Janet Yellen, Ursula von der Leyen... De plus en plus de dirigeants plaident pour saisir les intérêts des actifs russes gelés

Par latribune.fr  |   |  1181  mots
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen (photo d'illustration). (Crédits : AMIT DAVE)
Saisir les intérêts des actifs russes gelés est une solution de plus en plus envisagée par les Occidentaux pour venir en aide à l'Ukraine. La présidente de la Commission européenne a même proposé d'utiliser cet argent pour financer des équipements militaires. De son côté, la secrétaire américaine au Trésor en appelle également aux membres du G7. Une décision tentante, mais qui n'est pas sans conséquence.

Saisir les intérêts issus d'actifs russes gelés pour aider financièrement l'Ukraine ? Une solution de plus en plus envisagée par l'Occident et ses dirigeants. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d'ailleurs proposé ce mercredi d'utiliser les bénéfices tirés de ces avoirs russes gelés pour financer des équipements militaires pour l'Ukraine.

« Il est temps de commencer à discuter de l'utilisation des bénéfices exceptionnels des avoirs russes gelés pour acheter conjointement des équipements militaires pour l'Ukraine », a-t-elle déclaré lors d'un discours devant le Parlement européen à Strasbourg.

Avant d'ajouter : « Avec ou sans le soutien de nos partenaires, nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner ».

Même son de cloche la veille du côté de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, qui en appelle même aux membres du G7.

« Il est nécessaire et urgent que notre coalition trouve un moyen de débloquer ces actifs gelés pour contribuer aux efforts de résistance et de reconstruction à long terme de l'Ukraine », a-t-elle ainsi affirmé mardi lors d'une conférence de presse à Sao Paulo, au Brésil, où elle participera ce mercredi et jeudi à une réunion des ministres des Finances du G20.

L'idée de reverser à Kiev des milliards de dollars de la banque centrale de Russie ou d'oligarques russes proches du pouvoir, gelés par l'Occident, fait donc son chemin, alors que le coût du soutien à l'Ukraine pèse de plus en plus lourd sur les finances des pays développés. D'autant que la Banque mondiale évalue à plus de 486 milliards de dollars le coût pour reconstruire le pays, dévasté par deux années de guerre.

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Action conjointe du G7

La secrétaire américaine au Trésor a donc réclamé une action conjointe du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni, Etats-Unis et Union européenne). « Il y a de forts arguments de droit international, d'économie et de morale pour aller de l'avant », a insisté Janet Yellen. « Cela enverrait le message que la Russie ne peut pas gagner en prolongeant la guerre, et l'inciterait à négocier une paix juste avec l'Ukraine », a-t-elle ajouté.

« Nous sommes 100% d'accord », lui a répondu mardi la vice-Première ministre du Canada, Chrystia Freeland, depuis Ottawa.

« Nous devons montrer plus que jamais (au président russe Vladimir) Poutine que nous sommes sérieux dans notre soutien à l'Ukraine », a-t-elle dit.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak s'est, lui aussi, montré favorable à cette idée, plaidant, dimanche dans le Sunday Times, auprès des Occidentaux, pour l'envoi dans un premier temps à Kiev des intérêts issus de ces actifs.

Sans surprise, le discours est loin de plaire à Moscou. Interrogé sur les propos de Janet Yellen, le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, présent à Sao Paulo, a rejeté cette menace :

Cette idée « est fondamentalement erronée parce qu'elle sape les fondements et les piliers du système financier », a-t-il jugé.

Avant de mettre en garde : « Si les collègues agissent ainsi, nous aurons une réponse symétrique ».

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Dangereux précédent

Pour rappel, ces actifs ont été gelés, notamment en Europe et aux Etats-Unis, après le début de l'invasion russe de l'Ukraine il y a deux ans. L'Union européenne et les pays du G7 ont ainsi gelé quelque 300 milliards d'euros d'actifs de la Banque centrale de Russie, d'après les chiffres de l'UE. S'y sont ajoutés les saisies d'actifs privés de personnes liées au pouvoir russe, comme les yachts et bien immobiliers des oligarques. Aucun registre ne comptabilise le total, mais, selon l'Institute of legislative ideas, un centre de réflexion ukrainien qui affirme interroger des sources officielles, 397 milliards de dollars sont immobilisés.

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Néanmoins, saisir les actifs russes gelés n'est pas sans conséquences et comporte des obstacles. Sur les fonds de la Banque centrale de Russie, les Occidentaux se heurtent déjà à « l'immunité d'exécution ». Or, ce principe de droit international empêche la saisie des biens d'un Etat par un autre. En outre, le droit à la propriété privée bloque en théorie la confiscation définitive des biens détenus par des personnes.

En outre, une fois saisi, reverser ces actifs à un autre pays comporte également des risques dont Janet Yellen a d'ailleurs demandé une évaluation en amont. Cela pourrait, en effet, avoir un impact sur les investissements de pays tiers, comme la Chine, qui pourraient réduire leurs actifs dans les pays occidentaux par crainte qu'ils ne soient saisis en cas de conflit.

Il existe, néanmoins, deux précédents à cette situation : le Koweit a pu bénéficier de l'argent irakien en réparations, après l'invasion du pays en 1990. Plus récemment, les Etats-Unis ont gelé des avoirs de la banque centrale d'Afghanistan après le retour au pouvoir des talibans et projeté de les distribuer au bénéfice du peuple afghan. Mais l'ONU était impliquée dans le premier cas, et dans le second l'objectif était d'en faire bénéficier le peuple afghan.

Un accaparement définitif des avoirs publics russes représenterait donc un dangereux précédent pour le droit international, observe auprès de l'AFP Nicolas Véron, chercheur au sein du centre de réflexion américain Peterson Institute.

« Si nous étions en guerre, tout changerait. Mais nous ne sommes pas en guerre avec la Russie », souligne-t-il.

Plan en deux étapes

La Commission européenne a tout de même proposé fin janvier aux pays de l'UE un plan en deux étapes : d'abord que les gestionnaires des dépôts, comme Euroclear, séparent les intérêts ou les profits générés et les bloquent sur un compte séparé ; puis dans un deuxième temps, de faire une nouvelle proposition concernant leur saisie et leur utilisation.

Les sommes en jeu pourraient vite monter. Euroclear a annoncé début février avoir dégagé l'an dernier 5,5 milliards d'euros en revenus d'intérêts, dont 4,4 milliards uniquement liés aux fonds russes. La Belgique taxe d'ores et déjà les revenus d'Euroclear et compte reverser cette année 1,7 milliard d'euros à l'Ukraine. Aux Etats-Unis, le Congrès planche également sur une proposition de loi (« REPO for Ukrainians Act ») qui pourrait permettre de confisquer les actifs russes pour aider l'Ukraine.

La Russie ne reste pas sans réponse. Moscou a, de son côté, également bloqué depuis février 2022 des actifs d'entreprises étrangères dans le pays, dans des comptes dits « de Type-C ». En juillet dernier, l'Etat russe avait même pris le contrôle d'actifs en Russie des géants français Danone et danois Carlsberg, qui avaient fait part de leur intention de quitter le marché russe.

(Avec AFP)