Pourquoi les médecins libéraux se mettent en grève ce vendredi

Par latribune.fr  |   |  1277  mots
Les médecins se sont déjà mis en grève cette année. Pour ce vendredi 13 octobre toutefois, aucune manifestation n'est prévue. (Crédits : Reuters)
Les médecins libéraux sont appelés à la grève ce vendredi 13 octobre par tous leurs syndicats représentatifs. Ils revendiquent à la fois de nouvelles négociations tarifaires et la modification d'une proposition de loi qui exaspère bon nombre de praticiens. Le mouvement pourrait se poursuivre pendant plusieurs jours, sur fond de « malaise profond » dans la profession.

Les médecins libéraux promettent un « vendredi noir » ce 13 octobre. Douze syndicats de médecins ou jeunes médecins appellent en effet à une grève. Objectif affiché, « donner un signal fort aux pouvoirs publics ».

« Toutes les activités de consultation, d'actes techniques, sont déprogrammées. Toutes les urgences seront transférées à l'hôpital public » et les gardes « arrêtées », a prévenu mardi le président du Bloc (syndicat des chirurgiens) Philippe Cuq, désigné porte-parole de cette nouvelle « intersyndicale ».

Les « urgences vitales » seront néanmoins « prises en charge », a-t-il précisé.

Il est difficile de prévoir combien de patients trouveront porte close. Mais les syndicats espèrent une mobilisation importante, pour bien démontrer à tous qu'en l'absence des libéraux, le système de soins ne fonctionne pas. « La mobilisation sera très largement au-delà des seuls médecins syndiqués », qui représentent « environ 10% » du nombre total de médecins libéraux, a assuré Philippe Cuq, qui n'avait « jamais vu » une telle unité syndicale, officielle.

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Selon les chiffres de l'Ordre des médecins, il existe environ 82.000 médecins libéraux en France, auxquels viennent s'ajouter 20.136 médecins qui ont une activité mixte, libérale et salariée. Les praticiens libéraux réalisent autour de deux millions de consultations quotidiennes, selon l'intersyndicale.

Grève « reconductible »

Aucune manifestation n'est toutefois prévue. « Je ne crois pas que ça change pour le pouvoir politique de voir 10.000 médecins dans la rue. Ce qui change c'est que les médecins s'arrêtent et qu'il y ait une véritable crise sanitaire », estime Philippe Cuq.

La grève pourrait d'ailleurs ne pas se cantonner qu'à ce vendredi 13 octobre. « Il faut qu'on arrive à créer le chaos pour relancer les négociations », ont déclaré les médecins libéraux du syndicat CSMF, l'un des principaux syndicats de médecins libéraux (généralistes et spécialistes), le week-end dernier. Une généraliste du département du Nord a indiqué espérer que le mouvement dure « quatre ou cinq jours au moins ».

« J'ai fermé tous mes rendez-vous du 13 au 30 » octobre, et « je suis en train de mettre en place la grève de la permanence des soins » (gardes), a fait savoir Luc Duquesnel, président de la partie « généralistes » du syndicat. Le docteur Bruno Perrouty, président de la partie « spécialistes » de la CSMF, a appelé de ses vœux « une grève reconductible avec un "black-out" des nouveaux rendez-vous ». « Seul moyen de faire comprendre qu'il y a un réel problème », selon lui.

Relancer les négociations sur la revalorisation

Dans les faits, le mouvement porte deux revendications. Les médecins souhaitent, d'une part, la réouverture « urgente » des négociations conventionnelles avec l'Assurance maladie. Le ministre de la Santé a d'ailleurs indiqué à l'AFP ce mercredi que la Sécurité sociale allait « renouer très rapidement ». « Je signerai dans les prochains jours la lettre de cadrage » qui permettra à l'Assurance maladie de débuter de nouvelles négociations tarifaires avec les syndicats représentatifs des médecins libéraux, a assuré Aurélien Rousseau.

Les négociations conventionnelles avec l'Assurance maladie avaient été rompues l'an dernier, donnant lieu à un règlement arbitral qui a fixé les tarifs des consultations à 26,50 euros pour les généralistes et 31,50 euros pour les spécialistes, soit une revalorisation de 1,50 euro par rapport aux précédents tarifs datant de 2017.

