Comment l'IA devient un super-assistant pour les médecins

Appelée à occuper une place prépondérante dans la médecine du futur, l'intelligence artificielle (IA) va révolutionner les pratiques. Dans plusieurs spécialités, notamment l'imagerie médicale, cette technologie peut déjà faire aussi bien que l'homme pour certaines tâches, voire même le dépasser... Alors qu'un certain nombre d'innovations majeures voient progressivement le jour, l'IA devrait s'imposer demain comme un soutien essentiel du médecin, sans pour autant prendre sa place.
(Crédits : DR)

Chat GPT peut-il faire mieux qu'un médecin ? Le célèbre agent conversationnel d'OpenAI serait en tout cas plus empathique et plus précis, selon une étude de chercheurs de l'université de San Diego (Californie) conduite à partir de questions piochées sur des forums médicaux. Déjà en début d'année, le logiciel avait presque réussi l'examen de médecine aux Etats-Unis. Mais le remplacement de nos docteurs par des robots relève encore de la science-fiction, même si l'IA bouscule les pratiques. En radiologie, dermatologie et oncologie, les progrès de ces dernières années sont colossaux. Une équipe de l'Institut Curie a ainsi mis au point un algorithme capable de déterminer l'origine des cancers « de primitifs inconnus » (pour lesquels le premier organe touché ne peut être identifié). Cette prouesse a été présentée au congrès de l'American Association for Cancer Research (AACR), à Orlando (Floride), en avril dernier.

Révolution dans l'imagerie médicale

En imagerie médicale, l'IA peut repérer des fractures ou tumeurs invisibles pour l'œil humain. Créée en 2018, Incepto (Paris) donne accès à une vingtaine d'applications d'aide à la lecture ou au diagnostic. La plateforme s'appuie majoritairement sur des solutions d'autres startup, comme Avicenna.AI (La Ciotat) en matière de prise en charge des AVC aux urgences, ou ScreenPoint Medical (Pays-Bas) pour l'interprétation des mammographies.

Antoine Jomier, cofondateur et PDG d'Incepto, explique : « L'imagerie médicale a connu en 2016 un phénomène similaire à ce que nous vivons aujourd'hui avec ChatGPT et l'IA générative. Avec l'apparition de technologies dont les performances étaient comparables à celles des humains, environ 300 start-up ont été créées dans le monde. Une fois leurs solutions validées sur le plan réglementaire, tout l'enjeu était de les mettre entre les mains des médecins. Notre plateforme permet de résoudre ce problème d'accès ». La start-up développe aussi ses propres logiciels, par exemple pour l'aide au diagnostic et suivi des anévrismes de l'aorte.

« L'IA ne remplacera pas les médecins, mais elle va bouleverser les pratiques médicales et les parcours de prise en charge des patients tout en renforçant la confiance dans le diagnostic », poursuit Antoine Jomier.

A la clinique Esquirol Saint-Hilaire (groupe Elsan), à Agen, le déploiement d'une solution d'aide à l'interprétation des examens de traumatologie permet un gain de temps précieux pour les urgentistes et radiologues, et a réduit le nombre de fractures non repérées de 18% à moins de 3%. Incepto travaille avec 170 hôpitaux, cliniques et centres d'imageries, principalement en France et en Suisse. Après une levée de fonds de 27 millions d'euros en septembre dernier, elle a ouvert des filiales en Allemagne, Italie, Espagne et au Portugal.

Entre la prévention, la détection et l'accompagnement, le potentiel de l'IA pour la santé mentale est énorme. Présentée au dernier CES de Las Vegas, la solution d'Emobot (Paris) traduit, à l'aide d'une caméra, les expressions faciales en émotions pour un suivi dans le temps et en continu. Elle détecte ainsi de façon précoce les troubles de l'humeur. « Le but est d'aider le médecin à ajuster son traitement », explique Samuel Lerman, cofondateur de la jeune start-up. Déployé sous forme d'un robot dans des Ehpad, le logiciel peut aussi être intégré dans un smartphone ou un ordinateur. Emobot veut désormais faire certifier son produit en tant que dispositif médical. Une levée de fonds devrait être lancée dans quelques mois.

Un marché de 100 milliards de dollars en 2030

« L'IA a des vertus d'aide à la productivité, à la sécurité, à l'efficience et à la garantie du résultat. Mais dans un contexte d'utilisation exponentielle, se pose la question de l'intégration des données dans les algorithmes et de leur utilisation. Il y a deux réactions possibles : soit marquer un temps d'arrêt en réglementant de nouveau, soit faire exploser les modèles. On a quand même l'impression d'être à l'aube d'un gigantesque raz de marée dont tous les impacts ne sont pas connus », analyse Julien Gautier, associé santé et pharma chez Roland Berger.

