Guerre en Ukraine : comment la Russie tente de gagner la bataille de l'information

Doppelgänger, Matriochka... Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a multiplié les opérations de désinformation à l'encontre de l'Occident. Un enjeu pour les démocraties du Vieux Continent, mais aussi dans l'avancée de la guerre. D'autant que les élections européennes auront lieu cette année.
Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans, les fausses informations véhiculées par le Kremlin se sont multipliées.
Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans, les fausses informations véhiculées par le Kremlin se sont multipliées. (Crédits : Reuters)

« Le président français Emmanuel Macron a été contraint d'annuler sa visite en Ukraine à la suite d'une provocation meurtrière à son encontre ». Dans une vidéo devenue virale mi-février, ces mots ont été prononcés par un journaliste de France 24 lors d'un journal télévisé. Pourtant, tout est faux. C'est bel et bien la voix du journaliste, mais son discours a, lui, totalement été modifié. Le média a en fait été victime d'un deepfake, une vidéo qui utilise l'intelligence artificielle pour modifier certains contenus. D'ailleurs, il est possible de le remarquer aux mouvements de la bouche du présentateur qui sont légèrement décalés. La fake news a ensuite été relayée sur les réseaux sociaux et des sites tels que pravda-fr, connu pour diffuser des contenus pro-russes.

Ce genre d'opérations fait partie d'une plus grande campagne de désinformation menée par la Russie. Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans, les fausses informations véhiculées par le Kremlin se sont multipliées. « Plus qu'une bataille, c'est une guerre de l'information », argue Carole Grimaud, Chercheure en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université Aix Marseille IMSIC.

« Une guerre qui ne date pas d'hier mais qui s'est durcie contre les pays occidentaux, alliés de l'Ukraine, comme la France », complète-t-elle.

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Déstabiliser les démocraties

Dans les faits, les objectifs du Kremlin sont multiples : défendre la Russie et son narratif autour de la guerre, en diffusant de faux contenus qui vont à l'encontre de l'Ukraine. Moscou cherche également à déstabiliser les démocraties. « La manipulation de l'information et les interférences étrangères sont une menace majeure pour les démocraties libérales », a d'ailleurs appuyé Josep Borell, le vice-président de la Commission européenne, dans un rapport sur l'information publié en janvier.

« Dans la désinformation, c'est l'opinion publique qui est visée » et « en désinformant et en influençant les opinions publiques dans un sens favorable à la Russie, vous décrédibilisez les institutions et semez le doute dans l'esprit des populations », pointe Carole Grimaud.

Encore récemment, le ministère de la Défense russe a indiqué avoir « éliminé » le mois dernier une soixantaine de combattants, dont des « mercenaires français », en Ukraine. Des informations démenties par la France. Des listes erronées de ces prétendus mercenaires ont également été partagées par des réseaux d'information pro-Kremlin ou sur des chaînes Telegram.

« Face à l'intensification de l'aide militaire française à l'Ukraine, nous nous attendons à ce que cette manœuvre d'intoxication russe se poursuive : nous la condamnons et nous renforçons notre dispositif de suivi de ces manipulations », a alors déclaré fin janvier Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.

Mais au-delà du narratif pro-russe, c'est la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux, dans un pays sur des problématiques locales. Un exemple récent : la grogne des agriculteurs en France - et plus largement en Europe. Un travail souvent effectué par des bots déployés par des groupes pro-russes sur les réseaux sociaux et en particulier sur X (ex-Twitter). Des faux comptes, que l'on appelle des trolls, diffusent donc des contenus erronés.

Dans l'Hexagone, le hashtag #AgriculteursEnColère a largement été repris par des bots russes. « Le rôle de ces robots est de monter les gens les uns contre les autres, de créer du chaos », souligne François Deruty, Directeur des Opérations, en charge des renseignements sur les menaces numériques chez Sekoia.io.

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Portal Kombat, Doppelgänger et Matriochka

« Historiquement, les fakes news étaient diffusées majoritairement grâce aux fermes à trolls, où les commentaires sur le thread de Twitter s'empilaient mais avaient peu de sens », analyse l'expert. L'organisation russe Internet Reseach Agency avait notamment été qualifiée de ferme à troll et pointée du doigt pour son ingérence dans les élections américaines de 2016.

Dans cette bataille de l'information, outre les bots sur X, la Russie a déployé de nouveaux moyens. Des opérations « plus sophistiquées » et qui « s'appuient mieux sur l'actualité » depuis le début du conflit en Ukraine, constate François Deruty. « Désormais, des sociétés proches du pouvoir prennent les ordres et propagent les informations, dans des structures davantage numériques », précise-t-il.

Ainsi, Viginum, le service de l'État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères créé en 2021, a publié un rapport ce mois-ci pour mettre au jour l'activité d'un réseau de « portails d'information » numérique qui diffusent des contenus pro-russes à l'international : « Portal Kombat ».

