Retraites : le report de l'âge de départ à 64 ans n’est « plus négociable », avertit Elisabeth Borne

Par latribune.fr  |   |  1412  mots
(Crédits : Reuters)
Le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans « n'est plus négociable », a affirmé dimanche la Première ministre, Elisabeth Borne, à la veille du début de l'examen du projet de loi en commission à l'Assemblée nationale. Le gouvernement tient à rappeler ses conditions, alors que le soufflé ne retombe pas côté opposition et syndicat : plus de 7.000 amendements ont été déposés, essentiellement par la gauche qui entend faire durer les débats, et les syndicats comptent descendre massivement dans la rue ce mardi.

[Article mis à jour le 29/01/2023 à 16:15 avec les réactions de Manuel Bompard, Fabien Roussel et Marine Le Pen]

Le calendrier s'accélère pour le très contesté projet de réformes des retraites : alors que les députés s'emparent en commission du texte ce lundi, pour un galop d'essai sur 7.000 amendements, les opposants préparent une vaste journée de mobilisation dès le lendemain. Forts du succès de leur première mobilisation du 19 janvier (1,12 million de manifestants selon Beauvau, plus de deux millions d'après les organisateurs), les syndicats appellent en effet à de nouvelles manifestations partout en France mardi, et menacent de grèves en février.

De quoi pousser le gouvernement à rappeler ses conditions, contestées par l'essentiel des oppositions. « La retraite à 64 ans et l'accélération [de l'allongement de la durée des cotisations, ndlr] de la réforme Touraine [...] ce n'est plus négociable », a prévenu dimanche sur franceinfo la Première ministre, Elisabeth Borne.

« C'est le compromis que nous avons proposé après avoir entendu les organisations patronales et syndicales, après avoir échangé avec les différents groupes parlementaires [...] C'est nécessaire pour assurer l'équilibre du système », a-t-elle fait valoir dans cet entretien réalisé samedi, en marge d'un déplacement dans la circonscription du Calvados dont elle a été élue députée.

Et d'affirmer que la durée des cotisations aurait pu être encore allongée, si le gouvernement ne s'en tenait qu'à ses calculs : « Si on n'avait qu'un seul paramètre, alors ça ne serait pas 43 ans de cotisation et 64 ans pour pouvoir partir à la retraite, ça pourrait être 45 ans de durée de cotisation, ce qu'il nous semble impossible de demander aux Français », a-t-elle assuré.

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Evolution possible du texte pour protéger les femmes

La locataire de Matignon a notamment défendu la réforme sur un volet qui fait particulièrement polémique ces derniers jours : celui de ses conséquences sur la retraite des femmes. Et pour cause, une étude d'impact présentée le 23 janvier montre que le report de l'âge de 62 à 64 ans va beaucoup plus toucher les femmes que les hommes. Pour celles nées en 1972, par exemple, l'âge moyen de départ va augmenter de neuf mois contre cinq pour les hommes de la même année. Et pour la génération de celles nées en 1980, l'écart sera encore plus marqué, puisqu'il sera deux fois plus important  : 8 mois de plus pour les femmes contre quatre pour les hommes.

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Malgré ces chiffres, Elisabeth Borne a continué de défendre le texte. Car selon elle, celle-ci « protège les femmes qui ont des plus petits revenus tout au long de leur vie professionnelle et qui sont largement majoritaires dans celles qui ont la retraite minimale, en revalorisant cette retraite minimale ».

« Les deux tiers des retraités qui vont bénéficier d'une revalorisation, ce sont des femmes. Et les deux tiers des retraités qui demain partiront avec 100 euros de plus par mois, ce sont des femmes », a-t-elle insisté ce dimanche.

Cependant, la Première ministre a suggéré une évolution possible du projet en vue d'une meilleure utilisation des trimestres « éducation » et « maternité » obtenus par les femmes au cours de leurs carrières. « Dès aujourd'hui, il y a beaucoup de femmes qui ne peuvent pas les utiliser à plein, on est en train d'analyser la situation de ces femmes », a-t-elle avancé. Par ailleurs, la cheffe du gouvernement s'est montré ouverte à l'instauration par les députés d'une clause de revoyure de la réforme.

