#PLTJE : la France devient-elle une « startup nation »  ?

Par Delphine Cuny  |   |  949  mots
Jacques-Antoine Granjon, fondateur de Vente-Privée.
Les jeunes pousses ont la cote, au gouvernement, auprès des groupes du CAC 40 et à la sortie des grandes écoles. Le dynamisme français est un phénomène remarqué aussi à l'étranger. Le soutien dont elles bénéficient devra s'inscrire dans la durée afin de faire émerger, parmi les 10 000 à 15 000 start-up françaises, des champions mondiaux et créer le CAC 40 de demain.

«La scène "tech" française se situe à un point d'inflexion» : c'est John Chambers, le patron du géant américain des réseaux informatiques Cisco, qui le dit. La présence en force des start-up de la French tech en janvier au CES de Las Vegas, le grand salon mondial de l'électronique grand public, n'est en effet pas passée inaperçue : c'était la première délégation européenne et les Frenchies représentaient une jeune pousse sur trois dans l'espace dédié Eureka Park. Il suffit d'ailleurs de se rendre dans l'un des nombreux incubateurs, accélérateurs ou usines à jeunes pousses de la capitale, comme le Numa et le Partech Shaker, ou encore l'un des Campings, Cantines et autres lieux équivalents des grandes métropoles françaises pour constater qu'il se passe indéniablement quelque chose : il existe des dizaines de jeunes gens enthousiastes, fourmillant d'idées, résolus à inventer de nouveaux produits ou services qui pourraient cha nger la vie des consommateurs ou des entreprises. Une nouvelle génération d'entrepreneurs très ambitieux, décomplexés, convaincus qu'il est possible de réussir dans leur pays et audelà, à l'échelle européenne voire mondiale, en rêvant de destins à la Xavier Niel (Free), Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée) ou Pierre Kosciusko-Morizet (Priceminister), plutôt que d'un siège de patron du CAC 40.

Un changement d'échelle en cours

Les jeunes pousses ont leurs entrées partout ou presque, jusque dans les salons de l'Élysée et de Matignon, où certaines ont eu le privilège de «pitcher» devant Manuel Valls en novembre, ou au «paquebot» de Bercy, où elles ont particulièrement la cote, et pour cause : 50 % de la création nette d'emplois viendraient des start-up, même si leur taux de mortalité est élevé, l'enjeu étant de les faire grandir. « La France est en train de se muer en start-up nation », répète-t-on d'ailleurs dans les couloirs de Bercy et de Bpifrance, la banque publique d'investissement, ardents promoteurs des jeunes entreprises innovantes, même si la secrétaire d'État au Numérique, Axelle Lemaire, lui préfère la notion plus inclusive de « République numérique».

L'expression « start-up nation» remonte à 2009 et était employée à l'origine pour décrire la percée spectaculaire des entreprises de haute technologie de la «Silicon Wadi», autour de Tel Aviv, en Israël. Bpifrance fait ainsi valoir que l'écosystème français de start-up est en train de « changer d'échelle» comme le prouvent les importantes levées de fonds par plusieurs entreprises en plein essor, comme le site de covoiturage BlaBlaCar et l'opérateur de réseau bas débit pour l'Internet des objets Sigfox, qui ont levé 100 millions, de dollars pour l'un et d'euros pour l'autre. Mais aussi l'introduction au Nasdaq du spécialiste du reciblage publicitaire Criteo, en 2013 - ce qui n'était pas arrivé à une entreprise française depuis Business Objects près de vingt ans auparavant -, et qui a été suivi par des sociétés de biotechnologies, DBV et tout récemment Cellectis, valorisée plus de 1 milliard de dollars.

Autre chiffre révélateur de cette floraison de jeunes pousses : 650 start-up se sont portées candidates en mars à la septième saison du Camping, le programme d'accélération de Numa Paris, pour 30 places seulement ! « La France est la première nation d'Europe en termes de créations de start-up, même devant le Royaume-Uni«, a lancé Emmanuel Macron, le ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, début mars, en visitant justement le Numa avec le vice-président de la Commission européenne Jyrki Katainen, pour lui faire toucher du doigt la réalité du dynamisme français en la matière.

Le numérique, mais aussi l'économie collaborative

Le phénomène reste cependant difficile à quantifier, d'autant qu'il n'existe pas de définition standardisée : on parle d'une « entreprise à la recherche d'un modèle économique qui se donne l'ambition de croître très vite», et qui n'est donc généralement pas rentable ; elle peut employer quatre personnes comme une centaine voire plus, sans oublier celles qu'on appelle des «scale-up» qui sont en plein essor international, comme BlaBlaCar. À Bercy, on évoque entre 8 000 et 10 000 start-up en France, certaines sources disent même 15000, dont environ la moitié à Paris et en Île-de-France, sur environ 80000 jeunes entreprises de croissance en Europe. Dans la seule capitale, il y aurait entre 3 000 et 5 000 start-up, selon que l'on parle du numérique au sens strict ou avec une acception plus large. L'innovation n'est en effet pas que technologique, mais couvre de nombreux champs, comme l'économie collaborative, tendance de fond, dans laquelle des Français sont peut-être en train de constituer de futurs champions.

L'enjeu pour l'économie française, qui dispose aujourd'hui de solides chefs de file mondiaux tels que L'Oréal, LVMH ou Pernod-Ricard, est de « créer le CAC 40 de dans dix ans et d'avoir des milliers de grandes entreprises qui puissent remplacer le CAC 40 actuel», avait expliqué cet hiver Emmanuel Macron à la conférence LeWeb devant un parterre de startuppeurs et investisseurs du monde entier. Car la révolution numérique, qui concerne tous les secteurs, pourrait bien rebattre les cartes à la faveur d'acteurs émergents et d'innovations de rupture. Depuis quelques mois, plusieurs grands groupes français se sont d'ailleurs mis en mouvement et ont déployé des programmes d'innovation ouverte, d'accompagnement de start-up, ou même des entités d'investissement en capital-risque, comprenant que pour eux aussi le salut viendra peut-être d'une start-up.

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