Macron sur les frappes en Syrie : des missiles pour "ouvrir le dialogue"

Par latribune.fr  |   |  971  mots
Repris par le régime syrien, la Ghouta orientale était l'ancien "poumon vert" de la capitale. (Crédits : Reuters)
Emmanuel Macron s'est présenté, dimanche, comme étant au cœur du jeu diplomatique mondial et a vanté le caractère juste de sa politique face aux critiques lors d'un entretien télévisé musclé, son deuxième en quatre jours.

(Article publié le 16 avril à 11h20, mis à jour à 13h20 avec l'infographie de notre partenaire Statista)

C'est en tant que chef de guerre qu'Emmanuel Macron a d'abord du s'expliquer, hier soir, face aux journalistes Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, dans le foyer du palais de Chaillot. Un lieu symbolique, car c'est entre ces murs que s'est tenue, à deux reprises, l'Assemblée générale de l'ONU, respectivement en 1948 et 1852, et où a été adoptée la Déclaration universelle des droits de l'Homme, le 10 décembre 1948.

Sans hésitation, le président a ainsi défendu les frappes françaises, américaines et britanniques menées le 14 avril contre des sites du régime syrien à Douma, ex-enclave rebelle de la Ghouta orientale, hors du cadre des Nations unies, et s'est présenté comme étant au cœur du jeu mondial.

"Nous avons la pleine légitimité internationale", a dit le chef de l'État, car le droit a été bafoué par l'utilisation d'armes chimiques.

Cette décision aurait été prise dès le lendemain de l'attaque chimique sur la foi de preuves, selon lui, attestées, et "conformément à (ses) engagements". Il cite pour cela la résolution non respectée de l'ONU datant de 2013 pour le démantèlement de l'arsenal chimique syrien.

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(La majorité des pays ont signé la Convention contre les armes chimiques dès 1993, mais trois pays n'y ont toujours pas adhéré : l'Egypte, le Soudan et la Corée du Nord. Un graphique de notre partenaire Statista)

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Pas de déclaration de guerre à Bachar al-Assad

Lors de l'interview télévisée d'hier soir, Jean-Jacques Bourdin s'interroge : "Peut-on obtenir la paix par un acte de guerre ?" Emmanuel Macron répond pas la négative, en précisant "qu'on obtient pas la paix en faisant des bombardements", tout en restant clair sur son objectif : préparer la transition politique à Barchal al-Assad.

"La France n'a pas déclaré la guerre au régime de Bachar al-Assad. Nous avons œuvré pour que le droit international ne soit plus violé, ainsi que les résolutions de l'ONU", affirme-t-il. "Nous préparons une solution politique" en Syrie afin de "permettre une transition", précise-t-il.

Macron a "convaincu" Trump de rester en Syrie. Vraiment ?

Emmanuel Macron n'a pas manqué de vanter son influence en expliquant avoir convaincu le président américain Donald Trump de maintenir ses troupes en Syrie, et de ne frapper que des sites chimiques. Mais quelques heures seulement après l'interview télévisée, la Maison Blanche s'est fendue d'un communiqué qui dit l'inverse.

La mission américaine n'a pas changé : le président a été clair sur le fait qu'il veut que les forces américaines rentrent à la maison le plus vite possible", a dit sa porte-parole, Sarah Sanders.

Pour autant, les États-Unis ont aussi fait savoir qu'ils ne retireraient pas leurs troupes en Syrie tant que leurs objectifs n'auront pas été atteints, à savoir "écraser" le groupe État islamique (ISIS), avoir la certitude qu'aucune arme chimique ne puisse être utilisée de manière constituer une menace pour les intérêts américains et être en mesure de surveiller les activités iraniennes. Le journaliste Edwy Plenel n'a d'ailleurs pas manqué de souligner que l'engagement des Américains en Syrie est surtout motivé par leurs divisions profondes avec l'Iran, notamment sur la question du nucléaire iranien.

Poutine prédit le chaos en cas de nouvelles frappes en Syrie

Cela étant, Emmanuel Macron a ajouté dialoguer de façon franche avec le président russe Vladimir Poutine, expliquant qu'il lui avait dit qu'il était complice de l'utilisation de ces armes chimiques par le régime syrien qu'il protège. Selon lui, les Russes « testent les lignes rouges », pariant sur la faiblesse des démocraties.

"Bien sûr qu'ils sont complices, ils n'ont pas eux utilisé le chlore mais ils ont construit méthodiquement l'incapacité de la communauté internationale par la voie diplomatique à empêcher l'utilisation d'arme chimique (...)"

Selon lui, ces frappes auraient permis à l'Occident de marquer des points face à la Russie et à gagner de la crédibilité en faisant respecter la ligne rouge qui avait été édictée notamment par Paris. Pour autant, dimanche, le président russe avait fermement condamné cette intervention en Syrie, estimant que de nouvelles frappes occidentales contre la Syrie entraîneraient un "chaos mondial". Malgré ce contexte tendu, Emmanuel Macron se rendra bien à Saint-Petersbourg fin mai à l'occasion d'un forum économique, dans le cadre de la ligne diplomatique qu'il prône depuis le début de son quinquennat et qui consiste à "parler à tout le monde".

Séparer Ankara et Moscou

Les premiers effets diplomatiques des frappes militaires coordonnées commencent donc à se faire sentir, veut-on croire à Paris. Le président a aussi estimé qu'elles avaient permis, en divisant Ankara et Moscou, de fissurer le trio du processus d'Astana (Russie, Turquie et Iran), un processus lancé en 2017 en parallèle aux tentatives de négociations de Genève conduites par l'ONU.

Les Turcs ont "condamné les frappes chimiques" sur Douma et ont "soutenu l'opération que nous avons menée", a-t-il souligné, au lendemain d'un entretien téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Tout l'enjeu aujourd'hui est de pouvoir convaincre les Russes et les Turcs de venir autour de la table des négociations.

En tout cas au niveau européen, la situation en Syrie sera l'un des points abordés par les ministres européens des Affaires étrangères lors d'un conseil qui se tient ce lundi au Luxembourg.

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+ Et lire aussi Ce qu'il faut retenir de l'interview "électrique" d'Emmanuel Macron, notre récap de l'interview télévisée du chef de l'Etat en direct sur BFMTV, le site Médiapart et, à la radio, sur RMC, face aux journalistes Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel.

(Avec Reuters)