Retraites : le projet de loi adopté en conseil des ministres

Par Grégoire Normand  |   |  1648  mots
(Crédits : Reuters)
Le projet de loi a été présenté et adopté ce vendredi en conseil des ministres. Il doit être examiné par une commission à l'Assemblée nationale à partir du 3 février. Il comporte une épaisse étude d'impact de plus de 1.000 pages qui vient d' être rendue publique. Ce texte pourrait encore connaître des ajustements sur la pénibilité notamment.

Le bout du tunnel n'est pas encore pour demain pour l'exécutif. Après plus de deux ans de concertations et plus de 50 jours de mouvements sociaux, le gouvernement a présenté son projet de loi en conseil des ministres ce vendredi 24 janvier. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, et le secrétaire d'Etat en charge des retraites, Laurent Pietraszewski, sont venus expliquer à la presse les grandes lignes des mesures inscrites dans le texte parlementaire composé d'une loi organique et d'une loi ordinaire.

"Le projet présenté aujourd'hui est un long travail de concertation [...] Cette refondation d'un système de retraite est un enjeu social et un enjeu démocratique. Les objectifs qui sont assignés à ce nouveau système sont l'équité entre tous les Français et entre les générations, la simplification et la lisibilité, la mise en place d'un système de contrôle de décision démocratique, qui permettent en responsabilité le pilotage du système" a expliqué la ministre.

En dépit d'un ralentissement de la grève dans les transports, les foyers de contestation demeurent bien présents. Les avocats, enseignants, professions médicales ont multiplié des actions spectaculaires ces derniers jours. Dans un sondage BVA réalisé pour La Tribune, RTL et Orange, 70% des Français estiment que les mouvements de protestation devraient se poursuivre. Une journée interprofessionnelle a été décidée pour le 29 janvier après une réunion vendredi matin, au cours de laquelle la CFE-CGC, qui souhaitait faire une "pause", a annoncé son retrait de l'intersyndicale (CGT, FO, Solidaires, FSU et organisations de jeunesse). Des actions sont proposées également les 30 et 31.

"Règle d'or" et "apurement de la dette"

Le texte lui même n'a pas été dévoilé aux journalistes présents lors de ce point presse. La ministre de la Santé n'a pas caché les objectifs du gouvernement en matière de financement dans sa présentation du projet de loi organique :

"L'article 1 du projet de loi organique élargit le champ des lois de financement de la sécurité sociale en y intégrant pour la première fois les régimes complémentaires. Cette intégration va permettre aux parlementaires d'avoir une vision élargie et une meilleure capacité de pilotage de l'ensemble du régime. L'article 2 renforce le pilotage financier de la branche retraite en instituant pour la première fois une règle d'or d'équilibre financier de la branche vieillesse. Cet article traduit la volonté de responsabilité vis à vis des générations futures. Les voies de financement de la sécurité sociale devront présenter chaque année une trajectoire de la branche retraite à l'équilibre pour les cinq années suivantes. L'article 2 comprend une règle d'apurement de la dette."

Quant aux articles 3,4 et 5, ils "permettent de faire rentrer dans le régime universel, les  parlementaires et notamment les sénateurs, les membres du conseil constitutionnel ou les magistrats".

Maintien de l'âge d'équilibre

Le projet de loi ordinaire comprend 65 articles et cinq titres. Dans sa description, le secrétaire d'Etat rattaché au ministère de la Santé a confirmé le maintien du décrié âge d'équilibre. "Le titre 1 détaille l'architecture du système des retraites. Il en précise les principaux paramètres en matière de cotisation, d'exposition ou de calcul des droits. Il prévoit la création d'un âge d'équilibre qui est destiné à inciter les Français sans les y contraindre à travailler davantage et d'assurer l'équilibre de notre système de répartition. Y figurent également les revalorisations des enseignants et enseignants chercheurs" a détaillé le secrétaire d'Etat venu épauler le gouvernement à la suite du départ du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye.

Une étude d'impact de plus de 1.000 pages

Le texte doit être déposé dans les prochains jours à l'Assemblée nationale. Il s'accompagne d'une étude d'impact de plus de 1.000 pages dorénavant disponible.  Laurent Pietraszewski a assuré que "c'est une étude extrêmement conséquente et très documentée. Je pense qu'elle répondra à une partie des interrogations. [...] Nous mettons une trentaine de nouveaux parcours à disposition sur le site. De nouveaux cas vont être diffusés la semaine prochaine". Quant au simulateur, "il sera mis en ligne lorsque les paramètres seront connus". D'ici là, le manque de clarté et les flous critiqués notamment par les organisations syndicales vont persister.

Les oppositions sur le pied de guerre

Les partis d'opposition préparent déjà leur riposte pour le passage du texte au Parlement. L'examen des mesures doit commencer en commission le 3 février prochain. La réforme doit passer ensuite dans l'hémicycle, à partir du 17 février. Mercredi dernier, une bonne partie de la gauche parlementaire a présenté des contre-propositions. Dans le document présenté par les élus de gauche et écologistes, six piliers sont proposés pour garantir une retraite "en bonne santé pour tous et toutes".

