À la dérive, la première cargaison ukrainienne de céréales peine à trouver des acheteurs

Par latribune.fr  |   |  552  mots
Un navire charge sa cargaison de céréales dans le port d'Odessa. (Crédits : Haropa)
Le « Razoni » a pris la mer le 1er août depuis Tchornomorsk. Depuis, son itinéraire ressemble à une course d'obstacles. Son premier client au Liban s'est désisté, en dénonçant la qualité dégradée des grains, et seuls 5% de sa cargaison a été vendue à un acheteur turc. La perspective d'un retour à la normale des ventes ukrainiennes de céréales dans le monde n'a jamais semblé si fragile, tout comme l'accord russo-turco-ukrainien qui l'a permis.

S'est-on réjoui trop vite de la reprise des exportations ukrainiennes de céréales ? Si l'accord tripartite signé par les Russes, les Ukrainiens et les Turcs sous l'égide de l'ONU le 22 juillet laissait entrevoir l'espoir pour les Ukrainiens d'écouler une partie des dix milliards d'euros de céréales qui stagnent encore sur le territoire qu'ils contrôlent, il n'en est rien pour l'instant.

A peine une dizaine de bateaux chargés de céréales ont quitté les ports ukrainiens d'Odessa et de Tchornomorsk. Pire, ces cargaisons peinent maintenant à trouver des débouchés. A ce titre, l'exemple le plus frappant est celui du « Razoni ». Le premier navire a quitté un port ukrainien depuis le début de la guerre connaît une longue errance depuis le 1er août. Alors qu'il avait déjà pris la mer, son acheteur initial, vraisemblablement basé au Liban, qui avait passé commande avant la guerre, a finalement renoncé à acquérir la cargaison, prétextant le retard de la livraison imputable à la guerre, alors même qu'une cérémonie était prévue avec les diplomates à Tripoli au Liban.

La qualité des grains en question

Mais la première raison réside dans la qualité des grains, qui s'est sérieusement dégradée après plusieurs mois passés dans la cale du Razoni. En effet, il est courant que des navires prennent le large sans savoir exactement qui sera leur client final, l'affréteur attendant la meilleure offre en fonction des cours très volatils des matières premières agricoles. Et si un nouvel acheteur s'est manifesté, à Mersin sur la côte méridionale turque, il ne devrait acquérir que 5% des 26.000 tonnes que transporte le Razoni. Quid des 95% restants, de moins en moins vendable à mesure que le temps passe ?

La Turquie ne figure même pas sur la liste des pays les plus ébranlés par la pénurie de blé et de maïs en provenance d'Ukraine. Il est ainsi envisageable que des nations du monde africain ou arabe comme l'Egypte se saisisse de cette cargaison à la dérive. Les difficultés du Razoni confirment les doutes de spécialistes du négoce qui voyaient de nombreux obstacles à une reprise réussie du commerce de céréales depuis l'Ukraine.

Un accord bien fragile

En effet, les navires sont forcés de sillonner dans des zones ultra-militarisées, notamment proches des côtes d'Ukraine et de Crimée, où les bâtiments de guerre de la marine russe cohabitent avec les mines sous-marines larguées par les Ukrainiens.

L'hypothèse d'un « accident » qui coule un de ces bateaux commerciaux est évoqué par les experts du secteur, qui doutent notamment que la Russie laisse l'Ukraine s'enrichir significativement par l'export de céréales. Toutefois, Moscou se trouve également sous la pression de ses partenaires africains qui, comme l'ont rappelé à Vladimir Poutine le président de l'Union africaine et le président du Sénégal Macky Sall à Sotchi le 3 juin, jugent être injustement « victimes » du conflit en Ukraine qui les privent de blé pour nourrir leur population. Si la Russie a accepté de faire un geste à travers cet accord, rien ne dit qu'il sera durable, d'autant plus si les navires qui arrivent à bon port peinent à trouver des clients.