Fraude à la TVA : l'Europe passe à l'offensive

Par Grégoire Normand  |   |  1059  mots
Le plan d’action vise à établir un espace de TVA unique dans l'Union.
La Commission européenne veut soumettre aux 28 Etats membres un projet de réforme pour lutter contre la fraude à la TVA. Le manque à gagner pour les finances publiques communautaires représente environ un tiers du budget de l'Union européenne.

Le manque à gagner (*) pour les caisses de l'Europe est faramineux. D'après des estimations de la Commission européenne publiées ce mercredi 4 octobre, 150 milliards d'euros de TVA sont perdus chaque année à l'échelle européenne. Sur ce total, environ 50 milliards (soit environ 100 euros par citoyen) sont détournés par la fraude à la TVA transfrontalière. Et rien qu'en France, le manque à gagner pour les comptes publics est estimé à 20 milliards d'euros, selon une étude de l'Institute for Advanced Study réalisée pour la Commission. Pour mettre fin à ce système, l'institution européenne a présenté des mesures destinées à rendre le système de collecte plus robuste. Pour Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires :

"La proposition présentée aujourd'hui devrait permettre de réduire la fraude à la TVA transfrontalière d'environ 80 %. Dans le même temps, elle facilitera la vie des entreprises de l'Union qui mènent des activités transfrontalières, en allégeant les démarches administratives et en simplifiant les procédures en matière de TVA. Bref, c'est une bonne nouvelle pour les entreprises, les consommateurs et les budgets nationaux, et une mauvaise pour les fraudeurs."

Mettre fin à la fraude au "carroussel"

La fraude au "carroussel" est dans le viseur de la Commission. Ce type de pratique exploite les failles du système actuel grâce à une mécanique bien rodée impliquant plusieurs entreprises établies dans au moins deux pays de l'UE. L'AFP a pris l'exemple d'une transaction entre entreprises pour mieux illustrer ce type de détournement.

  • Première étape: une entreprise basée en Espagne vend un produit à une autre société installée en France au prix de 1.000 euros, sans taxe, car aucune TVA n'est due dans les opérations transfrontalières avec les règles actuelles.
  • Deuxième étape: l'entreprise française revend ce produit à une autre entreprise française, mais cette fois-ci avec la TVA, ce qui est obligatoire dans les transactions domestiques, donc au prix de 1.200 euros.
  • Troisième étape: l'entreprise française, qui vient de récupérer 1.200 euros, disparaît sans rembourser les 200 euros de TVA qu'elle était supposée payer au fisc français.
  • Quatrième étape: l'autre entreprise française revend le produit qu'elle vient d'acquérir à la toute première entreprise espagnole, au prix de 1.000 euros puisqu'il s'agit d'une opération transfrontalière, mais réclame, dans le même temps, à l'administration française le remboursement des 200 euros de TVA payée lors de la précédente opération, afin de rentrer dans ses frais.

A la fin du circuit, l'administration française se retrouve à rembourser 200 euros qui ne lui avaient jamais été payés.

(Le commissaire européen Pierre Moscovici au siège de la Commission européenne à Bruxelles le 4 octobre dernier lors de la conférence de presse sur la fraude à la TVA. Crédits : Reuters/Francois Lenoir.)

Un système fiscal anachronique

Ce type de pratiques est rendu possible grâce au système de TVA mis en place en 1993 au moment de l'entrée en vigueur du traité de Maastricht. A l'époque ce système, considéré comme transitoire, a laissé la porte ouverte à la triche en s'adaptant très mal aux mutations de l'économie mondialisée.

"Malgré de nombreuses réformes, le système de TVA n'a pas été en mesure de s'adapter aux défis de l'économie mondialisée, numérique et mobile telle qu'elle se présente aujourd'hui. [...]  Il est fragmenté et trop complexe pour le nombre croissant d'entreprises exerçant des activités transfrontalières et laisse la porte ouverte à la fraude: les opérations nationales et transfrontalières sont traitées de manière différente et des biens ou services peuvent être achetés en exonération de TVA au sein du marché unique."

Quelles propositions ?

Pour réduire cette fraude, les commissaires européens se sont accordés sur quatre grands principes.

  • Une lutte contre la fraude accrue : "la TVA sera désormais prélevée sur les échanges transfrontataliers entre entreprises. A l'heure actuelle, ce type d'échanges est exonéré de la TVA, ce qui offre à des sociétés peu scrupuleuses un moyen facile de percevoir la TVA et de disparaître ensuite sans reverser l'argent aux autorités fiscales."
  • Le guichet unique : la Commission veut simplifier les démarches des entreprises qui réalisent des transactions transfrontalières pour remplir leur obligations en matière de TVA grâce à un guichet unique. "Les opérateurs pourront déposer leurs déclarations et effectuer leurs paiements au moyen d'un portail unique en ligne dans leur propre langue et selon les mêmes règles et modèles administratifs que dans leur pays d'origine."
  • Une simplification administrative : les auteurs du projet de réforme veulent que les règles de facturation soient simplifiées, "ce qui permettra aux vendeurs d'établir des factures conformément aux règles de leur propre pays même lorsqu'ils réalisent des opérations transfrontalières. Les entreprises n'auront plus à préparer une liste des opérations transfrontalières pour leurs autorités fiscales".

La proposition présentée aujourd'hui devrait permettre de réduire ce type de fraude "d'environ 80 %", a estimé le commissaire européen, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

L'incertitude des Etats

Pierre Moscovici a rappelé qu'il souhaitait voir cette réforme entrer en application en 2022 mais ce texte est loin d'être adopté. Toute proposition de loi sur la fiscalité doit être approuvée à l'unanimité par les 28 Etats membres, à moins que la Commission européenne n'use de prérogatives exceptionnelles pour que l'affaire se fasse à la majorité. Par ailleurs, le commissaire européen "a indiqué que le premier réflexe de certains Etats sera sans doute de dire qu'il n'est pas question de laisser un autre pays collecter sa propre TVA" mais "il vaut mieux faire confiance aux autres Etats européens que de laisser les mafias détourner chaque année 50 milliards d'euros des caisses publiques". Le chantier d'une harmonisation fiscale européenne est donc loin de se concrétiser.

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(*) Le manque à gagner de TVA correspond à la différence entre les recettes de TVA attendues et la TVA effectivement perçue dans les États membres. On l'appelle également "l'écart de TVA".