Carles Puigdemont, un indépendantiste dans la tourmente

Par Grégoire Normand  |   |  993  mots
Carles Puigdemont lors d'un discours au parlement régional de Barcelone.
[Portrait] Carles Puidgemont, militant historique de l'indépendance catalane, poursuit son bras de fer avec Madrid. Lors de son discours d'investiture à la présidence de la région en 2016, il avait affirmé tout sa détermination en rappelant que "les envahisseurs seront chassés de Catalogne". Retour sur le parcours de cet élu, qui a cultivé son goût pour l'indépendance tout au long de sa vie.

Encore inconnu du grand public il y a quelques semaines, le président de l'exécutif catalan Carles Puidgemont est devenu la figure emblématique du mouvement pour l'indépendance de la Catalogne. Sous ces apparences discrètes, ce Catalan de naissance mène un combat sans merci contre le gouvernement central dirigé par Mariano Rajoy. Retour sur le parcours de cet élu au régionalisme exacerbé.

(Le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy dans son bureau à Madrid le 11 octobre dernier. Crédits : Reuters.)

Un milieu modeste

Carles Puidgemont Casamajó est né le 29 décembre 1962 dans le petit village d'Amer de 2.000 habitants, situé dans la province de Gérone. Il passe son enfance dans une famille de huit enfants avec des parents travaillant dans la pâtisserie. A l'adolescence, son oncle l'emmène à des meetings sécessionnistes où il s'imprègne très tôt de toutes ces idées. Il étudie par la suite la philologie à Gérone avant d'entamer une carrière dans le journalisme. Passionné d'actualité et de politique, il commence sa carrière au début des années 1980 au quotidien El Punt, où il va prendre la rédaction en chef quelques années plus tard. A partir de 1999, il fonde l'Agence d'information catalane et prend la direction de la revue en langue anglaise Catalonia Today. A ce moment là, ce polyglotte travaille avec son épouse Marcela Topor, journaliste également.

Un nationaliste convaincu

En parallèle à sa carrière d'homme de presse, Carles Puidgemont construit progressivement son engagement politique en faveur d'un nationalisme exalté. A partir de 1980, il soutient un mouvement en faveur de la culture et de la langue catalane, la Crida. Il prend également part à la naissance des Jeunesses nationalistes de Catalogne à Gérone et se rapproche du mouvement de la Convergence démocratique de Catalogne. Toutes ces démarches, au cœur de la culture et de la politique régionales, vont conforter ses convictions nationalistes attachées à la défense de la langue notamment. La montée du nationalisme catalan, après le franquisme, est étroitement liée à la question linguistique, comme le rappelle l'universitaire Henri Boyer dans un article de la revue Mots. Les langages du politique.

"Le nationalisme qui s'est développé en Catalogne au 20e siècle a placé au cœur de sa construction idéologique la représentation de la langue comme fait différenciateur fondamental de la nation catalane. Ce nationalisme linguistique exemplaire, qui a conquis le pouvoir autonome après la fin du franquisme, a légitimé une vigoureuse politique de défense et de promotion du catalan, qui n'a, cependant, pas été sans susciter polémiques et oppositions."

Une première élection tardive

Entre ses premières années d'engagement et sa première élection au Parlement régional en tant que député en 2006, plus de 20 ans vont passer. Il devient conseiller municipal de Gérone en 2007 avant de prendre la mairie en 2011 en tant que candidat de Convergence démocratique de Catalogne. Peu de temps après son élection, il veut appliquer ses convictions en rebaptisant Gérone: Gerona (en castillan) devient ainsi Girona. Il devient, dans le même temps, président de l'association des municipalités pour l'indépendance.

En janvier 2016, le président indépendantiste sortant de la région de Catalogne Artur Mas a annoncé qu'il avait décidé de ne pas briguer un nouveau mandat. Il souhaitait ainsi ouvrir la voie à la formation d'un gouvernement indépendantiste à la tête de la Généralité. Une partie des indépendantistes était hostile au maintien d'Artur Mas, notamment certains membres de la Candidature d'unité populaire (CUP). Cette petite formation de gauche au sein du bloc indépendantiste avait annoncé, quelques jours auparavant, qu'elle ne soutiendrait pas la candidature d'Artur Mas pour un nouveau mandat, en raison de profondes divergences sur des questions telles que l'appartenance d'une Catalogne indépendante à l'Otan et à l'Union européenne. Ce retrait a laissé le champs libre à un autre candidat, Carles Puigdemont. Et depuis son accession à la présidence de la région, la notoriété de ce journaliste de 54 ans ne cesse de prendre de l'ampleur.

> Lire aussi : Catalogne : l'indépendantiste Artur Mas renonce à briguer un nouveau mandat

Un homme sous pression

La pression monte pour Carles Puidgemont. Le gouvernement espagnol a obtenu le soutien de l'opposition pour mettre la Catalogne sous tutelle et convoquer des élections en janvier afin de trouver une issue à la crise née des velléités d'indépendance de la plus riche région d'Espagne. Cette solution est possible en vertu de l'article 155 de la Constitution espagnole de 1978, qui n'a jamais été utilisé et permet à Madrid d'agir ainsi et de suspendre l'autonomie de la région. Les modalités de la prise de contrôle temporaire des institutions catalanes n'ont pas été détaillées. Mariano Rajoy, président du gouvernement, devrait les révéler samedi à l'issue d'un conseil des ministres extraordinaire. Si le processus de mise sous tutelle est enclenché, le bras de fer entre Madrid et le président catalan pourrait encore se durcir.

> Lire aussi : Catalogne : Madrid veut des élections en janvier

Par ailleurs, la multiplication des départs de sièges d'entreprises pourraient accroître la pression sur Carles Puidgemont. En seulement deux semaines, pas moins de 691 entreprises ont transféré leur siège social hors de Catalogne en raison de la crise politique, selon le dernier décompte du registre du commerce mardi dernier. "Il y a eu plus de départs ces dix derniers jours que sur les neuf premiers mois de 2017 réunis", a précisé la porte-parole du Registre du commerce et des sociétés à l'AFP.

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Son parcours en quelques dates


1962 : naissance à Amer en Catalogne ; 

1982 : il devient journaliste au quotidien Punt ;

2006 : il est élu pour la première fois député catalan ;

2016 : il obtient la présidence de la Catalogne.