"L’urgence climatique va demander une réponse forte des politiques économiques" (Laurence Boone)

Par Grégoire Normand  |   |  1224  mots
Laurence Boone milite pour davantage de transparence en matière commerciale et se prononce en faveur d’ un nouveau système de taxation internationale (Crédits : Hervé Cortinat / OECD)
ENTRETIEN. L’économiste en chef de l’Organisation de coopération et de développement économiques plaide pour la création de fonds d’investissement publics pour assurer les transitions écologiques et énergétiques.

LA TRIBUNE - Quels sont les facteurs qui devraient le plus contribuer au ralentissement de l'économie mondiale en 2020 ?

LAURENCE BOONE - Les incertitudes créées par les tensions commerciales depuis deux ans sont le principal facteur à l'origine du ralentissement abrupt de la croissance. Elles vont continuer de peser, car elles reposent sur des évolutions nouvelles de l'économie : la numérisation des business models, la cybersécurité, la question des subventions peu transparentes ou encore celle de la défense de la propriété intellectuelle dans certaines régions. Bien entendu, ces tensions ne sont pas le seul facteur. Le ralentissement de la croissance chinoise, qui est structurel, est aussi important. Le pays n'atteindra plus des taux proches de 10 %, mais va progressivement ralentir vers 6 % puis 5 %, ce qui est normal.

De plus, alors que la Chine importait beaucoup de biens d'équipement des pays occidentaux, elle tente maintenant de privilégier, bien qu'avec difficulté, la consommation des ménages plutôt que l'investissement. Ainsi, la taille de ses importations diminue, ce qui peut avoir de profonds effets sur certains pays, notamment européens, dont la croissance dépend des exportations. En outre, les tensions géopolitiques montent et les incertitudes sur la politique économique dans nombre de pays restent très élevées. Le Brexit est un parfait exemple, car il reste à définir les futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Or on sait que de telles négociations prennent du temps.

Existe-t-il un risque de récession ?

Nous projetons une stagnation de la croissance en 2020 et 2021, puisque celle-ci serait de 2,9 % l'an prochain comme cette année et 3 % l'année suivante. Ce sont les taux les plus faibles depuis la crise financière, et les risques sont nombreux. Par exemple, il y a un large volume de dettes d'entreprises sur les marchés qui pourraient souffrir de ce ralentissement prolongé de la croissance, et dont un défaut pourrait entraîner des ventes massives. Il y a également une résurgence de produits structurés, dont le montage rappelle ceux de l'avant-crise, aux États-Unis notamment. Un ralentissement accru ou plus brutal de la Chine pèserait sur la croissance mondiale. Des tensions géopolitiques pourraient s'aggraver. Enfin, même en année électorale américaine, on ne peut exclure une résurgence des tensions commerciales.

Comment les prévisions macroéconomiques de l'OCDE ont-elles évolué pour les années 2020 et 2021 ?

Nous pensons maintenant que le ralentissement est aussi bien structurel - avec des facteurs touchant aux fondamentaux économiques de long terme - que cyclique. Au-delà du ralentissement et du rééquilibrage de la croissance en Chine, qui sont là pour longtemps, il y a les défis posés par la transformation numérique, l'urgence accrue du changement climatique et l'anxiété suscitée par les mutations du marché du travail, qui est parfois à l'origine de ce repli sur l'économie domestique. Ces facteurs sont structurels et ne peuvent être résolus avec des taux d'intérêt plus bas ou un stimulus budgétaire (du moins, pas seulement). Ils affectent les conditions de développement des entreprises, la nature et le nombre des emplois. Ils vont demander une réponse forte et active des politiques économiques. C'est ainsi que, pour la première fois dans nos prévisions, nous avons mis l'accent sur le changement climatique et les réponses à y apporter.

Quels seront les grands défis pour l'économie internationale en 2020 ?

Il s'agit, d'une part, de recréer de la confiance, un environnement plus prévisible pour les entreprises, et, d'autre part, de lancer et de bâtir les conditions d'un rebond de l'investissement, public comme privé. Pour retrouver la confiance, l'OCDE agit sur deux fronts : elle accroît la transparence en matière commerciale et elle œuvre à un nouveau système de taxation internationale, pour que chaque entreprise paie sa part juste d'impôts sur le territoire où elle réalise des profits.

Pour l'investissement, nous recommandons de créer des fonds d'investissement publics destinés aux transitions numérique et énergétique. Ces fonds doivent servir notamment à financer les infrastructures comme les autoroutes de l'information, les réseaux de distribution d'électricité indispensables au déploiement du renouvelable, et à soutenir des projets innovants dans ces deux secteurs. La gouvernance doit être rigoureuse, car il s'agit d'argent public. Il faut que cela soit contrôlé par le parlement lors du processus budgétaire tout en préservant des conditions de concurrence saine entre les entreprises, car c'est de là que vient l'innovation. On peut s'inspirer de l'agence Darpa du département de la Défense aux États-Unis, ou des PIA (programmes d'investissement d'avenir) à la française.

Quels seraient les principaux leviers à activer pour répondre à l'urgence climatique ?

Il y a plusieurs types d'instruments, dont on doit prendre en compte l'impact redistributif, c'est-à-dire notamment les effets sur les emplois, et le coût pour les ménages et les PME les plus exposées. Prenons le prix du carbone : des régions comme la Colombie-Britannique (Canada) ont réussi à l'augmenter progressivement, mais en redistribuant les recettes aux personnes et aux entreprises les plus affectées. Ainsi, on modifie leur comportement, sans les pénaliser financièrement ou dans leur quotidien. On peut également inciter les investisseurs à diriger leurs fonds vers des financements verts avec la régulation ou des tests qui mettent en évidence à quel point leurs revenus seraient menacés par des chutes de prix d'actifs, comme les actions dans des entreprises d'énergie fossile. Enfin, des investissements publics demeurent nécessaires, comme vient de le souligner la Commission européenne avec la publication de son « Green Deal ».

Les banques centrales (FED, BCE) ontelles encore des marges de manœuvre pour répondre au ralentissement ? Les taux bas représentent-ils une menace ou une opportunité ?

Les banques centrales ont toujours des marges de manœuvre, la question à se poser est de savoir si les défis que l'on vient d'évoquer relèvent bien du domaine des banques centrales. La réponse est : « Pas vraiment. » En revanche, elles ont lancé le signal qu'elles maintiendraient des taux bas longtemps, ce qui permet d'avoir de la visibilité pour financer les investissements et effectuer des réformes qui, parfois, peuvent avoir un effet transitoire négatif. Profitons-en. Quant à la question d'une « menace », laissez-moi soulever deux points. D'une part, les politiques macroprudentielles et la supervision doivent contrôler et corriger les risques financiers plus que la politique monétaire. D'autre part, la majorité des récessions ont été déclenchées par des hausses de taux. Mais l'économie mondiale n'est pas suffisamment solide pour que les taux remontent tant que la politique budgétaire ne reprendra pas le relais de façon structurée et significative.

Les États disposent-ils encore de marges de manœuvre budgétaires ?

Les positions varient d'un pays à l'autre. Il y a des moyens d'agir pour ceux qui ont une dette élevée : s'attaquer à la composition des dépenses et vérifier que l'argent est utilisé au mieux pour la croissance et le bien être. Trop souvent, les dépenses ont été empilées sans véritable évaluation au cours du temps et ne touchent plus ni les populations qui en ont le plus besoin, ni les investissements qui sont les plus nécessaires