Décalage de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, allongement de la durée de cotisation, fin des régimes spéciaux... les griefs contre la réforme des retraites sont nombreux. Dans le fond comme dans la forme. Opposition et syndicats dénoncent le choix du gouvernement de faire passer son texte par un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) rectificative (ou PLFRSS). Un nom complexe pour un dispositif qui permet à l'exécutif d'accélérer l'adoption de la réforme. Dénoncé comme une « atteinte aux droits du Parlement » ou encore « une manœuvre grossière, digne d'ennemis de la démocratie », qu'est-ce que cet outil législatif dont le choix est tant décrié ? Comment fonctionne-t-il ? Et pourquoi fait-il débat ? Explications.
Qu'est-ce qu'un PLFRSS rectificative
Un PLFSS « vise à maîtriser les dépenses sociales et de santé, écrit le gouvernement sur son site internet, précisant qu'« en fixant les objectifs de dépenses en fonction des prévisions de recettes, le PLFSS détermine les conditions nécessaires à l'équilibre financier de la Sécurité sociale ». Il est « présenté annuellement par le gouvernement à l'automne ». Le dernier en date, présenté en Conseil des ministres et déposé au Parlement le 26 septembre 2022, a été promulgué le 23 décembre. Pour le modifier, l'exécutif doit donc passer par un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, né d'une révision constitutionnelle du 22 février 1996, et ce dernier doit être « adopté selon les mêmes règles que la loi initiale ».
Comment fonctionne-t-il ?
C'est là tout l'intérêt du gouvernement : appliquer les mêmes règles d'adoption, c'est-à-dire, une procédure rapide. Et ce, grâce à l'article 47-1 qui définit « la procédure parlementaire » à suivre. Concrètement, « l'Assemblée nationale dispose d'un délai de 20 jours pour examiner le texte en première lecture. Si l'examen du texte n'est pas terminé au bout de 20 jours, le gouvernement transmet le texte au Sénat sans qu'il ait été adopté par l'Assemblée nationale. En première lecture, le Sénat dispose d'un délai de 15 jours. Au total, le Parlement doit se prononcer dans les 50 jours, sinon le PLFSS peut être adopté par voie d'ordonnance », précise le site vie-publique.fr.
Quels avantages présente-t-il pour le gouvernement ?
Or, l'exécutif pourrait bien ne pas recueillir la majorité des voix pour faire adopter sa réforme par l'Assemblée nationale. Au sein même de la majorité présidentielle, des députés ont fait part de leur réticence à voter le texte, à l'instar de la députée de la Somme, Barbara Pompili (Renaissance) ou encore de la députée du Maine-et-Loire, Stella Dupont (Renaissance). Même du côté d'Horizons, le parti d'Édouard Philippe - qui fut Premier ministre lors de la première tentative d'instaurer une réforme des retraites en 2019 dont l'adoption a été interrompue par la crise sanitaire -, des hésitations pointent ici et là. D'autant que la mobilisation des Français contre le texte le 19 janvier dernier a dépassé toutes les attentes, même celles des syndicats. Selon le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, « plus de 2 millions » de personnes ont manifesté en France (1,2 million de personnes, selon le ministère de l'Intérieur).
Le gouvernement voit donc d'un bon œil la possibilité d'accélérer le temps législatif. Sans compter que, le passage de ce texte, présenté le 10 janvier dernier par Élisabeth Borne, via un PLFSS rectificative lui permet d'utiliser, à nouveau, l'article 49.3. Pour rappel, ce dernier autorise le gouvernement à adopter un texte sans vote.
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l'exécutif ne peut utiliser le 49.3 qu'une seule fois par session. Toutefois, cette limitation ne s'applique pas aux textes budgétaires, comme le PLFSS rectificative. Ce qui explique qu'Élisabeth Borne ait pu s'en saisir à 10 reprises pour l'adoption de la loi de finance, ainsi que pour la loi de financement de la Sécurité sociale.
Pourquoi fait-il débat ?
