Traité transatlantique : les positions de la France seront-elles suivies ?

Par Fabien Piliu  |   |  1132  mots
Le traité transatlantique n'a pas que des partisans!
Le gouvernement a transmis ses propositions à la Commission européenne. La France ne se contente pas de s'opposer à la mise en place des tribunaux d'arbitrages pour régler les différends entre les Etats et les entreprises. Elle formule également ses propres propositions, espérant être suivi par un maximum de partenaires européens.

Non, c'est non ! La France s'oppose clairement et fermement à la mise en place des tribunaux d'arbitrages pour régler les différends entre les Etats et les entreprises prévus dans le traité Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) signé le 26 septembre entre les 28 pays de l'Union européenne et le Canada et qui figurent aussi dans la première mouture du traité transatlantique pour le commerce et les investissements entre l'Union européenne et les Etats-Unis, le Transatlantic Free Trade Area (TAFTA) devenu le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Celui-ci a pour ambition de créer la plus vaste zone de libre-échange puisqu'elle représentera 45,5 % du PIB mondial, via notamment la suppression des barrières commerciales entre les deux côtés de l'Atlantique et la facilitation des investissements dans les deux zones économiques.

 Les Etats doivent rester souverains, estime la France

" Il est hors de question que des entreprises dictent leurs lois à des Etats souverains ", martèle Matthias Fekl, le secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur.

Concrètement, les ISDS, ces mécanismes d'arbitrage actionnés par des tribunaux supranationaux que prévoit de créer le traité, seraient en mesure d'imposer des amendes aux Etats qui exproprient, directement ou indirectement, les bénéfices des entreprises. En fonction de la position du curseur, ce principe pourrait les empêcher de légiférer dans certains domaines pour sauvegarder la liberté des entreprises.

Certains Etats ont d'ores et déjà attaqués. En octobre 2013, la compagnie pétrolière américaine Lone Pine Resources a déposé plainte en dommages-intérêts contre le Québec après l'adoption du moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la Vallée du Saint-Laurent. Elle réclame 250 millions de dollars à la Province du Québec.

En octobre 2014, le groupe d'énergie suédois Vattenfall a porté plainte contre l'Allemagne après que le gouvernement d'Angela Merkel ait décidé en 2011 la sortie du nucléaire en 2022. S'estimant lésé par la fermeture progressive des 17 centrales, Vattenfall, qui exploite deux des dix-sept centrales nucléaires allemandes, a porté plainte devant le Centre International de Résolution des Disputes d'Investissements (ICSID) basé à Washington et réclame précisément 4.675.903.975,32 euros à la république fédérale.

Après avoir attaqué l'Australie et l'Uruguay, Philip Morris International, le fabricant de cigarettes, a annoncé en janvier 2015 qu'il entendait contester devant la Cour européenne de Justice la nouvelle réglementation européenne sur le tabac.

La France, qui s'appuie sur les résultats de la consultation publique menée cet hiver par la Commission européenne - deux tiers des 150.000 personnes interrogées ont insisté sur la nécessité de clarifier le règlement des litiges -, ne veut donc pas entendre parler en l'état, et réclame des garanties très strictes en matière d'impartialité et d'indépendance.

La France avance son plan B

Quelles sont les solutions proposées par le gouvernement français ? Les faits saillants sont les suivants : la France propose qu'un investisseur ne puisse pas s'attendre à ce qu'un simple changement de loi qui ferait varier, même fortement, ses profits, soit un motif suffisant pour attaquer un Etat. Elle souhaite également que les investisseurs soient dissuadés d'attaquer abusivement les Etats. " Des sanctions financières dissuasives, allant jusqu'à 50% des dommages demandés par les investisseurs, pourraient être prévus ", explique Matthias Fekl. Toutes ces propositions, précise-t-il, ont été validées par un groupe de travail composé d'experts.

La France dessine également un nouveau cadre institutionnel avec la création d'une Cour permanente indépendante et souveraine composée de personnalités qui aura pour objectif de régler de façon transparente et éthique les litiges. La France propose également de créer une véritable période de quarantaine pour les arbitres de la Cour. Ainsi, les ambigüités relatives de conseil seront levées, notamment les cas de suspicion de conflit d'intérêt. "Chaque mandat d'arbitre sera encadré de deux périodes de cinq ans avant et après", précise le ministre.

A terme, selon le vœu de la France, cette Cour deviendrait multilatérale et permanente.

Qui suivra la France ?

Isolée au début des discussions sur ces traités, la France a su ensuite gagner quelques partisans. Avant que le gouvernement ne présente son projet, la France pouvait compter sur Cecilia Malmström, la commissaire européenne chargée du Commerce, sur la même longueur d'ondes. La position de l'Allemagne est plus ambiguë. Certes, les deux gouvernements partagent les mêmes positions. Mais pour l'instant, la coalition  CDU/CSU-SPD au pouvoir étant divisée sur le sujet, Angela Merkel, la chancelière allemande n'a pas officiellement soutenu la France. Ce n'est pas parce que Sigmar Gabriel, le ministre fédéral de l'Économie et de l'Energie, et Matthias Machnig, le secrétaire fédéral aux Affaires économiques et à l'Energie, coopèrent étroitement avec le Quai d'Orsay que Berlin approuvera officiellement les propositions françaises.

Si, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède et la Hongrie se rangent du côté français, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne soutiennent les propositions formulées dans les traités CETA et TAFTA. Dès le lancement officiel des négociations, en juin 2013, David Cameron, le Premier ministre britannique avait assuré crânement que le Tafta permettrait de créer au total deux millions d'emplois aux Etats-Unis et dans l'Union européenne.

La totalité des pays de l'Est sont sur la même ligne. Pour quelles raisons ? Selon les experts, les gouvernements des Pays d'Europe centrale et orientale (PECO) estiment que ces mécanismes d'arbitrages " externalisés " séduiraient davantage les investisseurs étrangers que le droit local, encore inachevé parfois.

" Il reste un travail de conviction à faire, je l'admets. Les échanges avec la Commission commenceront en septembre. C'est à partir de ce moment que nous entrerons réellement dans le vif du sujet ", estime le ministre. Initialement prévue en 2015, la signature de ce traité devrait donc être repoussée. " Le fond est bien plus important que l'échéance ", poursuit-il.

Un accord à l'unanimité

Et si la France ne parvenait pas à convaincre ses partenaires européens et les négociateurs canadiens et américains ? " Ce n'est pas parce que des négociations sont entamées qu'elles doivent mécaniquement aboutir à un accord. Si la France n'est pas entendue sur le règlement des conflits ou sur d'autres ponts très importants comme l'ouverture des marchés publics aux Etats-Unis, ou la protection des indications géographiques, elle ne signera pas le traité transatlantique ", explique Matthias Fekl. Celui-ci devant être signé à l'unanimité par les Etats-membres, il pourrait donc rester à l'état de projet.