Economie : pourquoi les incohérences du FN ne lui portent pas préjudice

Par Mathias Thépot  |   |  1134  mots
Marine Le Pen a fait évoluer le discours du FN en matière d'économie.
Les positions du Front national en matière d'économie sont peu cohérentes. Mais cela lui nuit-il vraiment auprès de ses électeurs ?

En matière de politique économique, les contradictions du Front national sautent aux yeux. Il y a d'un côté l'aile « sociale » et « protectionniste » chère à Marine Le Pen et à son très influent vice-président Florian Philippot, et de l'autre les tenants d'une ligne « libérale » plus historique du parti, principalement incarnée par les élus frontistes du Sud-est, Marion-Maréchal Le Pen en tête. Mais en façade, l'aile « sociale » prend désormais largement le dessus au titre de la stratégie de « dédiabolisation » du parti, qui vise notamment à rejeter la mondialisation.

« Le Front national incarne la représentation politique des perdants de la mondialisation dont les conditions d'existence se sont dégradées avec ce processus », explique le sociologue Joël Gombin dans un livre* paru récemment sur le parti d'extrême droite. Le FN mise ainsi sur un Etat stratège protecteur et dénonce la « politique économique ultralibérale » européenne qui laisse des « milliers de travailleurs sur le carreau ». Bref, une rhétorique de gauche. Le parti fondé par Jean-Marie Le Pen s'est ainsi érigé en parti du peuple, s'opposant aux intérêts des grandes entreprises mondialisées. La dimension libre-échangiste du néolibéralisme est critiquée, et l'État serait devenu indispensable face aux dérives du capitalisme financier.

Un virage assumé

« Progressivement, des positions économiques plus protectionnistes et moins libérales sont mises en avant (par le FN, ndlr). (...) L'Etat providence est accepté et promu », constate Joël Gombin. Ce « virage social » est clairement assumé par Marine Le Pen. Elle déclarait même dans un reportage de France 3 datant de 2014** avoir changé d'opinion sur le rôle de l'Etat en France, dont elle dénonçait la gabegie dans les années 1980 et 1990. Pour justifier l'importance de l'Etat, la présidente du FN citait dans ce reportage l'exemple de la grand-mère espagnole habitant en campagne qui ne pouvait plus recevoir son courrier après la privatisation de la Poste en Espagne. Des propos à la portée hautement symbolique quand on sait que son père Jean-Marie Le Pen, tenant de la ligne économique libérale plus « historique » du parti, écrivait dans les années 1980 que « les monopoles comme les postes (...) devraient être transformés en société privées ». A l'époque, Margaret Thatcher et Ronald Reagan - symboles de la libération de l'économie - étaient les maîtres à penser du fondateur du FN, qui partageait certes en premier lieu leur anticommunisme prononcé.

Une ligne libérale qui subsiste

Cette ligne libérale historique du FN n'a en réalité pas disparu. Les ténors du Sud-est, notamment, y restent très attachés. Et cela semble gêner Marine Le Pen. On a pu le constater lors des débats parlementaires autour de la loi Travail où, selon Marianne, des amendements déposés par David Rachline et Stéphane Ravier, respectivement sénateurs FN du Var et des Bouches-du-Rhône, et maires de Fréjus et du 7ème arrondissement de Marseille, seraient mystérieusement passés à la trappe. Ces amendements prônaient des mesures pour le moins libérales : le relèvement des seuils sociaux, l'encadrement de l'activité syndicale, la facilitation des accords d'entreprises ou la défiscalisation des heures supplémentaires...

Mais ces propositions s'inscrivaient à contre-courant de la ligne politique développée ces dernières années par Marine Le Pen et Florian Philippot, qui a par ailleurs déclaré que la loi Travail était une « loi infâme », qui « précarise les travailleurs ». La direction du FN a donc fait supprimer ces amendements, ainsi que ceux de la députée du Vaucluse Marion-Maréchal Le Pen et du député du Gard Gilbert Collart, qui étaient similaires aux amendements de leurs collègues sénateurs. Preuve des contradictions profondes entre le duo Le Pen-Philippot et les parlementaires frontistes du Sud-est qui restent très attachés au « moins d'Etat ».

Des électeurs peu sensibles aux propositions économiques du FN

Le bastion électoral historique du FN dans le Sud-est est, il faut dire, constitué d'une part plus importante de CSP + et de retraités. Cette zone est en outre bien moins touchée par le chômage que l'autre bastion du FN, le grand quart Nord-est, où les ouvriers prennent une part prépondérante dans le vote frontiste. Économiquement, les besoins de ces populations sont donc bien différents. Ils s'opposent parfois. Et sur des questions comme la flexibilité de l'emploi, la taxation des hauts revenus, voire la sortie de l'euro, le Front national aura le plus grand mal à satisfaire globalement son électorat s'il arrive au pouvoir.

Mais en réalité, selon Joël Gambin, toutes ces contradictions en économie n'ont qu'une faible influence sur le vote final : « il s'agit plus d'un enjeu interne au parti (...), que d'une question ayant de réelles conséquences politiques au plan de l'électorat ». Il détaille : « De fait, pour les militants aussi bien que pour les électeurs, les enjeux proprement économiques sont secondaires par rapport aux enjeux culturels ou identitaires. Et dans tous les cas, les premiers sont appréhendés à travers le prisme de ces derniers ». La défense de l'Etat-providence devrait en effet bénéficier en priorité, voire exclusivement, aux nationaux, selon le Front national. Il y a donc dans les propositions de l'aile économiquement « protectionniste » du FN, une forte dynamique identitaire.

Camoufler les contradictions

Là se trouve la « force » du discours du Front national : il arrive à lier des positions économiques opposées avec une position identitaire unique. Autrement dit, il camoufle efficacement ses contradictions en économie derrière son discours autoritaire. C'est pour cela, selon Joël Gambin, que « l'opposition entre l'aile libérale incarnée par Marion Maréchal-Le Pen et une aile plus sociale et protectionniste incarnée par Florian Philippot, a relativement peu d'importance : ce ne sont pas les enjeux sur lesquels la majorité des électeurs se déterminent ».

Les dirigeants du FN peuvent donc se permettre des incohérences dans leurs discours. Un constat d'autant plus vrai que le FN n'est pas au pouvoir, et n'a donc pas à trancher dans le vif sur ces questions économiques. Il ne gouverne ni Etat, ni région, ni grande ville, là où les responsabilités impliquent des choix politiques forts, et où l'on ne peut pas indéfiniment se réfugier derrière les décisions contraignantes des partis qui gouvernent. Mais si le FN était un jour rattrapé par les responsabilités politiques, une frange importante de son électorat se trouvera fort déçue. Et les divisions internes fortes pourraient dynamiter le parti.

*« Le Front National. Va-t-elle diviser la France ? », de Joël Gombin, aux éditions Eyrolles, 16 euros.

** Ravis pour Marine, de Frédéric Biamonti France 3