Andorre menacée par une crise bancaire de grande ampleur

Par Romaric Godin  |   |  1213  mots
Andorre risque de payer cher le développement de son secteur bancaire. (Crédits : Reuters)
Les autorités américaines menacent de sanctionner la quatrième banque de la coprincipauté pour blanchiment. Une décision qui menace l'équilibre précaire de ce petit pays.

La semaine qui s'achève aura vu le secteur financier andorran secoué par une forte tempête. Mardi 10 mars, en effet, la division du Trésor américain chargé de la lutte contre le crime financier, la FinCEN, a indiqué qu'elle ouvrait une enquête contre la Banca Privada d'Andorra (Banque privée d'Andorre, BPA) pour blanchiment. Aussitôt, l'autorité régulatrice bancaire andorrane, L'Institut national andorran des Finances (INAF), annonçait qu'il prenait le contrôle de la BPA. Parallèlement, en Espagne, la Banque centrale décidait également de prendre le contrôle de la filiale espagnole de la BPA, Banco de Madrid.

Les reproches de la FinCEN

Que reproche la FinCEN à la BPA ? D'avoir permis, moyennant de grosses commissions touchées par certains dirigeants, le dépôt de sommes issues du crime organisé et de la corruption. Une fois dans les caisses de la BPA, cet argent devenait « honnête » et pouvait revenir dans le secteur financier américain. Le Trésor américain cite trois cas précis. Le premier est celui du Russe Andreï Petrov, arrêté en février 2013 en Espagne pour blanchiment, et qui, selon les autorités américaines, serait lié avec l'un des « dix fugitifs les plus recherchés par le FBI », l'Ukrainien Simon Mogilievitch, un des parrains de la mafia russe. Deuxième cas : celui du chinois Gao Ping, lui aussi arrêté par l'Espagne en septembre 2012, qui aurait utilisé la BPA pour blanchir l'argent de la mafia chinoise et payé des « commissions exorbitantes » à des dirigeants de la banque andorrane. Enfin, le Trésor américain souligne que la BPA aurait été utilisé pour blanchir le détournement de près de deux milliards de dollars de la compagnie pétrolière publique vénézuélienne PDVSA.

Le pays dégradé par S&P

La BPA pourrait, au bout de 60 jours, perdre son habilitation à effectuer des transactions aux Etats-Unis. Ce pourrait être une véritable catastrophe pour cette institution qui est la quatrième des cinq banques de la coprincipauté et qui est spécialisée dans la gestion de fortune. Le bilan de la BPA s'élève à 3,1 milliards d'euros et ses actifs sous gestion à plus de 7 milliards. Le PIB d'Andorre est estimé à 3,5 milliards d'euros. Ce vendredi 13 mars, Standard & Poor's a abaissé la notation d'Andorra pour la deuxième fois depuis l'automne dernier de BBB+ à BBB, avec une surveillance négative. Désormais, l'Etat pyrénéen n'est plus qu'à deux crans de la catégorie spéculative ou « d'obligations pourries » (« junk bonds »).

S&P craint non seulement que la décision de la FinCEN ne bloque sa capacité à « opérer normalement », mais aussi une contagion vers les autres banques de la principauté. Si les opérateurs jugent que le cas de BPA n'est pas unique et se détournent de l'ensemble du secteur financier andorran, le choc promet d'être terrible. Depuis les années 1990, le secteur bancaire a pris une importance cruciale dans l'économie du petit pays. Depuis 2010, le gouvernement andorran a durci, sous la pression franco-espagnole, les conditions financières dans le pays afin de ne plus apparaître comme un paradis fiscal. Pour trouver des nouvelles sources de revenus, les banques du pays se sont lancées dans une politique de croissance externe qui inquiète beaucoup S&P car le poids du secteur est devenu vertigineux : les actifs bancaires andorrans représentent 6,5 fois le PIB du pays et les actifs sous gestion plus de 17 fois. Le secteur financier représente aujourd'hui 21,7 % du PIB de la principauté contre 17,4 % en 2010.

Pas de filets de sécurité pour Andorre

Or, Andorre, quoique utilisant de facto l'euro, n'est ni membre de la zone euro, ni membre de l'UE. Le pays n'a pas de banque centrale et la BCE n'est pas responsable de son secteur bancaire. En cas de tempête financière sur la petite place pyrénéenne, ce sera à l'Etat d'intervenir directement avec des euros, une monnaie qu'elle ne peut émettre librement et certainement pas à hauteur des besoins d'une crise bancaire. Dans ce cas, Andorre fera sans doute une faillite retentissante qui fera disparaître l'essentiel de sa crédibilité et donc d'une grande partie du cinquième de son PIB qui est issu de ce secteur. On n'en est pas encore là, mais tout dépendra de la capacité du gouvernement d'Andorre à contenir la crise de BPA.

Tentative de sauvetage

Depuis plusieurs années, la coprincipauté tente de se racheter une conduite auprès des autorités internationales pour ne plus passer pour un « trou noir » du système financier mondial. Une TVA et un impôt sur le revenu ont été introduits sous la pression de l'UE et l'an passé, la coprincipauté a ainsi signé un accord avec l'OCDE pour l'échange automatique de données fiscales. Cette dénonciation de la BPA vient donc mettre en doute sa crédibilité. D'où son action vigoureuse. La mise sous tutelle de la BPA visait à conserver les « parties saines » de la banque. Le conseil d'administration de la banque a été destitué et trois administrateurs ont été nommés. Selon la presse espagnole, Andorre chercherait à sauver la BPA en la faisant racheter par la première banque du pays, le Crèdit Andorrà. Mais cette banque résiste pour le moment aux pressions des autorités et refusent d'absorber BPA. Il est vrai qu'il risquerait d'hériter de ses ennuis, de sa réputation et, peut-être, de son interdiction américaine. Si la fusion échoue et que les Etats-Unis sanctionnent BPA, cette dernière banque devra faire face à un retrait de ses dépôts et à un risque de faillite.

Micro-Etats qui ont misé sur la finance

Cette affaire vient donc porter la lumière sur ces micro-Etats qui, pour se développer ont eu recours à des secteurs bancaires aussi démesurés qu'obscurs. Andorre a longtemps été la place préférée des riches espagnols pour échapper à leur fisc. L'ampleur de cette situation a été révélée par l'affaire Jordi Pujol. L'ancien président du gouvernement régional catalan et sa famille avaient en effet dissimulé des sommes considérables dans la coprincipauté. Détail piquant, il avait utilisé en 2014 la filiale espagnole de la BPA, Banco de Madrid, pour régulariser quelques 7 millions d'euros qui avaient échappé au fisc espagnol.

La France concernée ?

Reste que la situation à Andorre ne doit pas laisser indifférents les autorités françaises et espagnoles. En cas d'effondrement du secteur financier du pays, faudra-t-il venir aider ce petit pays qui est de facto membre de la zone euro ? La principauté a un intérêt local pour les départements français environnants, beaucoup de français travaillant dans le secteur du tourisme et du commerce du détail de la coprincipauté. Par ailleurs, rappelons que le président de la République française est coprince d'Andorre, titre assez honorifique, mais pas entièrement, il est réellement en effet chef de l'Etat andorran au même titre que l'évêque de la Seu d'Urgell, en Catalogne espagnole. Sera-ce là une raison pour la France d'intervenir en cas de crise ? La question ne manquera pas de se poser.