L’optimisme règne à Davos, faut-il s’inquiéter ?

Par Philippe Mabille  |   |  1088  mots
« L'atmosphère à Davos cette année ressemble à celle qui prévalait en 2006 quand tout le monde se félicitait d'avoir vaincu les crises économiques », a averti le patron de Barclays. (Crédits : dr)
Rarement, depuis le début de la décennie, un tel optimisme a rassemblé les chefs d'entreprise participant au World Economic Forum. C’est plus un motif de vigilance qu’autre chose...

Pour les quelque 3.000 participants qui ont affronté les plus fortes chutes de neige depuis 1995, dixit un habitant de la petite station des Alpes suisses, cette 48e édition du Forum économique mondial de Davos s'annonce sous les meilleures auspices. C'est un "Davos de l'optimisme" pour 2018, comme le reflète l'enquête annuelle Global CEO Survey, réalisée par PwC, selon laquelle 57% des dirigeants interrogés déclarent que la croissance économique mondiale devrait selon eux s'améliorer dans les 12 mois à venir. C'est près de deux fois plus que l'an dernier (29%), soit la progression la plus importante jamais enregistrée depuis 2012.

Pour Bernard Gainnier, président de PwC France et Afrique francophone :

« Cette vague record d'optimisme, initiée en 2017, est portée par le dynamisme des indicateurs macro-économiques. Elle n'est pas l'apanage de quelques pays phares : c'est un mouvement qui peut s'observer dans de nombreuses régions du monde, à l'exception de l'Afrique, où les dirigeants africains sont moins optimistes.

C'est très probablement la meilleure année pour l'économie mondiale depuis 2010. »

Des chefs d'entreprises confiants

Au total, 42% des dirigeants se déclarent « très confiants » quant aux perspectives de croissance de leur entreprise sur les 12 prochains mois, contre 38 % l'an dernier. Dans le détail, les plus optimistes sont les Américains : l'Amérique du Nord est la seule région où une majorité de dirigeants sont « très confiants » quant à leurs perspectives à 12 mois (de 39% en 2017, elle passe à 52% en 2018). La cause de cette liesse : la politique pro business menée par l'administration Trump, dont le leitmotiv America First donne la priorité aux entreprises américaines.

« La réforme fiscale américaine en est une composante essentielle, dont il ne faut pas sous-estimer les conséquences au niveau mondial. Elle va probablement contribuer à faire grandir les disparités fiscales entre les pays », explique Bernard Gainnier.

A noter que la France remonte dans le classement des pays considérés comme les plus importants par les dirigeants pour leurs perspectives de croissance et passe de la 9ème à la 7ème place. Le Canada, quant à lui,  passe de la 15ème à la 9ème place.

« La France et le Canada semblent suivre une trajectoire similaire. Les dirigeants de ces pays ont un profil et une posture semblables : Justin Trudeau et Emmanuel Macron se distinguent tous deux par leur attitude positive et  pro business. On peut certainement parler d'un « effet Macron » en ce qui concerne la progression de la France dans le classement. Le contexte géopolitique est plus que jamais un vecteur de confiance pour les chefs d'entreprise » analyse Bernard Gainnier.

Dans un monde fracturé

Comme pour atténuer cet optimisme, les dirigeants du World Economic Forum ont fixé un thème inédit pour cette édition 2018 : parce que cela va mieux, les participants sont invités à réfléchir à « une vision partagée dans un monde fragmenté ».

Car les fractures susceptibles d'inverser la tendance sont nombreuses : montée des inégalités, poussées nationalistes, protectionnisme, changement climatique et impact des nouvelles technologies sur l'emploi sont au menu de la semaine, qui sera marquée par la venue, vendredi, d'un invité inattendu, Donald Trump. C'est la première fois qu'un président américain se rend à Davos depuis Bill Clinton en 2000 et comme le note l'éditorialiste du Wall Street Journal, cela va être en quelque sorte le choc de deux visions, celle d'« America first » face à « We are the world ».

Le protectionnisme inquiète

Les deux premiers dirigeants à s'être exprimé pour l'ouverture du forum mardi, le Premier ministre indien Narendra Modi et le canadien Justin Trudeau ont d'ailleurs servi de comité d'accueil à Donald Trump, dénonçant l'un comme l'autre sans le citer les tentations protectionnistes du président américain.

Modi a affirmé que l'isolationnisme « n'était pas une solution aux défis d'un monde global ». Trudeau, pour sa part, a défendu l'Alena qui est selon lui dans l'intérêt commun du Canada, du Mexique et des Etats-Unis.

Si le discours du président américain est attendu avec une certaine inquiétude, c'est aussi parce que les Etats-Unis viennent de prendre des mesures protectionnistes ciblant deux produits fabriqués massivement en Asie : les machines à laver et les panneaux solaires. D'après Global Trade Alert, une organisation suisse qui mesure l'évolution des échanges commerciaux, il y a eu l'an dernier déjà 642 mesures gouvernementales contre le libre-échange, principalement aux Etats-Unis et en Chine. Ce n'est pas encore une vraie guerre commerciale, mais cela commence à y ressembler.

Des banquiers craignent la prochaine crise

Les banquiers réunis à Davos ont aussi exprimé quelques inquiétudes face à l'euphorie des marchés. Car si la croissance mondiale est pour une fois synchrone, c'est aussi le cas des projets d'action des banques centrales qui toutes envisagent en 2018 des restrictions à leurs politiques monétaires, avec une hausse des taux déjà bien engagée aux Etats-Unis. Symbole de ce mouvement, les taux à deux ans de la Grèce sont passés en dessous de ceux constatés aux Etats-Unis, un peu chahutés il est vrai par le très temporaire shutdown sur le budget fédéral.

Dans une session intitulée « La prochaine crise financière », le patron de Barclays, Jes Staley, a douché l'auditoire en déclarant que « l'atmosphère à Davos cette année ressemblait à celle qui prévalait en 2006 quand tout le monde se félicitait d'avoir vaincu les crises économiques ». 2006, juste avant la crise des subprimes, qui couvait déjà dans l'œuf de la finance mondiale, sans que personne ne s'en soit aperçu. La tradition dit que, quand Davos est optimiste, c'est rarement une bonne nouvelle pour l'économie mondiale. Impression confirmée par David Rubenstein, patron de Carlyle :

« Généralement, quand les gens sont heureux et confiants pour l'économie, un événement adverse se produit ».

Et l'économiste Kenneth Rogoff a prévenu : « Si le monde connaît une nouvelle crise financière, nous n'avons même pas de plan A » pour y faire face, car les armes monétaires et budgétaires sont épuisées.

En 2017, le pessimisme était général et l'année a été bien meilleure qu'attendu. De sorte que le principal paradoxe de cette édition 2018 est que le monde du business, tout en craignant son caractère imprévisible, voit le salut dans la politique de baisses d'impôt prévues par Donald Trump, qui sont attendues comme le messie pour soutenir ou en tout cas faire durer encore un peu plus longtemps les beaux jours.