Cette question des données est essentielle pour le développement du secteur. Le marché mondial de l'IA en santé, estimé à 4,9 milliards de dollars en 2020 devrait grimper à 45 milliards en 2026 puis à 100 milliards en 2030.

A côté de praticiens curieux et avides d'utiliser ces nouveaux outils, d'autres sont réticents. Frédéric Thomas, également associé santé et pharma chez Roland Berger, constate : « Contrairement aux vagues technologiques précédentes, la peur du remplacement touche cette fois des professions à haut contenu cognitif et à très forte spécialisation. L'IA va aussi déplacer les rôles, y compris pour des tâches moins nobles, par exemple pour rédiger la première version d'un compte-rendu d'imagerie médicale, qui est écrit par un interne aujourd'hui, ce qui pose aussi question en matière de formation ».

Eviter les complications et anticiper les risques

Demain, l'IA pourrait même devenir une sorte d'assistant capable de prédire les complications postopératoires. A partir d'un kit sanguin, la solution de SurgeCare (Paris) établit une cartographie du système immunitaire, puis des algorithmes prédictifs identifient les risques. Créée en 2021, la jeune pousse française a aussi un pied à Palo Alto (Californie) avec des laboratoires liés à l'incubateur de l'université de Stanford. Julien Hédou est PDG et cofondateur : « Le métier de chirurgien et anesthésiste consiste à évaluer le risque en fonction de multiples paramètres, nous voulons leur donner une information synthétique et claire qui puisse les mener à une prise de décision. Notre but est de mettre la solution à disposition du médecin, mais pas de chercher à le remplacer ». Les complications concernent 20 à 30% des interventions chirurgicales. En amont, SurgeCare aide à cibler les patients ayant le plus besoin d'une préparation, elle aiguille également le chirurgien pour l'opération. « Nous voulons changer l'approche du suivi postopératoire, actuellement liée à la gravité de l'acte, pour la centrer sur le patient. Ceci permettra également d'adapter les durées de séjours à l'hôpital », ajoute Julien Hédou. En phase d'essai clinique pour la chirurgie digestive, la technologie pourrait être étendue à l'urologie et aux complications de grossesse. La startup ambitionne de lever 4 millions d'euros d'ici cet été et espère commercialiser sa solution pour fin 2024. Celle-ci ouvre aussi la voie à une médecine de plus en plus personnalisée. Une des nombreuses promesses de l'IA.

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Commentaires 10
à écrit le 12/06/2023 à 18:43
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Le jour ou il y aura une tuile ,le médecin pourra toujours se défausser sur l' IA ,"c'est pas moi c'est l' IA".

à écrit le 12/06/2023 à 12:14
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Pour pouvoir qualifier "intelligence artificielle", encore faudrait il qu'on puisse définir ce qu'est l'intelligence... Dans le cas d'espèce, a priori ce que font ces machines c'est de trouver des corrélations entre des données. A charge pour la méde...

à écrit le 12/06/2023 à 9:59
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C'est sympa mais on aimerait aussi voir aussi des médecins sur l'ensemble du territoire. Nous nous dirigeons vers une médecine elitiste que seuls ceux qui ont suffisamment d'argent pourront payer. Ceci n'est pas une nouvelle au regard de l'évolutio...

le 12/06/2023 à 10:30
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Là où il n'y a pas de médecins le fait que vous ayez ou non de l'argent de change rien.

le 12/06/2023 à 13:26
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@ marc469 C'est en partie vrai mais ça ne change pas le fait que se faire soigner coûte de plus en plus cher. Les dépassements d'honoraires sont là pour en attester ainsi que le prix de certains médicaments...et les prises en charge de moins en moins...

à écrit le 12/06/2023 à 9:48
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Pendant ce temps : Trois syndicats de médecins hospitaliers appellent à une « journée de grève et d’action le 4 juillet », dénonçant une situation qui « n’a jamais été aussi grave » à l’hôpital public et réclamant « la reprise immédiate des négoci...

à écrit le 12/06/2023 à 8:54
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La question qui se pose est ;" Restera t'il assez de médecin digne de ce nom ?" ;-)

le 12/06/2023 à 9:39
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Les généralistes auront toutes leurs places encore, ce sont les spécialistes qui devraient être concurrencés.

le 12/06/2023 à 18:14
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Je pars du principe que tous les médecins sont compétents et consciencieux mais ils mettent des limites à l'exercice de leur profession pour préserver leur vie personnelle ce qui serait malvenu de leur reprocher .

à écrit le 12/06/2023 à 8:15
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C'est un domaine dans lequel la technologie a toute sa place, ces 20 dernières années tandis que les laboratoires pharmaceutiques financiers se sont reposés sur leurs lauriers à savoir sur leurs brevets les avancées médicales ont réellement progressé...

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