Depuis plusieurs jours, des voix dans l'opposition et chez les syndicats s'élèvent pour condamner cette stratégie. « Vous ne pouvez pas faire passer de façon escamotée ce texte sur les retraites, dans ce climat social », a argué le leader de la CFDT, Laurent Berger. Le patron des députés PCF, André Chassaigne, y voit, lui, « une manœuvre grossière, digne d'ennemis de la démocratie ». Un budget rectificatif sert à modifier les prévisions de recettes et dépenses de l'année en cours, pas à « imposer une réforme de fond », a déploré elle aussi Mathilde Panot, cheffe de file du groupe LFI.
De son côté, le gouvernement rétorque que les mesures de relèvement de l'âge légal de la retraite ou de durée de cotisations « relèvent » bien d'un PLFRSS car elles touchent aux comptes de la Sécurité sociale.
Si l'exécutif affirme la légalité de l'utilisation du PLFSS rectificative pour passer sa réforme tant contestée, ce procédé peut néanmoins être retoqué par le Conseil constitutionnel.
Mais avant lui, c'est l'avis rendu par le Conseil d'État qui va être scruté tant par le gouvernement que par l'opposition et les syndicats. Si cet avis n'est que consultatif, il peut néanmoins influencer celui du Conseil constitutionnel. « Le Conseil constitutionnel est assez proche du Conseil d'État. Bien que ce dernier agisse en tant qu'organe donnant son avis à l'État, sa réponse est la première bataille », explique Eric Landot, avocat en droit public.
C'est ce qu'a bien compris le groupe parlementaire rassemblant la France insoumise (LFI) et la Nupes qui a dénoncé, dans un document transmis au Conseil d'État, des « atteintes aux droits du Parlement ». Parmi les observations, les députés représentés par Mathilde Panot assurent, d'une part, que le contexte dans lequel peut être utilisé un PLFSS rectificative ne correspond pas à celui actuel.
Autre argument pointé par le document transmis au Conseil d'État, l'absence d'urgence à faire passer rapidement la réforme des retraites. « La brièveté des délais impartis ne trouve en revanche aucune justification en ce qui concerne l'adoption du projet de loi examiné » , fait valoir le groupe parlementaire.
Plus encore, les courts délais prévus par l'article 47-1 « sont manifestement incompatibles avec l'examen raisonnablement consciencieux des nombreux amendements qui seront à étudier, s'agissant d'une réforme de fond du système de retraites qui ne présente objectivement aucune urgence », dénonce-t-il.
Enfin, le texte dénonce la présence de « cavaliers sociaux dans le projet de loi de financement » qui « n'ont pas leur place dans une loi de financement de la Sécurité sociale, car ils n'ont pas d'effet - ou un effet trop indirect - sur les dépenses ou les recettes des régimes ou des organismes concourant à leur financement ».
Selon le groupe LFI-Nupes, c'est le cas de l'« index senior » qui serait rendu obligatoire pour les entreprises afin de distinguer les « bons » élèves des « mauvais » en matière d'emploi des seniors, ou de prévention de l'usure professionnelle.
Qui pour trancher ce débat ?
Pour Eric Landot, ce sont bien ces « cavaliers sociaux » qui pourraient poser problème et être retoqués par le Conseil constitutionnel. Ce dernier « va vérifier si le gouvernement n'a pas inséré dans le projet de loi des éléments qui ne relèveraient pas du pur financement ou qui seraient arrivés trop tard dans la procédure », explique-t-il.
Ce qui, selon lui, pose une difficulté pour l'exécutif qui, « soit propose une réforme purement paramétrique, c'est-à-dire en changeant seulement les paramètres de calcul de la retraite, soit il y a ajoute d'autres mesures qui sortent de ce champ », et prend le risque de voir les Sages s'en mêler. Difficile toutefois de dire quels éléments de la réforme pourraient être concernés. « C'est vraiment du cas par cas », précise-t-il.
Reste à attendre la publication de l'avis du Conseil d'État qui, selon l'avocat, donnera un premier aperçu des décisions que pourrait prendre le Conseil constitutionnel.
Une chose est sûre, son président, Laurent Fabius, a d'ores et déjà averti qu'il se montrerait vigilant, a rapporté le Canard Enchaîné :
« Tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire » et censuré, a-t-il déclaré.
Et du côté des constitutionnalistes, les avis sont partagés, les uns évoquant un « détournement de procédure », les autres un outil légitime mais « ambigu ». Affaire à suivre.