"Le yuan n'est pas prêt à détrôner le dollar"

Par Propos recueillis par Nabil Bourassi  |   |  640  mots
Claude Meyer est l'auteur de Chine, banquier du monde.
Claude Meyer, conseiller Asie auprès de l’Ifri (Institut français des relations internationales), professeur à Sciences Po, auteur de "La Chine, banquier du monde"(Fayard), explique à La Tribune que la Chine a pour ambition de devenir une grande puissance financière. Mais la nécessaire réforme de son système financier et sa volonté d'agir très progressivement risquent de prendre du temps avant d'aboutir à une libéralisation de son système de change.

Comment analysez-vous la succession de dévaluations du cours pivot du yuan, cette semaine ?

Les marchés ont été pris par surprise par cette annonce. Mais il y a deux niveaux de lecture de ces décisions. Il s'agit d'abord d'un ballon d'oxygène pour les entreprises exportatrices chinoises. Mais la deuxième lecture est à mon avis plus importante puisque l'objectif est plus structurel et plus stratégique. Il s'agit de conférer au yuan un statut international. Car si le yuan s'est beaucoup internationalisé depuis quelques années, il reste encore d'importants obstacles en matière de contrôle des changes. Aujourd'hui, la Banque centrale chinoise est clairement en train de conduire le yuan vers une gestion libéralisée et davantage orientée par le marché. Mais la Chine ne va pas libéraliser le yuan du jour au lendemain, elle va ainsi procéder par petits pas. L'objectif est que le FMI intègre le yuan dans son panier de monnaies des Droits de Tirage Spéciaux (DTS), et in fine faire du yuan une monnaie de réserve à part entière. Ce statut donnera ainsi à la Chine sa place de grande puissance, y compris financière.

Avec ses énormes réserves de change, la Banque centrale chinoise a parfaitement les moyens d'agir sur le niveau du yuan...

En effet, fin 2013, elle disposait de près de 4.000 milliards de dollars de réserves de change. Depuis, ce niveau a baissé, mais la Chine bénéficie toujours d'une force de frappe considérable.

La Banque centrale pourra-t-elle continuer à ne donner aucune visibilité aux marchés dans l'optique d'un yuan plus flottant ?

Il est certain que non seulement elle devra avoir une politique plus lisible, mais qu'elle devra également davantage prendre en compte les anticipations des opérateurs de marché. Cette semaine, elle a voulu prendre le marché par surprise pour éviter des sorties massives de capitaux. A termes, si la Chine adopte vraiment un système de change flottant, elle ne pourra plus agir ainsi. D'autant que cette succession de dévaluations, puis d'interventions pour stopper la baisse, ont poussé les opérateurs à se poser de nombreuses questions sur la capacité de la banque centrale à mener une politique de change.

Cette lisibilité de la politique monétaire n'implique-t-elle pas que la Chine adopte une vraie culture de transparence et de communication, ce qui lui fait défaut aujourd'hui?

C'est une culture à acquérir. La crise boursière a été gérée de façon très administrée et autoritaire... Le système financier chinois est encore très peu liquide, archaïque et peu connecté aux marchés internationaux.

Dès lors, le yuan a-t-il vocation à devenir une monnaie internationale ?

La Chine a deux priorités. D'abord la croissance, qui est un gage de stabilité sociale. C'est encore plus vrai aujourd'hui avec le ralentissement annoncé cette année. Sa seconde priorité est la stabilité des marchés financiers, tout en poursuivant leur libéralisation. Elle se veut extrêmement prudente dans la libéralisation des contrôles des changes. Elle tient cela de l'expérience tirée de la crise asiatique de la fin des années 1990, fruit d'une libéralisation précipitée. C'est pour cela qu'elle veut agir de manière progressive. Aujourd'hui, le yuan ne peut prétendre à devenir une monnaie internationale à cause de marchés financiers peu profonds et également peu liquides. Mais, il y a aussi le manque de confiance des investisseurs internationaux dans un pays encore très marqué par un régime autoritaire capable de décisions économiques arbitraires. Notons toutefois que la Chine bénéficie encore d'une grande capacité d'épargne, ce qui renforce sa puissance financière. Mais au rythme où vont les choses, le yuan n'est pas prêt à détrôner le dollar.