Retards de paiement : Alain Juppé a-t-il trouvé la solution ?

Par Fabien Piliu  |   |  1010  mots
"L'Etat et la sphère publique doivent prendre leurs responsabilités et payer leurs factures en temps et en heure", a déclaré lundi Alain Juppé, l'ancien premier ministre lors de Planète PME.
Le candidat à la primaire de droite a une solution toute trouvée pour que les entreprises ne soient plus payées en retard par les donneurs d'ordre publics et privés. Il souhaite que la BPI ou la CDC joue les intermédiaires. Que vaut cette proposition ?

Avec la crise, ou l'absence de reprise, les délais de paiements s'allongent. Les plus gros font attendre les plus petits et ce, quelle que soit la taille des entreprises. Le rapport de force joue rarement en faveur des plus faibles.

Ces retards de paiement ont des conséquences terribles sur l'économie française. Depuis la crise de 2009, le nombre annuel des défaillances d'entreprises tutoie les 60.000. La chute de la demande, les difficultés d'accès au crédit bancaire ou le relèvement de la pression fiscale entre 2011 et 2014 n'expliquent pas tout. Selon l'Observatoire des délais de paiement, les retards expliquent un quart de ces faillites.

La reprise ? Quelle reprise ?

Alors que la loi de modernisation économique (LME) votée en 2008 fixe à 60 jours le délai maximum pour régler ses factures, que la loi Hamon et la loi Sapin 2 renforcent les sanctions contre les mauvais payeurs, les retards restent élevés. On peut donc relativiser la puissance de la reprise en cours.

Selon le cabinet Altares, les entreprises ont réglé leurs fournisseurs avec en moyenne 12,2 jours de retard au deuxième trimestre. Certes, la situation s'améliore - ces retards s'élevaient à 13,6 jours un an plus tôt - mais elle reste très préoccupante.

La France se distingue-t-elle de ses voisins européens ? "La situation en Europe se caractérise par une absence de tendance claire. Le retard moyen global est quasi stable, à 14,5 jours au troisième trimestre 2015. Le Portugal et l'Italie demeurent les mauvais élèves, avec respectivement 30 et 20 jours de retard. L'Allemagne continue de montrer l'exemple, avec un retard moyen proche de 6 jours, mais les comportements de paiement se tendent légèrement au cours de l'année 2015 ", constate le rapport de l'Observatoire des délais paiement daté de 2016.

Quelle est la facture de l'Etat ?

Au total, bon an mal an, ce sont 15 milliards d'euros qui manquent dans la trésorerie des entreprises. Sur ce montant, 5 à 6 milliards d'euros auraient dû être payés par l'Etat et les collectivités territoriales, les centres hospitaliers publics.

Pour régler en partie ce dysfonctionnement majeur, Alain Juppé, l'un des favoris pour la primaire de droite et du centre avance une solution.

"Les choses ne peuvent plus durer ainsi. Je rappelle qu'elles représentent plus de 99% des entreprises, plus de 70% des emplois et environ 65% de la valeur ajoutée. Dans ce contexte, l'Etat et la sphère publique doivent prendre leurs responsabilités et payer leurs factures en temps et en heure ", a déclaré lundi Alain Juppé lors du Salon Planète PME au cours duquel tous les candidats à cette élection sont venus présenter leur programme économique aux dirigeants de PME qui s'inspire, avec cette proposition, des recommandations formulées par le Medef.

Une solution simple mais qui existe déjà

Sa solution est simple. "Je propose que la BPI France et/ou la CDC règlent immédiatement les sous-traitants et qu'elles fassent ensuite valeur droit auprès des mauvais payeurs. Elles devraient avoir plus de facilité qu'une TPE ou une PME pour se faire payer", a déclaré l'ancien Premier ministre.

L'idée est intéressante mais elle existe déjà, en partie.

En effet, les entreprises, quelle que soit leur taille, peuvent demander à la banque publique d'investissement une subrogation de créances pour financer les délais de règlements de grands donneurs d'ordre qu'ils soient publics ou privés.

Le problème, c'est que peu d'entreprises le savent. Par ailleurs, ce service est payant. En échange de cette mobilisation de créance et d'une avance de trésorerie, l'entreprise doit contracter un crédit, le plus souvent accordé pour une durée d'un an.

A la différence de la proposition d'Alain Juppé, l'entreprise ne cède pas sa créance à BPI France. Il en reste le propriétaire. En 2015, selon son rapport annuel, BPI France, le montant de ces mobilisations de créances s'est élevé à 3,6 milliards d'euros, un montant en hausse de 3,1% sur un an.

Si elle a le mérite de la simplicité, cette solution qui correspond à de l'affacturage inversé possède quelques défauts, en raison de l'absence de précisions plus fines. Des zones d'ombres doivent être éclaircies.

Techniquement impossible

Si Alain Juppé accède à l'Elysée, ce service sera-t-il toujours payant ? On ne le sait pas. BPI France peut-elle fournir un service de ce type gratuitement ? Au sein de la banque publique, on estime cette hypothèse techniquement inenvisageable. "Jamais la Banque centrale européenne et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution qui assurent la surveillance prudentielle de BPI France n'autoriseraient la banque publique à rendre des services gratuits. Bruxelles s'y opposerait également car la Commission européenne considérerait que nous subventionnons les entreprises françaises", explique un bon connaisseur du dossier.

"Rien n'est gratuit. Encore moins les activités bancaires ! Accorder des lignes de crédit pour soulager la trésorerie des entreprises coûte de l'argent. Or, cet argent, on va le chercher sur le marché. Si l'on offre ce service gratuitement, ce sont l'Etat et la CDC qui en supporteraient le coût, sans compter celui du traitement humain, comptable de ces missions. derrières les lignes de crédits et les avances sur créances, il y a des salariés qui ne travaillent pas gratuitement. C'est ainsi ", poursuit notre expert.

Une drôle de logique

Par ailleurs, quel rôle peut jouer la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dont le nom est évoqué par Alain Juppé, sachant que CDC Entreprises, la filiale en charge du capital-risque de la CDC, a été absorbée par la BPI ?

Autre question, la BPI a-t-elle les reins assez solides pour répondre à cette potentielle injonction, sachant que l'effort financier à fournir dépasserait vraisemblablement les 5 milliards d'euros ? Par ailleurs, le principe même de cette solution pourrait paraître... disons le mot... étrange. Utiliser de l'argent public pour financer le règlement de factures émises par la sphère publique au secteur privé est-il profondément rationnel ?