Crise politique : Salvini va-t-il plonger l'Italie dans une crise économique grave ?

Par latribune.fr  |   |  1296  mots
(Crédits : Remo Casilli)
L'Italie, troisième économie de la zone euro, se retrouve de nouveau dans la tourmente après l'éclatement de la coalition gouvernementale. Quel peut-être l'impact économique de cette crise ?

L'omniprésent ministre de l'Intérieur et patron de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, a joué, jeudi 8 août, un coup de poker en dynamitant son alliance gouvernementale avec le Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème) après seulement 14 mois de pouvoir.

Misant sur la torpeur du mois d'août et après avoir pilonné pendant des mois son partenaire gouvernemental, il pense avoir la main et se voit déjà à la tête de son pays après des élections anticipées qu'il réclame pour octobre.

Alliances et contre-alliances

Afin d'y parvenir, Matteo Salvini entend pactiser avec ses vieux alliés de droite, Forza Italia (FI, droite) de Silvio Berlusconi et Fratelli d'Italia (Frères d'Italie, post-fasciste) de Giorgia Meloni.

Mais son plan d'attaque n'avait pas pris en compte la formation, pour lui barrer la route, d'une sorte de "front républicain" qui rassemble notamment le M5S, furieux d'avoir été trahi, et une aile du Parti démocrate (PD, centre gauche) incarnée par l'ancien chef du gouvernement Matteo Renzi (2014-2016).

Les pourparlers au sein du camp refusant de nouvelles législatives sont compliqués, notamment pour le PD. Son nouveau patron, Nicola Zingaretti, en place depuis mars, préconise des élections au plus vite pour ne pas brouiller le message de l'opposition de gauche et éviter de faire grimper dans les sondages son ennemi déclaré. Mais le chef de file du M5S, Luigi Di Maio, semble bel et bien avoir des cartes à abattre, éloignant quelque peu le scénario d'un départ inéluctable du Premier ministre Giuseppe Conte.

Le Sénat s'est réuni mardi dernier pour trancher entre, d'un côté, la position de Salvini qui veut voter la censure et la chute du gouvernement Conte dès mercredi, et de l'autre, celle de M5S qui plaide pour une simple déclaration de M. Conte le 20 août au Sénat sans démission automatique.

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Saborder la majorité pour mieux régner

Apparemment tenté de tirer parti de sa popularité croissante (36/38% des intentions de vote, 20 points de plus qu'au printemps 2018), Matteo Salvini a annoncé que la coalition formée en juin 2018 avec le M5S n'était plus viable et a réclamé des élections anticipées. La Ligue a ensuite déposé une motion de censure, mais les élus du mouvement contestataire et du Parti démocrate (PD), principale composante de l'opposition, ont refusé d'en débattre. Ils envisagent en outre ouvertement de s'associer pour former une nouvelle coalition, afin d'écarter Matteo Salvini.

Les élections européennes du 26 mai les ont considérablement aggravées les dissensions au sein de la coalition qui durent depuis des mois. En l'emportant avec un peu plus de 34% des voix contre 17% seulement pour le M5S, le parti d'extrême droite a inversé le rapport de forces issu des élections législatives de mars 2018.

L'intéressé, qui est vice-président du Conseil et ministre de l'Intérieur, s'est depuis montré plus conciliant et se dit même prêt, moyennant un remaniement ministériel, à continuer à gouverner avec le M5S, qui n'est donc plus de cet avis.

"Salvini n'est plus un partenaire crédible", juge le M5S

Matteo Salvini n'est plus un partenaire crédible, a jugé dimanche le Mouvement 5 étoiles (M5S), qui partage le pouvoir avec le parti d'extrême droite depuis juin 2018. Ses dirigeants se sont réunis à la villa du comédien Beppe Grillo, fondateur du mouvement contestataire, pour évoquer ce que le président du Conseil Giuseppe Conte a qualifié mardi au Sénat de crise gouvernementale.