En outre, le collectif qui s'est entendu sur un ensemble de dénominateurs communs, a fait des propositions sur les questions du financement. Il suggère par exemple de mobiliser les fonds de réserves des retraites disponibles à partir de 2024. Le groupe d'élus propose de piocher dans la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale ). Ils défendent notamment un renforcement du financement par cotisations "en rétablissant la compensation financière de l'État à la Sécurité sociale pour les pertes de recettes liées aux mesures d'exonérations de cotisations sociales". La désocialisation des heures supplémentaires, décidée au moment de la crise des gilets jaunes pour accroître le pouvoir d'achat des salariés, avait réduit les sources de financement pour différents organismes de protection sociale. Enfin, les parlementaires veulent un maintien de "la cotisation à 28,1 % jusqu'à 27.000 euros de revenus par mois, en augmentant la part dite « non contributive », c'est-à-dire celle contribuant à la solidarité nationale". Pour tenter de rassurer les partenaires sociaux et les parlementaire opposés, Laurent Pietraszewski a expliqué que "ce texte laisse de la place au dialogue social, à la démocratie sociale et où la démocratie politique assure toute sa responsabilité".

Des économistes pour conseiller la CFDT

La conférence sur le financement qui doit débuter à la fin du mois de janvier doit rassembler les partenaires sociaux pour tenter de trouver un compromis sur l'âge d'équilibre. Outre Jean Pisani-Ferry et Philippe Aghion, la présence du président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Xavier Ragot, a été confirmée à La Tribune. Le cadrage proposé par l'exécutif pourrait réduire les marges de manoeuvre des syndicats et des économistes.

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Retraites : un calendrier très chargé

Présentée vendredi 24 janvier en Conseil des ministres, la réforme des retraites sera débattue au Parlement à partir de février, en vue d'un vote avant l'été. Mais il restera encore beaucoup à faire après, comme le prévoit le projet de loi.

30 avril 2020

Une "conférence des financeurs" réunissant syndicats, patronat, employeurs publics et représentants de l'Etat propose au gouvernement des pistes pour "atteindre l'équilibre financier de l'ensemble des régimes de retraite de base en 2027".

Trois mois après publication de la loi

Le gouvernement prend une première ordonnance pour assurer cet "équilibre financier" par divers moyens: âge légal, durée de cotisation, conditions du taux plein (âge, décote et surcote), recettes de l'Assurance vieillesse, Fonds de réserve des retraites.

Six mois après publication de la loi

Deux autres ordonnances précisent l'organisation de la future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), et les premières générations concernées par la réforme chez les militaires, magistrats, fonctionnaires des "catégories actives", salariés des régimes spéciaux et personnel navigants de l'aviation civile.

Premier décembre 2020

Création de la CNRU, qui exerce "une mission de veille" sur les autres régimes. Sa gestion est confiée aux mêmes organisations que celles désignées pour la "conférence des financeurs".

Janvier 2021

Création d'un "comité d'expertise indépendant des retraites" chargé d'actualiser chaque année "les prévisions financières du système universel".

30 juin 2021

Le conseil d'administration de la CNRU fixe la valeur du point pour l'année 2022, ainsi que le futur "âge d'équilibre". Le directeur de la CNRU propose un "schéma de transformation" afin de rapprocher, voire fusionner les caisses de retraite existantes

12 mois après publication de la loi

Le gouvernement prend 21 ordonnances, notamment sur la "convergence" des taux et assiettes de cotisation en 15 ou 20 ans (salariés du privé, fonctionnaires, régimes spéciaux, indépendants, libéraux, agriculteurs) et sur les "transitions en matière d'âge" de départ pour les fonctionnaires des "catégories actives" et les salariés des régimes spéciaux.

D'autres textes détaillent les cas particuliers des marins et des personnels navigants de l'aviation civile, la "conservation à 100%" des droits acquis avant 2025 ou encore la "garantie des droits pour les conjoints divorcés" en matière de réversion. Sont aussi arrêtés le "schéma de transformation" et "l'intégration financière" des différentes caisses de retraite sous l'égide de la CNRU.

18 mois après publication de la loi

Trois dernières ordonnances procèdent au "toilettage" des codes législatifs et à l'application de la réforme en outre-mer.

Premier janvier 2022

Les actifs nés en 2004 et après commencent à cotiser au régime universel. Le minimum de pension pour les nouveaux retraités "ayant effectué une carrière complète" est fixé à 1.000 euros net. Le cumul emploi-retraite est facilité et génère "de nouveaux droits à retraite" pour ceux qui ont liquidé une pension à taux plein.

Premier janvier 2025

Les actifs nés entre 1975 et 2003 commencent à cotiser au régime universel