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Reste que les organisations syndicales ne sont pas toutes d'accord sur l'objectif de revalorisation, qui va de 30 euros pour le modéré MG France à 50 euros pour d'autres syndicats, comme l'UFML.

Une proposition de loi qui ne passe pas

D'autre part, les médecins demandent la modification de la proposition de loi Valletoux, portée par le député Frédéric Valletoux (Horizons), sur l'accès aux soins, qui sera examinée fin octobre au Sénat. Ce texte « chiffon rouge » pour bon nombre de praticiens vise à imposer aux médecins libéraux une forme de responsabilité territoriale. Elle prévoit notamment que les cliniques privées, et leurs soignants, devront davantage participer aux permanences de nuit et de week-end, pour soulager la charge des hôpitaux publics. Cette disposition exaspère beaucoup de médecins spécialistes : souvent affiliés à une clinique privée, ils redoutent d'être mobilisés pour assurer des gardes, voire d'être forcés d'aller en assurer à l'hôpital public.

Le ministre de la Santé a déjà scellé l'abandon du « contrat d'engagement territorial ». Proposé l'hiver dernier, il devait être passé entre le médecin et l'Assurance maladie pour permettre au praticien d'obtenir une revalorisation plus forte de la consultation (30 euros pour les généralistes par exemple), s'il acceptait un assortiment de contraintes, dont travailler parfois le samedi, augmenter sa patientèle, des gardes plus nombreuses et l'embauche d'un assistant médical. L'introduction d'une « forme de conditionnalité », de la revalorisation de la consultation à l'engagement local du médecin, « était une erreur », a reconnu la semaine dernière Aurélien Rousseau.

Il a aussi indiqué ne pas vouloir aller plus loin dans le développement de l'accès direct - sans ordonnance - des patients à certains paramédicaux (kinés, infirmières en pratique avancée...), qui hérisse le poil de beaucoup de médecins. « Penser que c'est l'accès direct qui nous sortira des difficultés, c'est une fausse promesse, c'est un miracle, et je ne poursuivrai pas sur le chemin de ce miracle », a-t-il déclaré Aurélien Rousseau.

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En revache, le ministre n'a pas saisi la perche que lui tendait le président de la CSMF, Franck Devulder : élargir les possibilités de dépassement d'honoraires, y compris aux généralistes, en impliquant les complémentaires santé pour éviter que l'usager ne se retrouve avec un reste à charge trop important. « Je suis très réservé » sur la capacité de cette proposition à résoudre le problème de sous-valorisation des actes dont se plaignent les médecins, a-t-il indiqué.

Malaise profond chez les médecins

Tous les syndicats convergent également pour évoquer le malaise profond des praticiens libéraux. Ceux-ci voient petit à petit se réduire leurs effectifs, et craignent que faute de moyens, la pratique libérale continue à reculer au profit de l'exercice salarié. Selon l'Ordre des médecins, l'effectif des médecins à statut exclusivement libéral a baissé de 11,8% depuis 2010, alors que l'effectif des médecins salariés a augmenté de 13,4% sur la même période. Environ 48,2% des médecins aujourd'hui sont salariés, contre 41,5% de libéraux exclusifs.

« Il faut arrêter de dégoûter les jeunes de s'installer », plaide Mélanie Rica-Henry, présidente du collectif Médecins Pour Demain, membre de l'intersyndicale. Cette trentenaire dénonce notamment la montée en puissance du travail administratif, qui désespère les soignants. « Il faut que nous puissions déléguer l'administratif pour faire du soin », martèle-t-elle.

Si les médecins réclament une revalorisation de leur consultation, « ce n'est pas pour augmenter ce qu'on gagne, c'est pour pouvoir embaucher », notamment des assistants médicaux ou infirmiers, et se concentrer sur les tâches proprement médicales, indique de son côté le docteur Patrick Gasser, président d'Avenir Spé-Le Bloc, un syndicat de médecins spécialistes.

(Avec AFP)