A l'origine, le réseau composé de 193 sites couvrait « les informations de localités russes et ukrainiennes », précise le rapport. Mais « dès le lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Russie », il s'est mis à cibler les territoires occupés et plusieurs pays occidentaux comme la France. Des sites qui relaient des contenus « très orientés idéologiquement », avec des contenus exposant des narratifs « inexacts ou trompeurs ». Un des relais se trouve être le site pravda-fr.com, cité plus haut, qui cible la France. Il fait partie d'un écosystème visant d'autres pays comme l'Allemagne, la Pologne, l'Espagne ou encore le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Encore mi-février le site a rebondi sur le deepfake de France 24 en publiant un article intitulé : « L'attentat de Kiev contre Macron n'est pas un faux. Tout est beaucoup plus rusé: il y a tout un scénario ».

Parmi les autres campagnes de désinformation menées par des groupes pro-russes, une campagne nommée Doppelgänger. Cette dernière consiste en l'imitation de grands médias, sévit depuis 2022. Dans le détail, les sites internet de médias tels que Le Monde sont copiés. L'identité visuelle du site est reprise. En revanche, le contenu de certains articles est changé pour diffuser des fausses informations. La seule différence se retrouve dans l'Url : elle est légèrement modifiée, avec souvent juste une faute de frappe. Il peut être difficile de repérer cette faute minime pour les internautes. En France, outre Le Monde, les sites du Figaro, du Parisien ou encore de 20 minutes ont été copiés. D'autres journaux en Europe ont également été touchés comme Die Welt ou le Spiegel en Allemagne ou même The Guardian au Royaume-Uni.

Certaines méthodes sont même poussées encore plus loin. Depuis septembre, des trolls sur les réseaux sociaux interpellent directement les médias pour les inciter à vérifier certaines informations. Des informations fausses qui sont partagées par des trolls. Un mode opératoire appelé « Matriochka » ou « Poupée russe » par « Antibot4Navalny », un collectif qui traque les trolls sur X. Selon eux, l'objectif de ces faux-profils est de distraire les fact-checkers.

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Se parer contre la désinformation

Les pays tentent de se défendre face à de telles intrusions. Un défi, qui plus est, avec l'intelligence artificielle. La France a alors créé la structure Viginum, citée précédemment, dont l'objectif est de détecter les ingérences numériques dans l'Hexagone.

Plus largement, en Europe, le Digital Services Act, ou DSA, appelle les grandes plateformes à plus de modération quant aux contenus de haine en ligne et de fake news. En juillet dernier, l'UE avait également pris des mesures restrictives contre sept personnes et cinq entités, dont certaines proches de l'administration présidentielle russe. Elles sont à l'origine d'« une campagne numérique de manipulation de l'information » baptisée RRN pour Recent Reliable News, précise un communiqué de presse du Conseil de l'UE. Cette campagne a notamment usurpé « l'identité de médias nationaux », les fameux Doppelgänger, et a créé de faux comptes sur les réseaux sociaux.

La manipulation de l'information et les ingérences sont appelées à se multiplier en cette année d'élection européenne. « Les attaques vont probablement s'intensifier. Notre continent vote dans cinq mois pour les élections européennes et chacun de nos pays sera une cible pour les puissances étrangères », a même commenté mi-février dans une vidéo publié sur X, le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjournée. Des élections primordiales, car le montant des aides accordés à l'Ukraine en dépend...

Commentaires 6
à écrit le 23/02/2024 à 13:09
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Ou est le pb? Les communistes ont toujours fait de la propagande avant c'était via des médias indépendants genre libe ou l'humanité et le sponsoring de journalistes , politiciens etc... Le deepfake ne change rien au fond

à écrit le 23/02/2024 à 11:38
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Parce que du côté de l'Otan, et singulièrement la France, on est blanc comme neige peut-être ?

le 23/02/2024 à 12:06
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On émet des fausses nouvelles dans quels pays ? On "hacke" quels serveurs dans des pays étrangers ? L'ennui des démocraties c'est qu'elles ne peuvent se le permettre, déontologiquement, c'est ça leur faiblesse, le DROIT, ça contraint les actions illé...

le 23/02/2024 à 13:44
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@Photo73. Comment expliquez-vous que la chaîne Russia Today a été supprimée en 2022 en France et pas en Suisse (par exemple)?

à écrit le 23/02/2024 à 10:19
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Des paroles que boivent avec avidité tous les complotistes, les désabusés et les soutiens du FN/RN dont l'attitude Munichoise met en danger la France et donc la démocratie.

à écrit le 23/02/2024 à 10:07
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Vous voulez dire que madame Van Layen n'est pas soupçonnée de corruption avec Pfizer donc ? C'est une fake news qui viendrait du New York Times !? Hum ça commence à être compliqué votre truc les gars là...

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