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Les oppositions bondissent

Côté opposition et syndicats en tout cas, le soufflé ne retombe pas. En toute logique, la fermeté affichée par Elisabeth Borne sur les mesures d'âge, dont l'exécutif ne s'était jamais départi, a même fait bondir les oppositions.

Depuis son fief d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), la patronne des députés RN, Marine Le Pen a ainsi mis en garde la Première ministre qui « ne devrait pas trop s'avancer, parce que, parti comme c'est parti, il n'est pas du tout impossible que sa réforme des retraites ne soit pas votée ».

« Si vous ne voulez pas que le pays soit bloqué, il faut que la petite minorité gouvernementale renonce à cette réforme », a quant à lui fait valoir le coordinateur LFI Manuel Bompard. De son côté, le dirigeant communiste Fabien Roussel a assimilé ses déclarations à une « provocation à 48 heures de la manifestation ».

Les syndicats veulent frapper encore plus fort mardi

En effet, la rue compte aussi se faire entendre, en frappant fort ce mardi : les huit principaux syndicats français ont appelé « à se mobiliser encore plus massivement le 31 », afin de venir à bout d'une « réforme injuste » et de sa mesure phare sur le report de 62 ans à 64 ans de l'âge légal de départ à la retraite. Si le LFI Jean-Luc Mélenchon a suggéré samedi aux syndicats d'organiser prochainement une « très grande marche » un week-end, c'est donc dès ce mardi que la participation sera scrutée dans les nombreux rassemblements (plus de 200) prévus. A Paris, le parcours doit cette fois-ci s'achever aux Invalides, tout près de l'Assemblée nationale, où l'examen du projet de loi aura débuté lundi en commission.

Des perturbations sont donc attendues dans les transports en commun, en particulier à la SNCF et à la RATP. Le ministre des Transports, Clément Beaune, a ainsi mis ce dimanche en garde contre une « journée difficile voire très difficile », en invitant celles et ceux qui le peuvent au télétravail. Selon la SNCF, le trafic sera « fortement perturbé » sur les TGV, très peu de trains sur les réseaux Transilien et TER. Côté transport aérien, la direction générale de l'Aviation civile (DGAC) prévoit « des perturbations et des retards » et « invite les passagers qui le peuvent à reporter leur voyage », a-t-elle indiqué dimanche après-midi dans un communiqué. Par ailleurs, des fermetures de classes, voire d'écoles, sont aussi à prévoir, le taux de grévistes chez les enseignants de primaire devant être connu lundi.

Mais après la première journée réussie, « la barre a été placée haut », note le politologue Dominique Adolfatto, et les syndicats « ne peuvent pas se permettre un faux pas ». Reste que ces derniers se montrent plutôt confiants. « Nous sommes bien partis pour être plus nombreux », assure ainsi à l'AFP Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Espoir conforté par des sondages attestant d'un rejet croissant de la réforme dans l'opinion. « La population est très défavorable au projet et cet avis tend à prendre de l'ampleur », constate aussi le numéro un de la CFDT, Laurent Berger. Qui met en garde l'exécutif : ne pas tenir compte des mobilisations « serait une faute ».

Suite incertaine

Au-delà de cette journée phare, la suite du mouvement reste néanmoins incertaine. Du côté de la CGT, certaines fédérations poussent pour un durcissement. De nouvelles grèves sont déjà annoncées dans les ports, raffineries et centrales électriques à partir du 6 février. Chez les cheminots, ce sera le 7 et le 8, prélude à un préavis reconductible « dès la mi-février », ont prévenu la CGT et SUD. En plein pendant les vacances d'hiver et son grand weekend de chassé-croisé du 18-19.

Mais la CFDT préfère « garder l'opinion » de son côté. « Le niveau d'efficacité syndicale ne se mesure pas au niveau d'emmerdements concrets pour les citoyens », explique Laurent Berger, qui ne veut pas non plus multiplier les journées d'action « car de nombreux travailleurs ne peuvent pas tenir sur un rythme aussi intense ». « Une ou deux démonstrations de force » supplémentaires suffiront selon lui à faire entendre raison à l'exécutif.

Reste à en convaincre les autres leaders syndicaux, qui se réuniront mardi soir au siège de Force ouvrière. Jeudi soir, la Première ministre sera invitée sur France 2, deux jours après la deuxième journée de mobilisation syndicale.

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(Avec AFP)