Un accord de libre échange UE-Etats-Unis trop alléchant sur le papier ?

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1019  mots
Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur. Copyright Reuters
Alors que Bruxelles semble vouloir presser le pas pour que des négociations aboutissent rapidement, la ministre française du Commerce extérieur tempère. Selon Nicole Bricq, ce n'est pas parce que l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis est avantageux - pour l'Union européenne - sur le papier, que les termes de l'accord doivent s'en trouver bâclés. D'où la nécessité de prendre le temps de présenter "un mandat clair, ferme et précis".

Rien ne sert de courir, mieux vaut "un mandat clair, précis et ferme". Tel est le message que Nicole Bricq, la ministre du Commerce extérieur, a souhaité faire passer lors d'un point presse organisé à Bercy ce lundi pour évoquer l'état du projet d'accord de partenariat transatlantique. Notons au passage que cette conférence se déroulait au moment même où le Premier ministre japonais Schinzo Abe et les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne Herman Van Rompuy et Jose Manuel Barroso s'entretenaient par téléphone afin de lancer officiellement les négociations pour parvenir à un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Japon.

"Les entreprises sont majoritairement favorables à un accord"

Cette rencontre faisait suite à une consultation publique organisée en ligne par la ministre auprès des fédérations et organisations professionnelles afin que les acteurs français concernés puissent faire part de leur opinion et de leurs attentes. Nicole Bricq s'est d'ailleurs félicitée d'avoir reçu cinq fois plus de réponses que lors de la consultation sur l'accord de libre-échange Union européenne-Japon. Résultat des courses, les entreprises françaises semblent majoritairement favorables à un accord de partenariat transatlantique, pourvu qu'il soit équilibré. Preuve que "cet accord suscite de l'intérêt", s'est réjoui la ministre.

"Un chiffrage de salon"

Cependant la Commission européenne semble -au goût de Nicole Bricq - un peu trop pressée de parvenir à un accord présenté comme mutuellement avantageux. Certes, selon une étude indépendante commandée par la Commission européenne et publiée le 12 mars, cet accord pourrait rapporter quelque 119 milliards d'euros par an à l'Union européenne et 95 milliards d'euros aux Etats-Unis. D'après les calculs de l'institut londonien Center for Economic Policy Research, cela se traduirait "en moyenne par un supplément de revenu disponible de 545 euros par an pour une famille de quatre personnes dans l'Union européenne". Cet accord serait même bénéfique pour le reste du monde, reconnaît la ministre. Le PIB mondial augmenterait en effet de 100 milliards d'euros. L'accord semble également alléchant du fait de la croissance américaine estimée à 2% qui pourrait sans doute donner un coup de pouce à celle - atone - de l'Union européenne, concède encore Nicole Bricq.

Toutefois, la ministre française met un bémol à ce "chiffrage de salon". "Les chiffres mirobolants de la Commission européenne ne valent pas un bon mandat", avance-t-elle. "Regardez ce qui se passe pour le Canada. La Commission voulait boucler le dossier fin décembre et aujourd'hui [à cause d'un mandat faible, ndlr] rien n'est fait", a déploré Nicole Bricq. Et d'enchérir : "Ces calculs sont faits à l'horizon 2025, mais d'ici là nous serons tous morts", en faisant allusion à la célèbre formule de l'économiste John Maynard Keynes "à long terme nous serons tous morts". En effet, "les négociations vont durer plusieurs années", a-t-elle assuré.

Défense, culture, viande et maïs exclus des négociations?

Nicole Bricq préfère donc se concentrer sur le présent, à savoir les réticences sectorielles confirmées par la consultation. "La Commission doit accepter qu'il y ait des secteurs sensibles", a insisté la ministre. Tout d'abord, le secteur de la Défense doit être exclu de la négociation. Ensuite, les secteurs des viandes, des ?ufs ou encore du maïs doux ne souhaitent pas non plus faire partie des discussions. Vient ensuite la question de l'exception culturelle. François Hollande a d'ailleurs fait part de sa volonté d'écarter ce secteur des négociations. "Il existe une ligne rouge" que l'on ne doit pas franchir. Sur ce point, "la France ne transigera pas", a encore assuré la ministre.

Devant un accord de libre-échange, le secteur automobile français freine

Ensuite, selon Nicole Bricq, la consultation publique a permis de mettre en lumière le fait que les constructeurs automobiles français sont opposés à un tel accord. Or, toujours d'après les calculs de l'institut britannique, le secteur automobile serait justement celui qui verrait ses exportations considérablement augmenter, de près de 42%. La croissance du commerce bilatéral serait encore plus impressionnante puisque selon les chiffres mis en avant par la Commission européenne, les exportations de véhicules automobiles de l'UE vers les Etats-Unis augmenteraient de 149%. Pour autant, Nicole Bricq reconnaît que cet accord serait, pour ce secteur, sans doute plus profitable à nos voisins d'outre-Rhin qu'à l'Hexagone.

Autre pierre d'achopement, Nicole Bricq a souligné l'importance du secteur financier. Quid de la convergence règlementaire quand l'Europe vient d'adopter Bâle III tandis que les Etats-Unis n'appliquent même pas Bâle II, s'interroge la ministre? Il s'agit là d'une évidente distorsion de concurrence.

De l'importance du principe de réciprocité

La ministre a également rappelé l'importance du principe de réciprocité. A cet égard, Nicole Bricq en a profité pour déplorer la faible ouverture des marchés publics américains, "à hauteur de 32% aujourd'hui, contre 92% en Europe". La ministre du Commerce extérieur a regretté le caractère "un peu trop protectionniste" du plan de relance de 800 milliards outre-Atlantique promouvant le "made in USA". Et Nicole Bricq de conclure : "Il faut transformer le 'Buy american Act' en 'Buy transatlantic Act'. Faisons un rêve", a-t-elle ajouté avec un brin de malice, en allusion à la célèbre formule : "I have a dream" de Martin Luther King.

Du reste, la ministre du Commerce extérieur - qui sera à Washington courant avril - juge le calendrier beaucoup trop serré. Alors que le sommet informel de Dublin les 17 et 18 avril permettra aux ministres du Commerce extérieur d'échanger sur cet accord, il faudrait que l'Europe soit en mesure de présenter un mandat précis le 14 juin, date du sommet européen lors duquel devrait être entérinée la position des 27. Si cela pourrait satisfaire la présidence irlandaise de l'Union européenne dont le mandat s'achève fin juin, cela semble beaucoup trop tôt aux yeux de la ministre.