"Toutes les personnes présentes ont reconnu que Salvini n'était plus un interlocuteur crédible", déclare le parti dans un communiqué diffusé après la réunion, qui s'est déroulée en présence de Luigi Di Maio, chef de file du mouvement, de Roberto Fico, président du Sénat, et d'Alessandro Di Batista, l'une des personnalités les plus populaires du M5S. Ses dirigeants, pour qui le chef de file de la Ligue ne s'est pas montré digne de confiance, parlent d'un "revirement honteux" et lui reprochent de "chercher à dicter des conditions sans aucune légitimité".

Les marchés restent fébriles

"L'incertitude a un prix, qui s'appelle spread et possible abaissement de la note de l'Italie par les agences de notation", a expliqué Carlo Alberto Carnavale Maffe, professeur à l'université Bocconi de Milan.

Hasard du calendrier, l'agence de notation Fitch a confirmé vendredi soir sa notation sur l'Italie à BBB avec une perspective négative. Les analystes sont partagés sur cette décision de l'agence, qui n'a pas eu le temps de prendre en compte l'impact de la crise surgie un jour avant. En octobre 2018, Moody's avait abaissé d'un cran la note de la péninsule, à "Baa3", juste au-dessus de la catégorie spéculative, en s'inquiétant des choix budgétaires de la coalition populiste en place depuis quelques mois.

Selon M. Carnavale Maffe, "août est un mois avec des volumes d'échanges bas : il suffit de variations faibles pour avoir un impact très important sur le spread et le cours des actions", et le pays, déjà fragile, "paiera les conséquences de cette crise", déclenchée durant une période aussi sensible.

Un impact sur l'économie italienne ?

La troisième économie de la zone euro ne va pas bien. Après une "récession technique" au second semestre 2018, l'Italie a connu une croissance nulle de son Produit intérieur brut (PIB) sur les six premiers mois de l'année en cours. Le pays affiche une dette colossale de 2.300 milliards d'euros, soit 132% de son PIB, le ratio plus élevé de la zone euro derrière la Grèce.

Pour 2019, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) tablent sur une croissance italienne de seulement 0,1%, et le gouvernement de 0,2%. Mais certains experts sont encore plus pessimistes, estimant que la péninsule pourrait de nouveau tomber en récession. Bruxelles ne cesse donc de presser Rome de réduire son déficit public. À plusieurs reprises, de vives tensions ont eu lieu entre la Commission européenne et le gouvernement italien, qui a fini par accepter de réduire celui-ci à 2,04% du PIB en 2019, au lieu de 2,4%.

L'économie italienne est affectée par le ralentissement qui touche toute l'Europe, les tensions commerciales entre Pékin et Washington, mais aussi par la prudence des entreprises qui investissent moins, inquiètes à la fois de l'évolution mondiale et de l'instabilité politique.

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Quel scénario économique si Salvini remportait des élections ?

Le patron de la Ligue (extrême droite) a toujours fustigé les diktats de Bruxelles et jugeait le ministre de l'Économie, Giovanni Tria, beaucoup trop conciliant avec la Commission européenne. Il a récemment affirmé que le prochain budget ne pourrait pas être "en dessous des 2% de déficit". "

Les dogmes de Bruxelles ne sont pas sacrés", a-t-il martelé, tout en excluant un déficit à 4 ou 5% du PIB.

"Il y aura certainement un affrontement avec l'Europe et c'est un gouvernement et un Parlement légitimés par les Italiens qui devront le faire", a-t-il affirmé, en appelant ainsi le pays à lui donner une majorité claire.

Pour M. Salvini, dont l'électorat est composé au nord de petits entrepreneurs et artisans, il faut un budget "courageux", avec des baisses d'impôts importantes et de grands chantiers publics, afin de relancer la croissance. Il promet aussi d'empêcher la hausse de la TVA, déjà votée par le Parlement sortant, malgré les 23 milliards d'euros de recettes supplémentaires qu'elle représenterait.