelé, il faut qu'il y ait un "principe majoritaire". Pour cela, on l'a dit, soit un accord doit obtenir la signature de syndicats recueillant au moins 50% des voix aux élections professionnelles, soit il ne doit pas faire l'objet d'un droit d'opposition de syndicats majoritaires.

... au profit du référendum ?

Nouveauté, la ministre imagine qu"une autre voie" peut être suivie: la signature d'un accord par des organisations syndicales représentant au moins 30%... "plus" l'assentiment majoritaire des salariés. Autrement dit, il serait donné à des syndicats signataires, s'ils représentent au moins 30%, "la possibilité de déclencher un référendum d'entreprise", a expliqué la ministre du Travail. Et Myriam El Khomri de préciser qu'il ne s'agissait "pas d'un référendum à la main des entreprises mais d'un référendum à la main des organisations syndicales". Autrement dit, l'entreprise n'aurait absolument pas le droit d'organiser un referendum pour faire valider directement auprès des salariés un projet d'accord. Ce droit n'appartiendrait qu'aux seuls syndicats signataires. Mais alors, que se passerait-il si le résultat de ce référendum était en contradiction avec l'expression des syndicats majoritaires qui aurait fait jouer leur droit d'opposition, y aurait-il une possibilité pour eux de mettre leur veto à cet accord? "Non", a répondu clairement la ministre, ce référendum sera "contraignant". "Voilà la règle qui serait une nouvelle règle", a-t-elle ajouté. En d'autres termes, si l'on comprend bien, le droit d'opposition risque de vivre ses derniers jours...

Mais cette nouveauté souhaitée par Myriam El Khomri pose différentes questions.

Danger pour le fait syndical?

D'abord, elle ouvrirait considérablement le champ actuel du référendum en permettant de donner force de loi à un scrutin direct, même en présence de syndicats dans l'entreprise. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, sauf dans quelques domaines précis (plan d'intéressement et de participation, régime de prévoyance, etc.). Ensuite, la proposition de la ministre du Travail aurait pour conséquence de totalement délégitimer des organisations syndicales en potentielle contradiction avec le résultat d'un tel scrutin direct... Ce qui n'est pas l'idéal pour la paix sociale en entreprise. Plus profondément, cette réforme posera la question du choix entre démocratie directe et démocratie représentative !

Le 10 juin 1982, alors ministre du Travail, Jean Auroux déclarait à la tribune de l'Assemblée nationale :

"Le référendum, c'est la mort du fait syndical."