"Nous allons afficher la liste des députés qui ont voté la loi Santé chez les médecins"

Par Fabien Piliu  |   |  1155  mots
"Nous ne pratiquerons pas le tiers payant ​imposé par la Ministre qui va complètement déstructurer le monde de la santé que nous connaissons".
Dans un entretien accordé à La Tribune, Eric Henry, le président du Syndicat des médecins libéraux (SML) revient sur le vote de la loi Santé et sur la vive opposition des médecins à ce texte. Il propose également une série de réformes pour transformer le système de santé français.

La Tribune - L'Assemblée nationale vient d'adopter le projet de loi Santé porté par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, en dépit de l'opposition de la  médecine libérale. Quelle est votre réaction ?

Le combat continue. Nous n'avons pas dit notre dernier mot.

De nouvelles journées sans médecin sont-elles envisageables ?

Les professionnels sont las. Mais la mobilisation reste vive. Pour continuer à mettre la pression sur les parlementaires, nous allons afficher la liste des députés qui ont voté ce texte dans tous les cabinets de médecins. Ainsi, nos patients, les citoyens, sauront qui sont les responsables des tracas administratifs supplémentaires que ce texte engendrera, mais aussi de la bascule de notre santé, de la solidarité dans le monde du business.

Pouvez-vous encore vous opposer au tiers-payant, la mesure phare de ce texte ?

Bien entendu. Nous ne pratiquerons pas le tiers payant ​imposé par la Ministre qui va
complètement déstructurer le monde de la santé que nous connaissons.

Pour quelles raisons ?

D'une part, ce dispositif complique un quotidien administratif déjà très chargé et les
praticiens n'ont pas envie de perdre près de cinq minutes par patient pour connaitre
le nom de leur caisse, de leur complémentaire, de vérifier leurs droit avec la déclaration du médecin traitant et l'acceptation du prélèvement bancaire par la caisse
sur leur compte. Les médecins ont mieux à faire : soigner leurs patients. D'autre part, il fait la part belle aux complémentaires qui vont tenter de prendre la main sur l'organisation de la santé de leurs adhérents leur faisant perdre leur liberté de choix de leurs soignants.

Ne craignez-vous pas les sanctions ?

Le texte n'en prévoit pas encore. Elles risquent par contre d'être bientôt programmées, compte tenu de l'opposition forte des médecins à ce dispositif.

Pour quelles raisons estimez-vous que le gouvernement est passé en force dans ce dossier ?

Le gouvernement avait promis la publication en octobre d'un rapport d'expert sur les
avantages et les conséquences du tiers-payant. Nous l'attendons toujours. Contrairement à ce qu'il nous avait promis, le texte est revenu au Parlement sans que ce rapport n'ait été dévoilé. Nous avions proposé de décaler à mars la présentation de ce texte à l'Assemblée nationale, ce qui était un moyen pour le gouvernement de sortir par le haut de cette crise. Mais il ne nous a pas entendu. En plus, en plein " état d'urgence" nous ne pouvions nous exprimer contre ce vote. C'est la raison pour laquelle nous considérons que ce gouvernement est passé en force.

Quelles sont vos propositions pour réformer le système de santé, chroniquement déficitaire ?

Il ne faut pas réformer le système, il faut le repenser intégralement et le faire évoluer pour répondre aux besoins de demain.

Comment ?

Prenons par exemple le sujet de la revalorisation des médecins généralistes qui est
depuis longtemps une source de conflits entre la Sécurité sociale et les professionnels. Relever d'une poignée d'euros la rémunération des médecins ne serait pas réellement satisfaisante, même si j'entends bien qu'elle serait la bienvenue pour un certain nombre de professionnels. Il faudrait plutôt repenser les actes des médecins et leurs tarifs en faisant la différence entre les pathologies et inventer des cotations différentes selon la difficulté de l'acte et le temps investi. En médecine générale, nous pourrions imaginer une tarification progressive, de 7 euros à 23 puis 40 euros en fonction de la nature des actes. On pourrait imaginer que les consultations courtes soient tarifées 7 euros lorsqu'elles sont faites par
téléphone ou par Internet dans une organisation libérale de territoire nouvelle. Cela permettrait l'introduction des nouvelles technologies dans la médecine pour répondre
à une demande de soin qui augmente, et appuyer le maintien à domicile de nos patients. Il s'agirait avant tout de rassurer des patients sans leur imposer un déplacement qui est parfois compliqué, de permettre aux professionnels de santé de se consacrer aux consultations complexes dans leur cabinet, et, in fine, de réaliser des économies sur le remboursement des consultations.

Pour les spécialités, il faut enfin créer une nouvelle tarification portant sur la classification commune des actes médicaux cliniques mais aussi des actes techniques qui n'a pas été réévaluée depuis sa création. Par ailleurs, il faut renforcer l'ambulatoire en France, qui se classe actuellement parmi les modèles des plus efficaces en rapport coût/efficacité. C'est en ce sens que nous souhaitons répondre aux besoins nouveaux, en repensant l'approche du système de soin traditionnel et, en accordant une confiance et des moyens aux
médecins libéraux qui sont le premier recours des français. La nouvelle convention doit aller dans ce sens. 

Comment lutter contre les déserts médicaux ?

Je ne crois pas à l'efficacité des maisons de santé, aux centres pluridisplinaires que
le gouvernement a mis en place. Je crois d'avantage à la mobilité médicale qu'il faut
valoriser, et à la coordination entre professionnels de santé. Si personne ne veut s'installer dans des zones déficitaires, il faut alors inciter les "médecins volants" à aller y travailler. Il faut aussi créer sur ces territoires des associations libérales de proximité qui relient les généralistes, les spécialistes et les autres professionnels de santé qui irriguent les territoires pour assurer la permanence des soins de nuit et la continuité des soins de jour. Faisons confiance aux acteurs libéraux, les expériences qu'ils ont montées, comme à Belle île en mer en 2012, prouvent leur capacité à réorganiser les territoires.

Les autorités régionales de santé (ARS) sont-elles efficaces ?

Elles devraient nous faciliter la vie. Pour l'instant, elles tentent de nous diriger sans avoir la connaissance du terrain. Quand les agents des ARS terminent leur journée à 16H00 ou 17h00 nous restons encore de longues heures dans nos cabinets. C'est encore nous les élus syndiqués des régions (URPS) qui le soir allons à la rencontre des médecins en difficulté.

La campagne avant les élections aux Unions régionales des professionnels de
santé (URPS) a été très agressive. Existe-t-il une union syndicale ?

Au SML depuis un an, nous avons appelé à cette union et elle existe en médical comme en interprofessionnel. Les résultats des élections des médecins sont maintenant  connues et au SML, nous veillerons à ce que toutes les parties soient représentées dans tous les bureaux régionaux des URPS. Quant à l'agressivité de la campagne, elle a été plutôt bon enfant. Nous nous connaissons tous et l'ambiance est très rugby. Tous amis avant le match mais une fois le ballon lâché chacun joue sa partie. Le match des élections étant terminé, nous refaisons le pack contre la loi.