Bruxelles réplique au vote FN et Mélenchon en allant sur le terrain social

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  763  mots
« Je n'ai pas d'illusions. Il y aura ceux qui diront que nous n'allons pas assez loin et ceux qui diront que cela va trop loin. C'est naturel compte tenu de la diversité européenne. Mais nous avons une chance unique de réduire ces différences », a estimé Marianne Thyssen, commissaire européenne en charge de l'Emploi et des Affaires sociales.
Fidèle à sa méthode, le président Juncker met les gouvernements nationaux devant leurs responsabilités en leur demandant de respecter un « socle de droits » et de prendre position sur des sujets contentieux comme le travail détaché ou la convergence sociale dans la zone euro. Une ambition louable mais difficile à réaliser.

Marianne Thyssen n'a pas joué la carte de la pure coïncidence en présentant mercredi le plus important « paquet social » que la Commission Juncker ait mis sur la table depuis le début de son mandat en 2014. « L'élection en France s'est beaucoup jouée sur le social... (Le social) fait partie de notre mission... Aujourd'hui, nous 'délivrons' », a expliqué la commissaire en charge de l'Emploi et des Affaires sociales.

Le « socle des droits » présenté hier cheminait dans les conduits de l'exécutif européen depuis le discours sur l'Etat de l'Union de son président Jean-Claude Juncker de 2015. Il avait alors assuré vouloir un « triple A » social pour l'Europe. Le résultat est une série de 20 critères articulés autour de l'égalité des chances, des conditions de travail et de la protection sociale. Ils reprennent en partie, en ce qui concerne l'égalité hommes-femmes ou l'accès aux prestations sociales, ceux inscrits dans la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2012 à laquelle le Royaume-Uni s'était soustrait.

Lutter contre la précarité

Il va cependant plus loin en créant par exemple un « droit à une assistance rapide et adaptée » permettant d' « améliorer les perspectives d'emploi » ou en entendant lutter contre la précarité par la « transition vers un travail à durée indéterminée » ou la garantie de « salaires minimum à un niveau permettant de satisfaire aux besoins du travailleur et de sa famille ». « Il convient d'éviter le phénomène des travailleurs pauvres », insiste la Commission.

Difficile de ne pas adhérer. Comme toujours en matière européenne, tout sera une question de méthode. Celle de la Commission est dictée par les limites de ses propres compétences mais également par le parti-pris de Jean-Claude Juncker de répondre au Brussels-bashing par un « Chiche, faites le donc ! ». Bruxelles rappelle que la mise en œuvre de ces principes est une « responsabilité conjointe des institutions de l'UE, des Etats membres, des partenaires sociaux et des autres parties prenantes ».

Les gouvernements nationaux ont tenu, à chaque révision du traité européen, à maintenir les compétences sociales de l'Union dans des limites très strictes, pour des raisons évidentes liés à des traditions très différentes. Le projet de directive proposant l'allongement par exemple de la durée du congé maternité proposé en 2008... a été finalement abandonné en 2015 : les groupes politiques au Parlement, de même que les ministres des Affaires sociales n'avaient jamais réussi à trouver un compromis. De surcroît, les normes minimales fixées sont souvent au-dessous des règles applicables dans les pays où, comme la France, les droits sociaux sont les plus développés et marquent un progrès là où les lois sociales sont moins favorables comme en Europe de l'Est. Enfin, toute législation, comme en matière fiscale, requiert l'unanimité.

Lier politique sociale et politique économique

Cela n'est pas prêt de changer. Mais la nouveauté de ce paquet réside dans une tentative de lier politique sociale et politique économique, particulièrement pour les pays de la zone euro. Dans un document de réflexion également publié hier, la Commission met par exemple au défi les pays de la zone euro de faire plus à Dix-Neuf. Elle cible tant les riches créanciers que les pays qui exportent leur main d'œuvre ou misent sur un moins-disant social. Aux premiers, elle demande de consentir à « éviter les ajustements brutaux des niveaux de vie des citoyens ». Une allusion à la déflation qui a frappé la Grèce, l'Espagne et le Portugal avec la mise en œuvre des programmes d'ajustement post-crise. On ne voit pas comment, sans mécanismes de transfert financiers, cet objectif pourrait être réalisé.

Elle tacle aussi la mauvaise foi des gouvernements au sujet du travail détaché. Depuis deux ans, la proposition d'imposer une égalité salariale entre détachés et nationaux est bloquée au Conseil pour cause d'opposition notamment des pays d'Europe centrale. Elle propose donc carrément de ne plus garantir de « standards minimaux » pour les congés maternité, le temps de travail ou les congés maternité. Elle les met au défi de renoncer à plus d'harmonisation, tout en maintenant la libre circulation.

« Je n'ai pas d'illusions. Il y aura ceux qui diront que nous n'allons pas assez loin et ceux qui diront que cela va trop loin. C'est naturel compte tenu de la diversité européenne. Mais nous avons une chance unique de réduire ces différences », a estimé avec lucidité la commissaire Thyssen mercredi.