Allemagne : la forte hausse du salaire réel en 2015 est-elle suffisante ?

Par Romaric Godin  |   |  874  mots
Les salaires allemands n'ont jamais autant progressé en termes réels.
Les salaires réels ont progressé de 2,6 % en 2015, la plus forte hausse depuis 2008. L'introduction du salaire minimum y est pour beaucoup. Malgré sa vigueur, cette hausse est encore insuffisante pour rééquilibrer la zone euro.

Jamais depuis 2008 le salaire réel allemand n'avait autant progressé. Ce jeudi 4 février, le Bureau fédéral des Statistiques, Destatis, a annoncé une progression de 2,8 % en 2015 de la rémunération des salariés allemands. Compte tenu de l'inflation faible enregistrée (+0,3 %), le salaire réel a donc progressé de 2,5 % l'an passé. En 2014, ce salaire réel avait progressé de 1,7 %, tandis qu'il avait reculé de 0,1 % en 2013.

Bonne nouvelle...

Cette statistique est une bonne nouvelle pour la zone euro. Un des principaux problèmes de l'union monétaire est en effet depuis le début des années 2000 la modération salariale allemande, laquelle a exercé une pression constante sur ses partenaires de la zone euro qui ont vu leur compétitivité (qui - on l'oublie souvent en France - est une valeur avant tout relative) se dégrader. Cette dégradation est une des causes de la crise de la zone euro des années 2010-2013 où plusieurs pays ont dû pratiquer violemment une « dévaluation interne » dont la région subit encore le contrecoup aujourd'hui.

...insuffisante pour la zone euro

Toute progression du salaire réel allemand est donc un signe de convergence bienvenu. Pour autant, elle ne suffit pas, seule, à rééquilibrer la zone euro. Pour plusieurs raisons. D'abord, cette hausse ne fait que confirmer un rattrapage. La modération salariale allemande a duré plus de dix ans et ses effets négatifs ne sauraient s'effacer par deux années de hausse plus vigoureuse. Ainsi, depuis 2008 (année de début des statistiques relevées par Destatis), les salaires réels allemands ont progressé en moyenne par an de seulement 0,98 %. C'est un rythme encore trop mesuré pour espérer un effet au niveau européen.

Une hausse nominale encore assez modérée...

Le fait le plus inquiétant est que cette hausse du salaire réel repose surtout sur l'inflation faible, donc sur un facteur externe, la baisse des prix des matières premières. La hausse nominale des salaires allemands, 2,8 %, n'a rien d'exceptionnel. Elle est à peine supérieure à celle de 2014 (2,6 %) et est inférieure aux progressions de 2008 et 2011 (3,1 % et 3,3 %). Autrement dit, si l'inflation remonte, le « rattrapage » allemand risque donc d'être plus faible, ce qui n'est pas une bonne nouvelle dans la mesure où la BCE s'échine à trouver le moyen de relancer l'inflation.

... et portée par l'introduction du salaire minimum

Du reste, cette hausse de 2015 ne doit pas être surestimée. L'introduction du salaire minimum le 1er janvier 2015 a sans doute pesé lourd dans cette progression. Destatis affirme ne pas être en mesure d'estimer cet impact, mais on peut remarquer que les salaires les plus faibles ont progressé de 4,7 % en données brutes. Il y a donc un effet de régulation certain qui a sans doute gonflé le chiffre de 2015. A n'en pas douter, cet effet sera inexistant dès 2016. Compte tenu de la situation de plein emploi de l'Allemagne, cette progression des salaires nominaux demeure décidément très modérée.

Hausse du taux d'épargne

Reste un dernier élément : cette hausse a soutenu la consommation des ménages qui a progressé de 1,9 % en données corrigées et qui a apporté - fait unique depuis vingt ans ! - un point de croissance au pays en 2015. Ceci est un fait encore une fois bienvenue pour la zone euro qui devrait profiter de cette demande intérieure renforcée. Mais, là encore, c'est insuffisant : le problème de la zone euro est l'excédent courant de l'Allemagne qui devrait avoir encore augmenté jusqu'à 8 % du PIB en 2015. Cet excédent crée naturellement le déficit des autres et freine la transmission de la croissance allemande au reste de l'union monétaire. Or, une grande partie de cette croissance des salaires se dirige vers l'épargne. Le taux d'épargne brute des ménages est remonté en 2015 à 9,7 %, son plus haut point depuis 2010. Une épargne qui, par ailleurs, ne soutient guère l'investissement outre-Rhin.

La BCE doit poursuivre sa politique

Ce chiffre est donc encourageant pour la zone euro, mais il justifie en réalité plus que jamais la politique de la BCE. Mario Draghi a toutes les raisons de vouloir décourager les ménages allemands à épargner en pratiquant une politique qui pèse sur les taux de rémunération. Il convient qu'une part encore plus importante de la hausse des salaires allemands se dirige maintenant vers l'économie réelle, alors que, précisément, les taux bas ne représentent pas un frein à l'investissement.

Encore insuffisant pour soutenir l'inflation

Parallèlement, la BCE doit continuer à espérer que les salaires nominaux allemands continuent de progresser. Un des principaux moteurs de l'inflation est l'écart entre salaires nominaux et productivité. Avec un écart de 1,4 % entre ces deux éléments en 2015, l'Allemagne, première économie de la zone euro qui pèse pour 30 % du PIB européen, ne tire pas encore réellement l'inflation vers l'objectif de 2 % à moyen terme de la BCE. D'autant que, sur cette même période, des politiques clairement déflationnistes ont été imposées à l'ensemble des autres pays de la zone euro. Bref, la zone euro a encore clairement besoin d'une croissance plus soutenue des salaires allemands.