Fillon, Juppé et les fonctionnaires en moins : peut-on les croire ?

Par Ivan Best  |   |  1109  mots
Dans le domaine de l'économie, la question des fonctionnaires divise en apparence François Fillon et Alain Juppé. Mais leurs promesses ont-elles une chance d'être mises en oeuvre?

 Ainsi, le débat économique entre les deux candidats qualifiés pour la « finale » de la primaire de la droite et du centre pourrait-il se focaliser sur la question des fonctionnaires. Face à aux 500.000 suppressions de postes d'agents publics promises par François Fillon et critiquées par le camp Juppé, le maire de Bordeaux se montrerait plus crédible avec 200.000 emplois publics supprimés au cours du prochain quinquennat, s'il parvenait au pouvoir.

Qu'en est-il réellement ? Le débat électoral, même s'il est dit sérieux par les commentateurs politiques, s'entoure toujours d'un certain flou. François Fillon et Alain Juppé se veulent précis, avançant des chiffres censés accréditer leur propositions. Mais que recouvrent-ils réellement ?

Changer le statut des employés publics?

Il serait très facile, d'un point de vue technique -sous réserve d'une contestation syndicale- de réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires : il suffirait de changer le statut des employés de l'administration. Pourquoi les salariés des collectivités locales devraient-ils tous, ou presque, être fonctionnaires ? Bruno Le Maire a abordé le sujet sous cet angle avant d'être éliminé au premier tour. Pourquoi les employés des hôpitaux devraient-ils avoir le statut de fonctionnaire ? Ils ne l'ont pas en Allemagne, et c'est d'ailleurs ce qui explique largement pourquoi nos voisins d'Outre Rhin affichent un nombre de fonctionnaires par habitant beaucoup plus faible qu'en France.

Fillon et Juppé agiraient à structure constante

Mais, de ces réformes de structure, Alain Juppé et François Fillon ne parlent pas. Pour eux, semble-t-il, les coupes dans les effectifs auraient donc lieu à structure constante. Et c'est là que le sujet se complique. D'autant que des pans importants de la fonction publique seraient sauvegardés de toute suppression d'effectifs. Ainsi, s'agissant de l'Etat, Alain Juppé a précisé qu'il ne toucherait ni à l'Education, ni à la Police-gendarmerie, ni à la Justice, ni à la Défense. A elle seule l'Education -y compris l'enseignement supérieur- représente 56% des fonctionnaires de l'Etat, selon l'Insee, sachant que les fonctionnaires des Établissements publics administratifs se trouvent principalement à l'université . Au total, les secteurs épargnés par Alain Juppé comptent pour 85% des fonctionnaires employés par L'État et les établissements publics qui lui sont rattachés, selon l'Insee. Comment amputer d'une centaine de milliers d'agents les ministères restants -Bercy, Équipement et Transports, Travail, Affaires sociales- qui comptent à peine 360.000 fonctionnaires, sur un total de 2,4 millions ?

Les manipulations comptables de Sarkozy

Dans la version Fillon, pas de sanctuaires aussi bien définis. Certes, mais il est difficile, par exemple, de supprimer des postes dans l'Éducation nationale. Si cette politique pouvait être mise en œuvre aisément, Nicolas Sarkozy n'aurait pas eu recours à des manipulations comptables et possibles une seule année, pour afficher le non remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans l'Éducation. En 2010, en effet, il avait supprimé une année de formation des professeurs des écoles, ce qui permettait « d'économiser » 15.000 fonctionnaires, puisque les futurs instituteurs sont considérés comme fonctionnaires dès qu'ils ont passé le concours et entrent en formation. Cette décision avait désorganisé la formation des enseignants.

 L'effet du passage à 39 heures

L'ancien ministre de l'Éducation qu'est François Fillon sait bien les difficultés qu'il devra affronter. Il affirme miser beaucoup sur l'augmentation du temps de travail, puisque son programme prévoit le passage de l'horaire hebdomadaire des fonctionnaires de 35 heures à 39 heures (payés 35). Cette augmentation de 8,3 % du temps de travail permet évidemment de diminuer le personnel en cas de travail posté. Mais est-ce vraiment transposable à l'Éducation ?

 Couper aussi dans les hôpitaux?

Contrairement à Nicolas Sarkozy au cours de son quinquennat (2007-2012), qui entendait ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux, mais s'agissant seulement de l'Etat, les deux finalistes de la primaire de la droite et du centre veulent étendre leur action à l'ensemble de la fonction publique. Il est vrai que, sur 5,1 millions d'agents publics -y compris contractuels- en équivalent temps plein, 1,77 million sont employés par les collectivités locales, et 1,08 million par les hôpitaux. S'agissant de ces derniers, Alain Juppé a précisé récemment sur Europe 1  qu'il pensait avant tout à supprimer des postes au sein du « personnel administratif » et qu'il préserverait les soignants, compte tenu d'une activité médicale croissante et des tensions déjà visibles dans les hôpitaux. Or ce personnel administratif ne représente que 12,6% des salariés des hôpitaux, selon la DREES. La marge est donc étroite. Quant aux collectivités locales, elles sont dotées constitutionnellement d'une autonomie de gestion. Leur imposer une baisse drastique du nombre de leurs employés ne passera pas comme une lettre à la poste.

Bref, les 200.000 suppressions de postes version Juppé, c'est-à-dire en épargnant la plupart des secteurs de la fonction publique d'État, ainsi que les hôpitaux, ne sont pas vraiment crédibles, compte tenu de la charge insupportable qui se reporterait alors sur les collectivités locales. Les 500.000 agents publics en moins côté Fillon ne le sont pas plus, même en augmentant le temps de travail, puisque cela signifierait le remplacement d'aucun départ. Imagine-t-on un collège où aucun enseignant partant en retraite n'est remplacé ?

Un surpoids de la fonction publique en France?

Au delà, cette politique est-elle nécessaire?

Comme le souligne l'économiste Olivier Passet, de Xerfi

« On se leurre sur le sureffectif public. Certes le poids de nos rémunérations publiques est important. Mais lorsqu'il ne l'est pas chez les autres, il faut alors s'interroger sur le poids de la sous-traitance, qui n'est rien moins qu'une embauche indirecte, comptabilisée en consommation intermédiaire, dont on aurait tort de penser qu'elle est systématiquement plus efficace et moins coûteuse pour le citoyen. D'emblée, la position française paraît bien moins atypique. Cela n'interdit pas de s'interroger sur l'écart considérable qui nous distingue de l'Allemagne, par exemple.

Ensuite,

il faut rapporter le nombre d'agents à la population. Ce que l'on ne sait pas bien faire, car les statuts sont très variables d'un pays  à l'autre. Néanmoins l'extravagance française paraît bien moins extravagante. Surtout si au lieu de se centrer sur les fonctionnaires, on se focalise sur l'emploi que mobilisent les différents pays sur les grandes fonctions de l'État, indépendamment de du statut privé ou public : dans l'administration, la santé, l'éducation, l'action sociale notamment, il apparaît immédiatement que la France n'est pas mieux dotée  en ressources humaines que les autres, et même plutôt moins bien loties que beaucoup d'autres grands pays.