Le ministre de l'économie Emmanuel Macron a-t-il déroulé le tapis rouge à Uber  ?

Par latribune.fr  |   |  1045  mots
(Crédits : Mike Blake)
Dans le cadre des « Uber Files », une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian et transmis au Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, Le Monde s'est intéressé aux liens entre la société américaine et Emmanuel Macron à l'époque où il était ministre de l'Economie (2014-2016).

Ceux qui ont vu la série Super Pumped, diffusée le mois dernier sur Canal Plus et dont l'histoire se focalise sur la saga de la société Uber et de son PDG Travis Kalanick, ne peuvent pas être étonnés de la mise à jour des pratiques douteuses de la société de VTC pour s'installer dans telle ou telle ville.

Des milliers de documents internes - « Uber Files », envoyés au Guardian, mettent ainsi en avant certaines méthodes employées pendant ces années d'expansion rapide mais aussi de confrontation pour Uber, de Paris à Johannesburg.

« L'entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier », affirme le quotidien britannique.

En France, Le Monde, conclut à l'existence d'un « deal » secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy. Le quotidien fait état de réunions dans le bureau du ministre, de nombreux échanges (rendez-vous, appels ou SMS) entre les équipes d'Uber France et Emmanuel Macron ou ses conseillers, citant notamment des comptes-rendus de réunions rédigés par le lobbyiste Mark MacGann.

Sont pointées du doigt certaines pratiques destinées à aider Uber à consolider ses positions en France, comme le fait de suggérer à l'entreprise de présenter des amendements clés en « main » à des députés.

Uber France a confirmé la tenue de réunions avec Emmanuel Macron: des rencontres qui « relevaient de ses responsabilités en tant que ministre de l'Économie et du Numérique supervisant le secteur des VTC ».

Uber France revient par ailleurs sur la suspension d'Uber Pop, un service en fonction entre février 2014 et juillet 2015 qui permettait aux utilisateurs d'être mis en relation avec des véhicules dont les conducteurs étaient de simples particuliers, non titulaires d'une licence de taxi ou de VTC. Cette suspension « n'a aucunement été suivie d'une réglementation plus favorable », comme suggéré dans l'idée d'un « deal ».

L'opposition se déchaîne

L'Elysée indique que M. Macron, comme ministre de l'Economie, était « naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu'il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires ».

La patronne des députés LFI Mathilde Panot a dénoncé sur Twitter un « pillage du pays », Emmanuel Macron ayant été selon elle à la fois « conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail ».

Le numéro un du PCF Fabien Roussel a relayé des « révélations accablantes sur le rôle actif joué par Emmanuel Macron, alors ministre, pour faciliter le développement d'Uber en France », « contre toutes nos règles, tous nos acquis sociaux et contre les droits des travailleurs ».

A l'autre bord, Jordan Bardella, président du RN, a aussi jugé que « le parcours d'Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge: servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux ».

L'ancien député PS Thomas Thévenoud, qui a donné son nom à la loi d'octobre 2014 délimitant plus précisément les droits et devoirs respectifs des taxis et des voitures de transport, accable aussi Emmanuel Macron : « Il a toujours cherché à dérouler le tapis rouge à Uber ».

L'ex-député et éphémère secrétaire d'Etat s'interroge aussi sur le rôle d'Elisabeth Borne, qui « connaît parfaitement ces sujets ». La cheffe du gouvernement a été ministre des Transports au moment de la loi d'orientation des mobilités puis ministre du Travail quand a été favorisé le dialogue social dans le secteur des VTC - « sans accorder le statut de salarié aux chauffeurs Uber ».

Uber ne s'excusera pas pour son passé

« Nous n'avons pas fait et ne ferons pas d'excuses pour des comportements du passé qui ne sont clairement pas alignés avec nos valeurs actuelles », a indiqué Jill Hazelbaker, vice-présidente chargée des Affaires publiques d'Uber. Des articles mentionnent notamment des messages de Travis Kalanick, alors patron de la société, quand des cadres se sont inquiétés des risques pour les conducteurs qu'Uber encourageait à participer à une manifestation à Paris. « Je pense que ça vaut le coup », leur a répondu le cofondateur. « La violence garantit le succès ». Accusé d'avoir encouragé des pratiques managériales douteuses et brutales, sur fond de sexisme et de harcèlement au travail, M. Kalanick avait dû abandonner son rôle de directeur général du groupe en juin 2017.

Annonçant sa démission du conseil d'administration, fin 2019, il s'était dit « fier de tout ce qu'Uber a accompli». « Uber est maintenant l'une des plateformes de travail les plus importantes au monde et fait partie de la vie quotidienne de plus de 100 millions de personnes. Nous sommes passés d'une ère de confrontation à une ère de collaboration », affirme Jill Hazelbaker.

Dans le monde entier, Uber contraint de renforcer le droit des chauffeurs

Fin juin, Uber est parvenu à un accord avec un important syndicat australien, après des années de bataille juridique et des négociations, pour renforcer les droits de 100.000 chauffeurs et livreurs de produits alimentaires.

Dans un communiqué commun, Uber et le syndicat affirmaient alors soutenir la mise en place d'une autorité indépendante par le gouvernement australien pour créer des normes dans le secteur.

Le directeur général d'Uber en Australie Dom Taylor expliquait que la société et le syndicat « ne pouvaient pas apparaître comme des alliés objectifs » mais que l'accord entre les deux parties « améliorerait les protections des travailleurs ».

En Suisse, mi-juin, un accord était trouvé avec les autorités cantonales genevoises pour permettre aux chauffeurs d'Uber de reprendre leur activité, alors suspendue par décision de justice. Selon ce nouvel accord, les chauffeurs genevois de la plateforme américaine de VTC sont désormais employés par des « sociétés partenaires suisses». Avec ce nouveau statut, les chauffeurs bénéficieront notamment du salaire minimum horaire de 23,27 CHF, un des plus élevés au monde, en vigueur à Genève, alors que les sociétés qui les emploient devront s'acquitter du paiement de leurs charges sociales.